Typh Barrow : " L'idée de Raw, c'est de se livrer sans filtre. " © PHILIPPE CORNET

Typh, la fille du Barrow

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Juriste diplômée, Typh Barrow a fait ses classes dans les pianos-bars. La réussite de Raw, son premier album complet, nuance l’image un rien lisse de la Bruxelloise blue-eyed soul.

« La chanson qui ouvre le disque, The Whispers, raconte la façon dont j’ai été harcelée à l’école, pour des raisons que je n’ai jamais vraiment comprises. Mais je n’ai pas envie de donner le mode d’emploi de chaque titre: les gens doivent se les approprier. » L’entretien dévoile peu à peu une jeune femme qui ne dit pas sa date de naissance (mai 1987?) pour cause de compteur enrayé. « Depuis que j’ai 16 ans, j’ai l’impression d’avoir un décompte au-dessus de la tête. Je ne désire plus fêter mon anniversaire parce que le temps qui passe est plus angoissant qu’autre chose. Je n’ai jamais de montre et pour moi, mes parents ont toujours 45 ans. »

J’ai l’impression d’avoir en moi une vieille âme et un côté très masculin

Ce jour de décembre dans le centre de Bruxelles, Tiffany Baworowski au civil revient d’une série de concerts en Allemagne avec un orchestre symphonique et d’une autre performance en Espagne. Elle emmitoufle sa rhinopharyngite d’un élégant ensemble rose saumon, bottillons crème et allure persistante de jeune Madonna brune. Plus rhythm’n’blues, en l’occurrence, que la Ciccone sur Raw, premier vrai album – si on omet un double EP paru en 2015 – qui a mis du temps à l’arrivage. « La scène est ma raison première de faire de la musique: un partage avec le public et mes zicos (sic), qui permet de sentir en temps réel les chansons, de me découvrir et me dépasser. Quand je suis sur scène, je savoure à mort, et je ne voulais pas d’un disque réalisé dans la précipitation. »

Typh se fait d’abord connaître par des reprises, dont celle, au printemps 2013, du Gangsta’s Paradise de Coolio (tiré d’un tube de Stevie Wonder), flirtant assez vite avec le million de vues sur YouTube. « Pour cet album, je n’avais pas envie de me ranger dans une seule catégorie – pop, soul ou autre. La mixité est pour moi superimportante. Je voulais une matière première organique, qu’on est allée chercher à Londres, enregistrant tout dans une pièce, sans métronome, tripes sur la table. Complètement en dehors de ma zone de confort, loin des studios proprets de Paris et Bruxelles. »

Typh, la fille du Barrow

Casser la voix

Dans un studio vintage de Dalston (au nord-est de Londres), Typh s’entoure des excellents Heliocentrics, collectif métis aux sonorités roots, pour pondre quatre titres rugueux. L’idée vient du producteur français Dimitri Tikovoï, réputé pour son travail sur les albums de Placebo, Horrors et Sharko. L’autre partie du disque – douze chansons – est produite artistiquement par François Leboutte, manager de l’artiste. Trentenaire hybride sorti de réalisation à l’IAD et d’une école de business de l’UCL, il a appris le son sur le tas depuis sa rencontre avec une Typh encore adolescente. « L’idée de Raw, c’est de se livrer sans filtre: tout ce que j’y écris, ce sont des sujets, ruptures et autres, qui me touchent personnellement, parce que je les ai vécus, que ce soit personnellement, ou à travers une personne de mon entourage proche. Je suis quelqu’un de passionné, à fleur de peau, sensible. »

Son ADN est celui du piano et de la voix, rauque et forte, accompagnée de fissures acceptées: « J’ai l’impression d’avoir en moi une vieille âme et un côté très masculin. Et j’ai aussi un kyste sur les cordes vocales, qui est comme une cicatrice, une séquelle d’un choc psychologique de ma tendre enfance. » Son organe reste fragile. Il y a quatre ans, elle chope un virus à Madagascar. A son retour, le corps affaibli ne supporte pas de remonter en scène et la voix s’éteint. « Les médecins m’ont dit qu’il fallait opérer. J’ai dit non: j’aurais eu l’impression de faire de la chirurgie esthétique. » S’ensuivent plusieurs semaines de silence absolu et l’oukase d’une « hygiène de vie impeccable » pour ses cordes vocales, synonymes de réceptacle émotionnel. « J’ai maintenant apprivoisé la chose au quotidien mais cela a été un passage éprouvant. La question s’est posée de savoir si je pourrais encore me maintenir à un niveau professionnel, c’est-à-dire jouer régulièrement deux ou trois fois par semaine. »

A Bruxelles, Typh grandit dans le pessimisme d’autrui, les profs de solfège la mettant volontiers chez les garçons choristes: « Pour le processus d’identification à la féminité qui éclot, ce n’est pas évident. D’autant que je traînais beaucoup avec mon frère, aîné d’un an: notre père confondait nos voix et je me sentais un peu garçon manqué. C’est en commençant à jouer dans les pianos-bars que je me suis rendu compte que ma voix pouvait donner quelque chose. Depuis que j’ai 5 ans, il était évident que je deviendrais chanteuse, même si j’ai eu un doute terrible quand j’ai entendu pour la première fois ma voix sur une cassette. On aurait dit un mec. »

Petite boîte noire

L’ado a alors 15 ans et joue donc dans les bars-restos de Bruxelles ou de la mer du Nord, part à 17 ans quelques mois dans une famille du New Jersey: Whitney Houston, Mariah Carey et autres chanteuses à voix lui paraissent alors hors norme. Ne reste donc plus qu’à écrire ses propres compositions, davantage adaptées à ses ingénuités vocales. Fille d’un architecte polonais et d’une Belge prof de langues, la jeune femme a été inondée de musique anglo-saxonne, « de vieux vinyles Motown, de blues à la BB King ou Clapton et aussi de jazz façon Miles Davis ». Sans omettre le hip-hop d’IAM ou les Spice Girls, taillées pour faire rêver les filles. Issue d’une famille chrétienne aux parentés juives, Typh a vécu « une histoire familiale compliquée du côté de la Pologne », l’un des titres de l’album évoquant d’ailleurs l’enfance difficile du père (Daddy’s Not Coming Back). Ayant réussi le conservatoire jazz en même temps que des études de droit à Bruxelles, la demoiselle s’est arrêtée avant le barreau. Toute cette bio s’immisce dans Raw comme si la musicienne n’y était pas encore au bout de ses audaces: « Je peux donner l’idée d’être très sûre de moi, très confiante et même un peu superficielle. Mais une fois que je chante, c’est l’endroit où je peux être 100% moi-même: l’album ouvre cette petite boîte noire où l’on découvre aussi une forme de fragilité ». CQFD.

Le CD Raw est distribué par cod&s dès le 18 janvier. En concert le 24 mars à Liège, les 13 et 14 avril à Verviers, le 27 avril à Charleroi, le 28 avril à Silly et le 5 octobre à l’Ancienne Belgique.

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