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Comité de concertation : « Il faut rester très prudent, avancer petit pas par petit pas »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Le Comité de concertation pourrait-il décider d’assouplissements ce vendredi ? Rien n’est moins certain. On a sondé Niko Speybroeck, épidémiologiste à l’UClouvain et Christelle Meuris, infectiologue au CHU de Liège et membre du GEMS.

Voit-on une évolution par rapport à la semaine passée qui a douché les espoirs d’assouplissement des mesures sanitaires ?

Niko Speybroeck : Ce qui est important c’est d’observer les hospitalisations par jour. Il n’y a pour le moment pas de grand changement comparé à la semaine dernière. Il n’y a pas d’indication que cela change la donne cette semaine, les chiffres stagnent. On peut interpréter ces données de deux manières : cela stagne à un niveau assez élevé, donc, mieux vaut ne pas assouplir les règles. Mais on peut aussi dire que cela n’augmente pas. Ce qui permet alors peut-être de voir ce qu’on peut relâcher. D’un autre côté, la circulation du virus reste aussi à un niveau élevé. Si on lui donne des opportunités de se propager plus vite en augmentant le nombre de contacts, on en verra l’effet. D’un point de vue purement épidémiologique, les chiffres disent que c’est risqué d’assouplir les mesures. Même si la campagne de vaccination va permettre d’augmenter l’immunité dans la population et donc aider à faire baisser les courbes.

Comment pourrait-on quand même envisager des assouplissements ?

En élargissant la bulle de contacts à l’extérieur, par exemple. Tout ce qui se passe à l’extérieur est déjà moins risqué. Si c’est vraiment limité et que c’est bien calculé, c’est peut-être une piste. N’oublions pas que chaque augmentation du nombre de contacts va avoir un effet même s’il est restreint. Même si le risque de transmission par contact à l’extérieur n’est pas si élevé qu’à l’intérieur, si on augmente cela en masse, en mixant 2 millions de contacts ou plus, les risques ne sont pas négligeables. Avec les courbes d’hospitalisations qui stagnent et qui restent à un niveau relativement élevé, c’est quand même assez risqué de dire qu’on va assouplir cette semaine. En plus, nous constatons aujourd’hui un nombre de patients en soins intensifs (pour le moment près de 500) qui continue à augmenter. Je ne pense pas que ce soit le meilleur moment d’assouplir et il vaudrait peut-être mieux attendre encore un petit peu et ne pas prendre le risque de cette 3e vague.

Le risque de 3ème vague est bien réel, selon vous ?

Tout dépend de ce qu’on fera dans les semaines à venir. Il est difficile de faire des prédictions avec les paramètres qu’on a pour le moment, comme le nombre de contacts et l’adhésion aux mesures qui peut grandement varier. On ne sait pas prédire l’adhésion de la population aux mesures, mais espérons que ce nombre de contacts restera au même niveau.

Il y a aussi l’inconnue du variant britannique. On observe qu’il prend plus de place, on ne sait pas encore exactement comment il va évoluer. La campagne de vaccination n’avance pas très vite non plus, mais on peut espérer qu’elle s’accélère. Ces incertitudes font qu’il est difficile de faire des prédictions. Il faut rester très prudent.

Quand pourrait-on envisager ces éventuels assouplissements ?

Il est difficile de juger combien de temps cela peut prendre, 3, 4 semaines ? On n’a pas de boule de cristal avec toutes ces incertitudes. Si vendredi, on prend une décision, cette décision va peut-être avoir de l’effet sur le comportement et le nombre de contacts de la population, une semaine après. Il est aussi difficile de prédire l’effet de ces mesures couplé à celle de la campagne de vaccination.

Que faire en attendant ?

La circulation du virus peut être diminuée de 3 façons. En augmentant l’immunité dans la population, en diminuant le nombre de contacts et en diminuant le risque de transmission par contact. Accroitre l’immunité peut déjà faire baisser les courbes. Une campagne de vaccination va augmenter considérablement cette immunité. Pour le moment nous avons surtout vacciné les personnes âgées dans les maisons de repos. Il faudra donc attendre avant d’avoir un effet de la campagne de vaccination dans la population générale. Entretemps, le nombre de contacts et le risque de transmission par contact influencent ensemble le fait que les courbes stagnent. Il faudra donc, en attendant l’immunité accrue dans la population, limiter le nombre de nos contacts. Surtout que des études indiquent que la contagiosité de variants, comme le variant britannique, est relativement élevée, ce qui risque d’augmenter la probabilité de transmission par contact. Assouplir trop vite est donc risqué.

La préservation de la santé mentale ne devrait-elle pas jouer un rôle prédominant dans les décisions prises par les autorités ?

Il faut bien calculer les risques épidémiologiques, avant d’assouplir, mais je me rends compte que ce n’est pas une situation facile. Tout le monde en a marre. Le côté épidémiologiste dit : « attention, n’assouplissons pas trop vite, c’est risqué ». Et le côté santé mentale pousse à ouvrir. C’est au politique à mettre en balance ces deux éléments. Je ne suis pas sûr qu’il faut voir cela comme un choix entre deux extrêmes, mais plutôt comme la nécessité de mesures et d’une attention portée à la santé mentale (et d’autres dommages collatéraux). Pendant cette période difficile, Il faut accompagner les personnes en difficultés.

Comment donner un peu d’espoir à la population ?

La vaccination est vraiment une excellente nouvelle, car elle va permettre d’augmenter l’immunité dans la population. Le beau temps donne aussi des perspectives. Ce sont des éléments d’espoir. Je dirais à la population : « Essayez de tenir le coup, nous y sommes presque. »

Le ministre de la Santé Frank Vandenbrouck
Le ministre de la Santé Frank Vandenbrouck© BELGA

« Il faut rester très prudent, avancer petit pas par petit pas »

Christelle Meuris, infectiologue au CHU de Liège et membre du GEMS (Groupe d’Experts de stratégie de crise pour le Covid-19) reste, elle aussi, extrêmement prudente quant à de possibles assouplissements cette semaine.

« Le GEMS a remis son avis (lire le rapport complet ici) il y a plus d’une semaine en vue du Codeco de vendredi passé et ne prendra pas d’autre position cette semaine. La situation est tendue. On est sur un plateau haut depuis plusieurs semaines. Le variant anglais était une menace et un vrai frein aux assouplissements plus tôt. En fin de compte, on prend conscience que ce variant n’est pas juste un risque théorique, mais a un impact sur les contaminations et les nouvelles hospitalisations aujourd’hui.

C’est assez compliqué de se prononcer par rapport à des assouplissements dans les semaines à venir. Dans notre rapport, on dit que la situation n’est pas favorable pour déconfiner au 1er mars. Ce qui est vraiment important, c’est de pouvoir donner des perspectives aux citoyens, de leur annoncer des choses concrètes. Si on reste sur une situation maitrisée au niveau des contaminations et d’une série d’autres critères, on pourrait proposer tel ou tel type de relâchement dans une à deux semaines. Mais, à l’heure actuelle, tout le monde est inquiet par ce qui se passe. Personne ne sait dire si cela va mener vers une recrudescence des contaminations qui pourrait faire parler de 3e vague ou si ce sont juste des petites trémulations comme on en a eu à d’autres moments, après le retour des vacances notamment. La situation n’est pas très confortable et doit mener à l’extrême prudence en avançant petit pas par petit pas, tout en améliorant l’adhésion aux gestes barrière. Ce qui a été négatif ces derniers jours, ce sont aussi tous ces effets d’annonce et le fait que des hommes politiques disent ne plus adhérer aux mesures. Il est très compliqué de savoir ce que le Codeco décidera ou ne décidera pas ce vendredi pas en fonction des critères épidémiologiques, économiques et de santé mentale. »

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