© Getty

Coronavirus : « il faut craindre des victimes collatérales en Belgique »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Pour faire le point sur la situation liée au coronavirus en Belgique, nous avons interrogé deux spécialistes : Marc Van Ranst, virologue à la KUL, et le docteur Philippe Devos, président de l’ABSyM (Association belge des syndicats médicaux). Leurs avis diffèrent sur la manière dont on doit actuellement gérer l’épidémie.

On constate un manque de matériel réactif en Belgique pour tester les personnes susceptibles d’avoir contracté le coronavirus. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur la gestion de l’épidémie chez nous ?

Marc Van Ranst : Cela ne change pas grand-chose pour le moment. Le matériel est commandé, il faut un peu de temps pour le recevoir, mais nous continuons de tester de nombreuses personnes en Belgique. Certains laboratoires utilisent des méthodes de test différentes, mais les échantillons sont analysés. Aujourd’hui, les personnes prioritaires pour les tests sont les personnes hospitalisées et/ou celles qui sont en train d’être hospitalisées. L’autre catégorie de personnes testée est celle qui présente des symptômes (fièvre, toux, etc.). On ne va, par contre, pas tester quelqu’un qui est en bonne santé et qui ne présente aucun symptôme. Les gens qui sont rentrés des zones à risques (surtout l’Italie) ces derniers jours ont soit été testés, ou n’ont pas développé de symptômes. Donc selon moi, cette phase-là est finie. Mais ce lundi et mardi, nous pourrions cependant constater une hausse des cas, car les gens auront attendu le début de la semaine pour aller voir leur médecin.

Dr Philippe Devos : La conséquence de la diminution des tests de dépistage en Belgique c’est qu’on va déclencher plus rapidement la phase 3. On considère alors que le pays tout entier est une zone à risque.

Pour diminuer les isolements dans les hôpitaux lorsqu’on est à cours de tests de dépistage, il faudra réserver les analyses au cas les plus graves, c’est-à-dire seulement les personnes qui sont hospitalisées. Les autres seront gardées en isolement à la maison en considérant qu’elles ont le coronavirus. En phase 3, n’importe quelle personne présentant des symptômes grippaux (toux, fièvre, éternuement…) va être considérée comme infectée et contagieuse au coronavirus, car les médecins n’auront plus les moyens, ni le temps de faire la différence, avec les mesures de quarantaine qui s’imposent pour elle comme pour son entourage. C’est la même procédure que pour la grippe. On ne teste que les personnes qui sont hospitalisées mais celles qui sont à la maison n’ont pas de prise de sang.

Le fait qu’on doive parfois attendre une semaine pour obtenir les résultats de tests chez des patients est aussi problématique, car cela biaise le décompte des personnes contaminées. On est à 239 cas officiels ce lundi, mais en réalité, on est peut-être à 500. Le gouvernement a péché par manque de précaution, en ne commandant pas, comme pour les masques de protection, les tests suffisants pour le dépistage des personnes qui ont contracté le coronavirus. Si on suit le profil de la Lombardie, dans 15 jours, on sera au pic de l’épidémie, et donc n phase 3. Ce n’est pas le cas maintenant, il faut atteindre un seuil de malades suffisants ou ne plus pouvoir compter les malades.

Serait-il envisageable de prendre des mesures aussi radicales qu’en Italie pour faire face à l’épidémie ?

Marc Van Ranst : Oui je pense. Il s’agit d’une mesure très efficace pour lutter contre la propagation du virus, mais qui doit être prise au bon moment. On ne peut pas fermer les écoles pendant des mois, il faut donc évaluer, avec les comités d’experts, quel sera le moment le plus opportun de le faire, si cela devient nécessaire.

Dr Philippe Devos : En Italie, le but de la mise en quarantaine des zones du Nord est principalement d’éviter la propagation du virus vers le sud où les infrastructures médicales sont très fragiles. En Belgique, une telle quarantaine n’est, selon moi, pas envisageable. Ce qui pourrait arriver, si le pays ne rentre pas de lui-même en confinement, c’est que les autres pays prennent leurs précautions et en viennent eux, à nous confiner et à empêcher la circulation des citoyens belges dans d’autres pays comme c’est déjà le cas pour les Italiens ou les Français des zones contaminées. Ce qui doit être préconisé dans un futur proche, c’est l’annulation de certains évènements où la consigne de rester à 1,5 m de distance comme c’est le cas en Italie. Mais le plus important, est de respecter les mesures d’hygiène, comme un lavage des mains répété. On ne le dira jamais assez à la population.

Doit-on craindre des victimes collatérales liées à l’engorgement des hôpitaux chez nous (lenteur dans la prise en charge des autres patients, pénurie de matériel médical, report d’opérations chirurgicales, etc.) ?

Marc Van Ranst : Nous devons tout faire pour éviter les victimes collatérales. Nous sommes dans un pays riche avec beaucoup d’hôpitaux et de médecins et je pense que nous sommes armés pour faire face à cette crise. On ne peut cependant jamais exclure la possibilité d’être à un moment donné débordés. Tous les scénarios sont envisageables.

Dr Philippe Devos : Si les hôpitaux sont saturés, la Belgique ne fera pas mieux qu’en Chine ou en Italie. Il y aura inévitablement des victimes collatérales en Belgique si l’épidémie n’est pas freinée. Parce que les soins de santé seront noyés de travail et que des médecins qui auront chopé le virus ne pourront pas les soigner. On voit que dans la région de Wuhan, le taux de mortalité est plus élevé (3%) que dans le reste de la Chine (0,9%), car les médecins ont dû faire des choix dans la prise en charge des patients. On soigne alors les malades comme au 19ème siècle, avec des antidouleurs. Lors de l’épidémie de grippe espagnole, 30% des morts n’avaient pas contracté la grippe. Je peux vous dire que nous, en tant que médecin, on va avoir des choix éthiques très difficiles à faire. On va pleurer quand on aura à prendre des décisions pour des centaines de patients pendant des semaines, comme annoncer à une famille que le grand-père de 90 ans ne sera pas pris en charge, car l’hôpital est débordé et que d’autres patients, plus jeunes, sont prioritaires. Madame de Block qui n’est pas sur le terrain ne se rend pas compte de cela.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire