Philippe Defeyt

Le nouveau dictionnaire politique

Philippe Defeyt Economiste

C’est la saison de rentrée des dictionnaires. De nouveaux mots, communs et propres, apparaissent, qui dans le Robert Illustré, qui dans le Larousse. Mais l’usage et le sens des mots changent aussi. Les spécialistes de la langue doivent en tenir compte.

Prenons, au hasard bien sûr, le mot négligence, dont un des sens est « Faute non intentionnelle, consistant à ne pas accomplir un acte qu’on aurait dû accomplir » (Définition du Petit Robert). Ainsi donc, Jean-Claude Juncker, attaqué par les Verts du Parlement européen sur l’application par le Luxembourg de la directive sur la fiscalité de l’épargne, a déclaré : « Je suis en faveur de la concurrence fiscale, mais elle doit être équitable et ne l’a pas toujours été », concédant avoir « négligé cette dimension » dans le passé.

On se fout de qui : de l’électeur ou des lexicographes ? Des deux à mon avis. Qui peut croire – même un bref moment – que le comportement de Juncker comme Ministre des finances et Premier ministre a été non intentionnel ?

La nouvelle définition – vous verrez qu’elle finira par s’imposer – sera donc : « Comportement inadéquat (voir plus loin) qui doit être pardonné parce qu’imposé par l’inconscient ou suggéré par des collaborateurs inexpérimentés (voir plus loin), n’ayant pas compris les consignes. »

Un autre mot à la mode est maladresse. Alain Mathot, inquiété par son parti parce qu’il avait versé des rémunérations privées sur le compte d’une société créée pour gérer un bien immobilier familial, a réussi à échapper à une sanction. Il a en effet « reconnu une maladresse (et) est parvenu à démontrer aux instances de vigilance du PS que ce mécanisme n’avait pas servi à éluder l’impôt. »

Nouveau glissement de sens : la maladresse est un « manque d’adresse dans les mouvements, dans l’exécution d’un ouvrage, l’accomplissement d’une tâche » et ne concerne pas les intentions, ce qui nous ramène à la case précédente. Qui peut croire un seul instant qu’Alain Mathot a effectué ces versements sans savoir ce qu’il faisait.

Ici aussi une nouvelle définition, plus politique, s’imposera : « Maladresse : n’avoir pas réussi à camoufler ses intentions. »

C’est un véritable festival de mots travestis par les communicants et autres spin doctors qui va désormais animer la vie politique (voir les déclarations lors des auditions à la Commission Publifin-Nethys) et médiatique. Inadéquat vaut mieux que « j’ai merdé », distraction vaut mieux que « mes cumuls m’empêchent de penser et de faire attention à tout », collaborateur inexpérimenté (ou qui ne m’ont pas averti ou qui n’avaient pas toutes les informations ou qui etc.) vaut mieux que collaborateur zélé.

On peut en rire, plutôt jaune, mais ces glissements de sens et ces euphémismes sont des dérives dangereuses. Ces dérives sémantiques contribuent à enfumer les débats. Elles distraient (au sens propre) l’attention des électeurs et observateurs d’une analyse approfondie des fautes, parfois graves, commises par des politiques ou des responsables économiques. Et réduisent le « risque » de susciter des salutaires et nécessaires indignations. Il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que tend à s’imposer une culture politique du déni.

Une suggestion : les politiques peuvent aussi s’inspirer du monde médiatique, qui n’est pas en reste pour ce qui est d’enfumer. Ainsi, la lettre ouverte de Cyril Hanouna suite aux très nombreuses réactions suscitées par son « canular » téléphonique homophobe, est une leçon, même pour les meilleurs communicants politiques : « Je suis bouleversé à la lecture de certains témoignages ou commentaires, sur les réseaux sociaux ou encore d’autres sur le plateau, hier, de Touche pas à mon poste, après la diffusion du sketch dans mon émission RADIO BABA. » Stéphane Moreau, par exemple, aurait peut-être été absous s’il avait écrit (largement inspiré par la lettre de Hanouna) ceci aux parlementaires wallons : « Chers toutes, cher tous, Je suis bouleversé à la lecture de commentaires relatifs à la hauteur de ma rémunération. Tout cela m’a fait réfléchir en profondeur à la conséquence de certaines de mes attitudes. Cela ne se reproduira plus. J’ai décidé de me rapprocher des associations qui luttent contre la pauvreté, pour que ces derniers jours nous servent à toutes et tous pour avancer. Pour voir comment je pourrai m’engager, plus efficacement que nous l’avons fait jusqu’à présent, pour que recule l’insupportable exclusion. Pour que la différence cesse d’être une souffrance. »

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