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126 métiers en pénurie: les causes et les solutions pour y remédier

Caroline Dunski Journaliste

Au sein de la Vivaldi, il y a ceux qui voulaient pénaliser les demandeurs d’emploi refusant un job dans un métier en pénurie et ceux qui leur rétorquaient que pour combler ces postes vacants, il fallait les revaloriser. Mais au-delà de la polémique, quelles sont les causes de ces pénuries et comment y remédier?

En octobre 2021, le nombre de demandeurs d’emploi inoccupés était de 445 428, selon la BNB. Tandis qu’au deuxième trimestre 2021, les entreprises belges offraient 172 437 emplois vacants contre 141 565 au premier trimestre 2021, soit une hausse de 21,81% et un chiffre record depuis la création de l’enquête en 2012 (Statbel). Une telle différence s’explique-t-elle par le nombre toujours croissant de métiers en pénurie? Les secteurs de la construction, de la santé ou de l’enseignement cherchent en effet toujours à combler un manque de travailleurs. Et c’est pareil du côté de l’Horeca, de la boulangerie ou de la boucherie… Face à l’ampleur du problème, le gouvernement vient de défnir un plan d’action pour y remédier .

La distinction entre fonctions critiques et métiers en pénurie n’est pas importante. Ce qui compte, c’est de montrer au public où il existe beaucoup de possibilités d’embauche.

En Wallonie, un métier est considéré en pénurie quand, pour dix opportunités d’emploi, moins de quinze personnes sont enregistrées dans le métier au sein de la réserve de main-d’oeuvre. En juin 2021, le Forem établissait la liste annuelle des fonctions critiques et des métiers en pénurie. Elle comprend 126 professions, parmi lesquelles on retrouve 76 qualifications en pénurie de main-d’oeuvre. Dont 28 pour le seul secteur de la construction, qui représente plus du tiers de la liste (voir le tableau ci-dessous).

126 métiers en pénurie: les causes et les solutions pour y remédier

Dans la Région de Bruxelles-Capitale, une fonction est considérée comme critique lorsque les offres d’emploi sont moins facilement satisfaites et que le processus de recrutement est jugé trop long. Les fonctions critiques sont dites « émergentes » si elles l’étaient l’année de référence, mais n’étaient pas épinglées comme telles au cours des cinq années précédentes. Elles sont « structurelles » quand elles sont critiques pour la troisième année consécutive ou si elles l’ont été au moins trois fois lors des cinq années qui précèdent l’année de référence. Le dernier rapport disponible s’appuie sur les chiffres de 2019 (!), soit avant la crise sanitaire et ses impacts sur l’ensemble de l’économie.

Actiris, l’Office bruxellois de l’emploi, compte alors 112 fonctions critiques. Comme dans le reste du pays, elles figurent essentiellement dans les secteurs de la construction, des technologies de l’information, de l’enseignement et des soins, mais Bruxelles connaît aussi une disette dans le domaine des services. Pour Jan Gatz, porte-parole, « la distinction entre fonctions critiques et métiers en pénurie n’est pas très importante. Ce qui compte, c’est de montrer au public où il existe beaucoup de possibilités d’embauche. On privilégie de plus en plus les termes « métiers porteurs » ou « opportunités d’emploi » car « pénurie » ou « critique » s’inscrivent dans un cadre très négativiste. »

Qualité ou quantité

Les pénuries de main-d’oeuvre sont « quantitatives » quand on manque de candidats pour une profession déterminée, « qualitatives » si les candidats ne répondent pas aux exigences posées en matière de formation, d’expérience, de maîtrise des langues, de connaissances ou de compétences particulières, d’attitudes ou de traits de personnalité (ce qu’on appelle les « soft skills »). Elles peuvent résulter du manque d’information dont dispose le demandeur d’emploi sur le poste vacant, mais aussi de l’image négative du secteur, de l’entreprise ou du poste à pourvoir, avec des conditions de travail perçues comme défavorables (salaires, pénibilité des tâches ou des horaires, difficultés de mobilité pour rejoindre le lieu de travail, charges physique et mentale…).

Actuellement, 44% des personnes en recherche d’emploi n’ont pas le certificat d’enseignement secondaire supérieur.

Les conseillers d’Actiris évoquent aussi d’autres facteurs comme des pratiques de discrimination ethnique à l’embauche, un manque de structures d’accueil collectives pour jeunes enfants, des frais de garde élevés, une rotation du personnel importante ou un manque de mixité de certaines professions. On relève donc de multiples facteurs de pénurie et miser sur l’orientation des individus vers ces métiers et sur la formation professionnelle pour aider la main-d’oeuvre à s’adapter aux exigences du marché du travail ne suffira pas pour relancer l’emploi, estiment-ils.

Alors que le problème s’aggrave, Actiris et ses partenaires (Bruxelles Formation et VDAB Brussel) viennent de lancer une enquête sur les besoins et les attentes des employeurs bruxellois en matière de ressources humaines. Au moment de rédiger ces lignes, les résultats n’étaient pas encore connus. Côté wallon, le Forem et le gouvernement travaillent sur quatre grands leviers pour renforcer le taux d’emploi: la réforme « Talents-Impulsion-Mobilisation » (TIM) de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, la digitalisation des services du Forem, le développement de nouvelles formations et un service aux entreprises centré sur les besoins des employeurs.

Sur la base des informations fournies par le demandeur d’emploi, sa proximité à l’emploi et sa maturité numérique, le Forem l’accompagne selon l’une des quatre modalités de prise en charge: digitale, à distance, sectorielle ou socioprofessionnelle. « Le Forem a lancé des projets pilotes pour les demandeurs d’emploi de longue durée, des personnes très faiblement qualifiées ou des personnes handicapées éloignées du monde du travail, souligne Thierry Ney, porte-parole. Ces projets relèvent de la démarche TIM, qui suit son parcours législatif et s’appuie sur la digitalisation pour les personnes les plus proches de l’emploi. Cette approche « phygitale », alliant physique et digital, permettra aux demandeurs d’utiliser les services du Forem en toute autonomie, tout en libérant du temps des conseillers pour accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi. Actuellement, 44% des personnes en recherche d’emploi n’ont pas le CESS (NDLR: le certificat d’enseignement secondaire supérieur) et il est important d’effectuer cet accompagnement pour augmenter leur formation et les remobiliser. »

Un plan fédéral après de vifs échanges

Après une polémique estivale droite-gauche sur la sanction des chômeurs de longue durée refusant un emploi en pénurie ou une formation y conduisant, le gouvernement fédéral a trouvé un terrain d’entente. En octobre, il s’est accordé sur une réforme du marché du travail incluant un « Plan métiers en pénurie ».

En août dernier, le président du MR Georges-Louis Bouchez lançait un de ces brûlots dont il est coutumier en déclarant à Sudpresse : « Cela me devient insupportable qu’un demandeur d’emploi puisse refuser une fonction dans un métier en pénurie. Il faut des règles plus strictes. » Il confirmait ses propos sur les réseaux, dénonçant « les pros de l’indignation » et ajoutant: « La société doit venir en aide aux individus quand ils sont en difficulté. Ces individus doivent aider la société quand elle rencontre des problèmes. C’est l’essence de l’équilibre entre les devoirs et les droits. Ainsi, ces 125 métiers en pénurie doivent être occupés. » Toujours sur Twitter, son homologue du PS Paul Magnette rétorquait que les « recettes libérales du travail forcé et de la sanction ne marchent pas et stigmatisent les gens […] Contre les pénuries, préconisait-il, il faut améliorer la qualité de l’emploi et les salaires ». Ambiance entre deux partenaires de la Vivaldi sur ce dossier sensible!

Les jeunes sont en recherche de sens. Il faut leur donner envie de travailler pour répondre aux grands enjeux de société.

Pour le président du MR, « mener les réformes structurelles du marché de l’emploi et de la formation est bien plus important que continuer à investir des moyens publics si l’on veut redéployer les bassins postindustriels wallons et Bruxelles. » Le ministre de l’Economie et du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS), estime quant à lui que « les difficultés rencontrées par de nombreux employeurs pour recruter sont un frein au développement de multiples secteurs et donc à la relance de l’économie dans notre pays. »

Le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne souligne que les difficultés de recrutement
Le ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne souligne que les difficultés de recrutement « sont un frein à la relance de l’économie dans notre pays ».© BELGA IMAGE

Les approches diffèrent, mais l’objectif est commun. En octobre dernier, le gouvernement fédéral réuni en comité restreint s’entendait finalement sur une réforme du marché du travail, entre autres dossiers. Objectif: atteindre un taux d’emploi de 80% minimum en 2030. D’après Statbel, ce taux atteignait 70,5% au deuxième trimestre de 2021.

Dans une optique de fédéralisme de coopération, le vice-Premier Dermagne a invité les ministres régionaux de l’Emploi à des discussions informelles en vue de dégager des propositions concrètes pour réduire le taux de vacance d’emploi (TVE), qui mesure la proportion de postes vacants par rapport au nombre total d’emplois occupés et disponibles. En Belgique, ce taux (2,9%) est largement supérieur à la moyenne de la zone euro (1,9%). Etat fédéral, Régions et Communautés ont rappelé leurs priorités en vue de lutter contre le phénomène des métiers en pénurie, en tenant compte des réalités de terrain et des spécificités locales. Les propositions concrètes nées de la rencontre ont été intégrées par le fédéral dans un « Plan métiers en pénurie ». Elles sont relatives à la formation, à la mobilité interrégionale des travailleurs, à la fiscalité du travail ou encore à la création de fonds sectoriels, dans lesquels la mobilité est un enjeu central. Voilà pour la théorie. En pratique, tout reste à concrétiser.

Donner un sens sociétal au travail

L’offre de formations assurée par l’IFAPME, l’Institut wallon de formation en alternance, est actualisée chaque année pour répondre aux besoins des secteurs qui font face à un déficit de main-d’oeuvre. En septembre 2021, quatre-vingts formations étaient directement liées à la pénurie, avec quarante référentiels répondant aux besoins de la construction, mais aussi des métiers liés à l’alimentation, à l’Horeca, à la mécanique automobile… et 60% des apprentis se forment dans des métiers techniques en pénurie. « Chaque année, l’IFAPME compte environ 17 000 apprenants en alternance, précise Raymonde Yerna, administratrice générale. Jusqu’à 40 000, si on compte aussi la formation continue des travailleurs. Les primo-entrants ont augmenté de 10% cette année, par rapport à 2020, et le taux d’insertion est de 83% pour les jeunes apprentis, 90% pour les adultes. Il grimpe même à 95% pour les métiers en pénurie. Mais les chefs d’entreprise sortis de l’IFAPME ont dû se battre contre leurs parents pour se diriger vers les métiers techniques et technologiques. Aujourd’hui, les jeunes sont en recherche de sens. Il faut leur donner envie de travailler pour répondre aux grands enjeux de société, participer à la dynamique de la reconstruction de la Wallonie avec des matériaux biosourcés, par exemple. »

Du côté de Bruxelles Formation, 49% des heures de formation prestées en 2020 pour des chercheurs d’emploi l’ont été dans le cadre de métiers en pénurie. « Ce chiffre ramené au nombre de places occupées dépasse 33%, note Selin Salün, porte-parole de l’organisme bruxellois. Autrement dit, en 2020, une place sur trois de l’offre régie par Bruxelles Formation a été réalisée dans des métiers en pénurie, hors formation en ligne et stages de formation en entreprise. »

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