Philippe Hensmans et Wies De Graeve (Amnesty International) © BELGA/Eric Lalmand

« Les droits fondamentaux ne peuvent plus être considérés comme acquis »

Des discours de haine et de peur ont marqué l’année 2017 à travers le monde mais ils ont stimulé un nouvel élan de militantisme social, analyse jeudi Amnesty International dans son nouveau rapport annuel sur les droits humains. Selon Salil Shetty, secrétaire général de l’organisation, les droits fondamentaux ne peuvent plus être considérés comme acquis, 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme.

De nombreux dirigeants ont mené des politiques « rétrogrades » l’année dernière tandis que les mesures d’austérité et les catastrophes naturelles ont exacerbé la pauvreté et l’insécurité, constate le rapport qui étudie la situation de 159 pays.

Amnesty cite notamment la campagne militaire de nettoyage ethnique contre les Rohingyas du Myanmar, la stigmatisation de catégories entières de la population à travers le monde, l’emprisonnement de journalistes, le contrôle des réseaux sociaux ou encore les attaques contre les militants des droits de l’homme.

« Le ton a été donné par Donald Trump, lorsqu’il a interdit l’entrée du territoire américain aux ressortissants de pays musulmans », illustre Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. « C’est la mise en oeuvre politique de ce qui n’était qu’une déclaration générale au départ. »

Ces évènements ont toutefois provoqué des vagues de protestation citoyenne dans plusieurs régions du monde, avec entre autres la grande Marche des femmes aux Etats-Unis ou le mouvement « Ni Una Menos » en Amérique latine, qui dénonce la violence faite aux femmes et aux filles. De nombreuses personnes ont rallié des combats citoyens pour faire émerger un militantisme social, souligne le rapport.

L’Europe n’échappe par ailleurs pas au phénomène de recul des droits humains décrit par Amnesty, préoccupée par la remise en question des modes de protection existants. Amnesty s’inquiète par exemple de la loi jetant le discrédit sur les ONG qui recevaient des fonds de l’étranger en Hongrie, de la politique de répression en Azerbaïdjan, des menaces qui pèsent sur l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne, des accords de coopération signés par les Etats européens avec les autorités libyennes ou encore des interdictions de manifester justifiées par la lutte contre le terrorisme, notamment en France.

« La liberté d’expression et la possibilité pour les défenseurs des droits de l’homme de travailler seront des grands enjeux dans les mois et les années à venir », prévoit Philippe Hensmans.

Les droits humains malmenés aussi en Belgique

La Belgique n’a pas suffisamment évalué les conséquences des mesures antiterroristes sur les droits humains, déplore Amnesty International dans son rapport 2017/18 publié jeudi. Il pointe aussi du doigt la politique migratoire du gouvernement et la situation problématique dans les prisons. D’après l’organisation, la Belgique doit pourtant montrer l’exemple alors qu’elle est candidate au Conseil de sécurité de l’ONU.

Le gouvernement belge a adopté de nombreuses mesures contre le terrorisme et la radicalisation dans la foulée des attentats en Europe, mais il n’a pas suivi ou mesuré leurs répercussions sur les droits humains, analyse Amnesty. Le rapport prend comme exemple la loi contraignant les travailleurs sociaux à dénoncer des « indices sérieux » d’infraction terroriste.

« On touche à des droits fondamentaux comme le secret professionnel, c’est grave », réagit Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. « D’autres mesures ou projets de loi concernent également la liberté d’expression. Nous nous trouvons à la frontière des droits humains, que nous pourrions franchir dans la pratique. »

Le responsable d’Amnesty s’interroge notamment sur l’application potentielle des visites domiciliaires pour arrêter une personne en séjour irrégulier. « Il faut trouver le juste équilibre entre respect des droits fondamentaux et défense des citoyens », prévient-il.

Dans son chapitre consacré à la Belgique, le rapport se montre également critique avec la surpopulation carcérale, « l’état de délabrement » des prisons ainsi que la politique migratoire qui « ne respecte pas les obligations européennes et internationales ». Mais Amnesty se réjouit de l’implication de mouvements citoyens dans ce débat de société, à l’image de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés qui vient en aide aux migrants du parc Maximilien à Bruxelles.

« C’est capital de voir des citoyens dire: ‘Ça suffit!' », ajoute Philippe Hensmans. « Le mouvement touche toutes les couches de la population. Lorsque les Belges peuvent exprimer leur solidarité, ils le font. »

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