Carte blanche

Charité bien ordonnée commence par soi-même

Deux ministres d’État ont fait ces derniers jours l’honneur aux lecteurs du Vif de leur adresser leurs opinions et conseils. De telles signatures ne pouvaient qu’appeler à une lecture attentive de leurs textes. L’attention, comme souvent, a mené aux questions.

Sans préjuger des positions précises de Ph. Maystadt dans les dossiers de politique étrangère de l’Union européenne, on peut s’interroger sur les interactions entre les réformes militaires qu’il suggère, l’harmonisation sociale européenne (dont il est partisan) et les actions menées à l’Étranger par l’Union européenne ou par ses membres les plus puissants. À lire Philippe Maystadt , il est de première urgence pour l’Europe de s’unir dans la défense contre le dumping de l’acier chinois et les agressions diverses de la Russie. Les actions de Moscou à la périphérie de ses frontières semblent inquiéter tout particulièrement le ministre d’État. Ses propositions de réorganisation des forces armées européennes visent de toute évidence à les préparer à intervenir dans ces conflits, à plusieurs milliers de kilomètres de notre pays. Les attentats que la Belgique et plusieurs de ses voisins ont subi de la part des terroristes envoyés par l’état islamique ne semblent en revanche lui inspirer aucune réaction vis-à-vis de pays qui ont de toute évidence une responsabilité dans ces attentats du fait de leur soutien à la version la plus rétrograde de l’Islam ou par le chaos qu’ils sèment au Moyen-Orient, préparant ainsi le terrain aux extrémistes. Il y a là plus qu’une fissure entre les préoccupations du citoyen et celle du membre de l’élite. Le type d’armée que préconise le ministre d’État ne serait évidemment pas efficace dans le cas d’une attaque massive de la Russie vers nos pays d’Europe occidentale. Elle serait en revanche bien apte à défendre une politique étrangère aux frontières de l’Europe, visant à contrer l’influence de Moscou dans les pays voisins de la Russie. Peut-être pourrait-elle un jour dans l’esprit du ministre agir dans les pays du Moyen-Orient dont les régimes ne conviendraient pas à l’Union européenne. Il ne s’agit donc plus de défense de notre territoire, mais bien d’intérêts « stratégico-économiques » à soutenir. Dans une démarche logique, il faudrait bien définir les intérêts communs à défendre avant de définir les moyens armés à prévoir dans ce but. Mais la guerre civile en Syrie nous montre à quel point la politique étrangère européenne ne constitue aucunement un ensemble cohérent, ce qui enlève tout fondement à la force d’intervention militaire européenne, telle que Ph. Maystadt en trace les grands traits. Les gouvernements du Royaume-Uni et de la France ont voulu une intervention armée pour chasser Bachar El Assad du pouvoir, au nom de la démocratie. Ce sont les deux pays européens qui ont de gros intérêts dans les hydrocarbures de la région. L’Allemagne s’est montrée la plus disposée à accueillir les réfugiés, au nom de la solidarité internationale. C’est le pays d’Europe à qui la dénatalité pose le plus gros problème de renouvellement de la main-d’oeuvre. Depuis 1975, le nombre d’enfants par femme y tourne autour d’une moyenne de 1,4 alors que le remplacement des générations demande environ 2,1 enfants par femme. Voici le graphique (disponible sur le site de la Banque mondiale).

Charité bien ordonnée commence par soi-même
© DR

L’on voit bien à quel point pour les trois plus puissants membres de l’Union européenne, « charité bien ordonnée commence par soi-même » quand bien même cette vérité est cachée derrière l’étendard de la démocratie ou de la générosité internationale. Le ministre d’État Flahaut si éloquent dans la dénonciation, justifiée, d’un langage ordurier dans l’expression des citoyens peut-il admettre la phrase du ministre Laurent Fabius « Bachar El Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre! », condamnation qui prend tout son sens quand on pense à la « solution » appliquée envers le colonel Kadhafi. Dans le cas de l’Ukraine, les positions européennes sont bien plus proches et aucun pays membre ne s’opposait aux tentatives d’associer ce pays à l’Union, en lui imposant au passage de rompre des accords économiques avec la Russie. Les raisons de ce consensus intriguent lorsque l’on considère le niveau économique des habitants de l’Ukraine, comparé à celui de la Chine (que l’on accuse d’utiliser ses bas salaires pour nous inonder de produits bon marché), de la Bulgarie (dont les habitants regrettent de plus en plus l’intégration à l’Union européenne) et de la Russie. Voici les chiffres publiés par la Banque mondiale : PIB par habitant, ($ PPA internationaux courants)

Fédération de Russie 24 451,4
Bulgarie 17 957,5
Chine 14 450,2
Ukraine 7 939,6

On voit bien à quel point l’intégration de l’Ukraine serait difficile. Ph. Maystadt, partisan de l’harmonisation sociale dans l’Union européenne peut-il soutenir cette politique qui rendrait encore plus difficile cette harmonisation ? Cette volonté d’incorporer à tout prix le pays le plus pauvre d’Europe dans l’Union a fini par inciter ses dirigeants à appuyer une insurrection, qui n’a pu aboutir qu’avec l’appui de forces para-militaires, dont l’une (« le régiment Azov ») s’affiche ouvertement sous l’insigne de la division SS « Das Reich », celle-là même qui s’était illustrée si horriblement à Oradour et en de multiples lieux d’Europe. Aux yeux du citoyen de base que je suis, il est évident que les buts de la politique étrangère de l’Union européenne et de ses membres les plus puissants (France, Royaume-Uni, Allemagne) sont loin des objectifs présentés. Étrangement, leur volonté de promouvoir la démocratie et les droits de l’homme ne s’affirme puissamment que pour les régions autour des bases militaires russes donnant accès aux mers chaudes. En dehors de certains intérêts pétroliers, il paraît donc que la politique étrangère de l’Europe s’inscrit dans la logique d’un Monde unipolaire, celui où plus aucune puissance ne pourrait s’opposer aux vues de l’Otan. L’idée qu’une alliance ultra-dominante garantirait la paix en dissuadant toute confrontation est certainement derrière cette stratégie. Est-elle réaliste ou non ? Est-elle souhaitable ou non? En tout cas, elle mérite débat, débat duquel on ne peut exclure les citoyens. L’Union européenne a trop souvent donné motif aux peuples de se sentir exclus de son processus de décision. N’est-ce pas là une forme de gifle à la démocratie, tout aussi condamnable que celle, dénoncée par André Flahaut, d’un électeur français à son premier ministre?

Bernard Bachelart, Citoyen déçu l’Europe

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