Mémorial aux victimes des Khmers rouges © Reuters

Khmers rouges: Il y a 43 ans commençait le génocide cambodgien

Muriel Lefevre

Il y a quarante-trois ans les Khmers rouges pénètrent dans Phnom Penh. La suite sera une plongée dans l’horreur de quatre ans. Pol Pot instaure une dictature impitoyable à laquelle un cinquième de la population cambodgienne ne survivra pas. Christian d’Epenoux, journaliste à L’Express, raconte, sur base de témoignages, le récit de l’arrivée des Khmers rouges dans la capitale cambodgienne, le 17 avril 1975. Extraits.

 » La fête était finie. Tout craquait, tout s’effondrait. Phnom Penh était gangrenée par la corruption, le désordre, l’inconscience du lendemain. Il y a longtemps que les défenseurs de la ville avaient perdu tout esprit combatif. Ils se battaient à la petite semaine, sans conviction ni plan. »

Reclus dans sa résidence, coupé des réalités, le Premier ministre, Long Boret, n’ouvre enfin les yeux sur le désastre que vers le 15 avril 1975. « N’ayant plus confiance en personne, ne rencontrant plus autour de lui que la lâcheté et le vide créé par la fuite, il va convoquer un ultime conseiller, qu’il connaît depuis quatre ans : un journaliste, le correspondant de l’Agence France-Presse au Laos, Jean-Jacques Cazaux. Il va vivre les dernières heures de l’écroulement du régime depuis l’Etat-major.

« Les généraux d’état-major, apparemment toujours aussi inconscients, plaisantent dans un coin de la salle. A 2 heures du matin, beaucoup d’entre eux auront disparu : on apprendra, le lendemain, qu’ils n’ont attendu personne pour prendre la fuite… Lorsqu’il apprendra que les 30 000 défenseurs de Phnom Penh ont jeté leurs armes devant « un petit général » de 29 ans à la tête de ses 200 maquisards, il baissera encore une fois la tête et, accablé, dira simplement :  » Je ne comprends pas… »

Les Khmers rouges arrivent au pouvoir en avril 1975. Pendant près de quatre ans, au nom d’une idéologie révolutionnaire, le régime connu sous le nom officiel de Kampuchéa démocratique sème la terreur à travers le Cambodge en vidant les villes au profit des campagnes, épuisant la population par le travail forcé et organisant de vastes purges. Le régime de Pol Pot, un ex-professeur de mathématiques, est l’un des régimes les plus sanglants de l’Histoire.

Entre 1975 et 1979, un tiers de la population sera torturé, exécuté, affamé au prétexte que ces personne appartenaient au « nouveau peuple » des bourgeois, intellectuels et propriétaires. Car comme le dit un des slogans du régime «  qui proteste est un ennemi, qui s’oppose est un cadavre ». Au total on estime que 20% de la population, soit, 1,7 million de Cambodgiens, a été décimé durant cette période. Il s’agit ici de chiffres généralement admis. Une étude statistique liée à la démographie démontre que la surmortalité pendant cette période est comprise dans une fourchette entre 700 000 et 3,2 millions d’individus.

Néanmoins, la qualification de génocide n’est cependant pas encore reconnue sur le plan international

C’est pourtant vrai. Ce ne sont pas des hordes de Khmers rouges, comme on l’a cru d’abord, qui ont cueilli Phnom Penh « comme un fruit mûr ». Mais un jeune inconnu de 29 ans, surgi on ne sait d’où, qui, à la tête d’une poignée de partisans recrutés sur place, et avec une facilité déconcertante, s’est trouvé pour quelques heures le maître de la ville. Un personnage étonnant, ce Keth Dara. Il émerge pour la première fois vers 10 h 15, en cette matinée du jeudi 17 avril, en téléphonant d’un ton sans réplique à l’ambassade de France : « Je suis le commandant général des Forces de libération. Envoyez-moi immédiatement un journaliste. » Il est entouré de partisans en pyjama noirs, tous solidement armés.

« Ex-étudiant parisien, marié à une Française, fils d’un ancien ministre de l’Intérieur, il se dit le chef du Front du mouvement nationaliste, le Monatio. Les yeux d’un noir brillant, des traits remarquablement fins, il a un visage de félin qui l’autorise à se qualifier lui-même d’  » ancien playboy « . Keth Dara donne des détails annexes sur la matinée: « J’ai pris tranquillement mon petit déjeuner avec ma femme et mes deux enfants, puis je suis passé à l’attaque… »

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Un des plus étranges faits d’armes de l’histoire guerrière

Parti du boulevard du 18-Mars (ex-avenue Sihanouk) sur le coup de 7 heures du matin en compagnie de deux cents de ses hommes, Dara est parvenu à désarmer, en un clin d’oeil, les derniers soldats républicains, puis à occuper, sans résistance, la plus grande partie de la ville ! Seuls coups de feu : des salves, tirées en l’air, pour dissuader les rares défenseurs qui auraient pu avoir le coeur de se battre…

Sylvain Julienne photographe témoigne. « A partir de midi, pourtant, l’atmosphère change et s’alourdit. En longues colonnes, les Khmers rouges venus de l’extérieur pénètrent dans la ville. Hier encore, ils se battaient. Certains marchent depuis l’aube. Trimbalant des monceaux d’armes et de munitions. Ils sont sales, souvent affamés, épuisés par cinq années de durs combats. Entre eux et les hommes de Keth Dara, propres et souriants, le contraste est frappant. Dara, lui-même, n’aura pas savouré longtemps son pouvoir éphémère : il sera rapidement désarmé et écarté. Les nouveaux venus ne plaisantent pas : ils ont des ordres, ils les exécutent sans ménagements. Le fusil menaçant, ils contrôlent tout, la moindre voiture, le moindre piéton. Mais il se passe surtout un étrange phénomène : à l’aide de mégaphones, les Khmers rouges ordonnent à la population de quitter la ville. En quelques minutes, j’ai vu un flot humain déferler des maisons, et envahir la rue. Il n’y avait plus rien à faire, qu’à se laisser entraîner par la foule, qui avançait comme un fleuve : les habitants des quartiers nord étaient dirigés vers le nord, les autres vers le sud. Les révolutionnaires ont réellement voulu  » purger  » la ville. J’ai voulu m’échapper, remonter le courant : mais des soldats, d’un geste, me renvoyaient dans le flot humain… ». Réfugié dans l’ambassade de France, il ne perçoit plus des bribes de ce qui se passe à l’extérieur.

« La nuit, les premiers temps, surtout, nous entendions des fusillades espacées, et des explosions. On voyait aussi des lueurs d’incendies. Des planteurs, venus des campagnes, racontaient ce qu’ils avaient vu. Ici, une dizaine de gouvernementaux collés au mur et fusillés. Ailleurs, des pillages et des exécutions. « Ceux qui rechignaient à sortir des maisons étaient abattus comme des chiens », racontait un homme. Un médecin de l’hôpital Calmette, établissement français, avait relevé sept cas de viol. Les Khmers rouges, sans explication, ont fermé l’hôpital, où les chirurgiens, sans distinction, continuaient pourtant à accomplir un travail admirable. Et ils l’ont vidé de tous ses occupants : nous avons pu voir des malades et des blessés défiler devant l’ambassade, poussés sur leurs lits à roulettes, vers une destination inconnue. Les Khmers rouges n’ont que de rares médecins et peu de médicaments. Pour beaucoup donc, les chances de survie étaient faibles. Le 30 avril, l’ambassade française est évacuée à 6 heures du matin. Nous sommes montés à bord de vingt-cinq camions, à raison de vingt par véhicule, plus une escorte armée. Phnom Penh était absolument vide, comme une ville morte, et comme les autres villes traversées.

Via l’Express

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