Equipe d'infirmières du service pédiatrique de l'hôpial de Nice, 10 mars 2020

Coronavirus: « L’égoïsme de certains va mettre en danger la santé des autres »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

La Première ministre Sophie Wilmès a annoncé toute une série de mesures de confinement à destination de la population belge. Sont-elles assez claires et suffisantes ? Vont-elles aider les hôpitaux à ne pas être trop vite dépassés ? Entretien avec Philippe Devos, président de l’Association belge des Syndicats Médicaux (Absym).

Les mesures annoncées mardi soir par la Première ministre Sophie Wilmès sont-elles suffisantes et assez claires ? Les coiffeurs ont le droit d’accueillir des clients alors qu’ils ne se considèrent pas comme « essentiels », les gens se ruent dès l’ouverture, s’agglutinant devant les supermarchés…

Les mesures prises sont pour l’instant suffisantes. Comme tous les Belges, j’aurais aimé qu’on n’en arrive pas là, mais l’enjeu est majeur : il s’agit de sauver plusieurs centaines de vies. Ces mesures suggèrent qu’on va atteindre les limites de capacités normales dans les soins intensifs en Belgique. L’objectif, c’est d’arriver à mettre les malades entre la situation normale et la situation maximale. Je souhaite le plus grand courage au personnel des soins de santé, mais aussi à la population, car c’est une période qui va être difficile pour tout le monde. Nous espérons surtout que ces mesures permettent de ne pas vivre ce que nos confrères italiens sont en train de vivre.

Si même avec de telles mesures, les gens manquent de discernement pour se dire qu’il faut éviter ce matin de se ruer dans les magasins, je crains qu’on finisse par être engorgés et submergés dans les hôpitaux. Je trouve que la communication de la Première ministre était plutôt claire. Je pense que les gens qui n’en tiennent pas compte sont en tout cas suffisamment informés pour se rendre compte de la situation. Mais l’être humain est ce qu’il est. L’alternative, ce serait de se retrouver dans une dictature comme en Chine. Cela a fonctionné, mais les plaques d’immatriculation étaient scannées, la police était dans la rue, emprisonnait les personnes malades pour les écarter de leur domicile… On reste dans une démocratie et c’est cela qui rend les choses difficiles. L’égoïsme de certains va mettre en danger la santé des autres. Ce qui est rassurant, c’est qu’on sait que dans ce genre d’épidémie, si 80% de la population applique les règles, on arrive quand même à aplatir la courbe. En principe, les mesures devraient être efficaces, même si une partie de la population n’a toujours rien compris.

Doit-on s’attendre à des mesures encore plus strictes dans les prochains jours ? Ou celles-ci vont suffire pour « aplatir la courbe » ?

On va aplatir la courbe, c’est une certitude. Mais va-t-on réussir à l’infléchir suffisamment que pour ne pas dépasser le nombre de respirateurs disponibles en Belgique ? C’est beaucoup moins certain. Chaque fois qu’on va réussir un tout petit peu à l’infléchir, on va sauver des centaines de vies. Mais pour être dans un scénario idéal où ne serait jamais dépassé, je ne suis pas sûr que les mesures d’aujourd’hui suffiront. Il faudra peut-être en prendre d’autres, et même là il sera peut-être déjà trop tard pour arriver à ne pas être submergés. Mais c’est difficile le savoir précisément.

Tout ce qui est mis en place va sauver des vies. Est-ce que ce sera suffisant pour sauver toutes les vies qui auraient pu être sauvées ? C’est l’Histoire qui nous le dira. C’est une maladie qu’on connait tellement peu, c’est difficile de prédire même avec toutes les données qu’on obtient au fur et à mesure. À un moment donné, il faut être fataliste et se dire qu’on a fait le plus qu’on pouvait de ce qui est humainement possible. Même avec des mesures totales, il y aura des morts liés à cette maladie dans notre pays. Le but n’est pas de ne pas avoir de morts, mais d’en avoir le moins possible.

Les hôpitaux sont déjà débordés aujourd’hui ?

Pour le moment, à part certaines zones comme Mons, aucun hôpital n’est engorgé. Aucun hôpital ne manque de matériel, sauf les masques. Mais quand on compte les stocks, nous n’avons pas de quoi tenir un mois. Les patients aux soins intensifs doivent rester ventilés environ 20 jours. Il faut absolument qu’on puisse réapprovisionnés dans le courant du mois. Or, les fournisseurs nous annoncent que ce ne sera pas simple. Nous l’avons communiqué, de même que les hôpitaux, à la ministre De Block et elle est en recherche active de solutions, mais le risque existe. Les hôpitaux se sont mis « en ordre de guerre » depuis la semaine dernière. Je rejoins d’ailleurs le discours du président français Emmanuel Macron. Pour les hôpitaux, on est dans une situation identique à celle de se préparer à accueillir des blessés de guerre, on est tous sur le pont et solidaires.

Les mesures ont été annoncées jusqu’au 5 avril. On imagine aisément que ce délai va être prolongé…

Vu la durée qu’il faut pour soigner un malade du Covid-19, les hôpitaux n’en seront clairement pas sortis d’ici là. Il y a un délai entre le moment où les mesures sont prises et le moment où les hôpitaux sont engorgés. Ce n’est pas parce qu’on sera encore débordés que le « lockdown » doit être maintenu. Mais si on regarde l’Italie, ou Wuhan, personne pour le moment n’a réussi à prendre des mesures aussi courtes que ce qui est annoncé. Tout le monde a dû dépasser le mois de confinement. Je crains que ce soit prolongé, mais en tout ou en partie ? C’est la vraie question.

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