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Allemagne: la circoncision, une sacrée polémique

En assimilant l’ablation du prépuce à une blessure passible de poursuites, des juges s’attirent les foudres des juifs et des musulmans. Au-delà de l’opposition entre partisans de la liberté religieuse et défenseurs des droits de l’enfant, le débat révèle nombre de tensions outre-Rhin.

Le président israélien, Shimon Peres, a adressé une lettre à son homologue allemand pour défendre la circoncision, « au coeur de l’identité juive depuis des milliers d’années ». L’un des deux grands rabbins d’Israël est venu à Berlin pour intercéder auprès des autorités sur le même sujet. Et un ministre turc a estimé que la pratique de la religion n’était plus totalement garantie en Allemagne… Il ne se passe pas un jour, outre-Rhin, sans réaction indignée pour fustiger -ou défendre- le jugement d’un tribunal de Cologne, rendu public le 26 juin, aux termes duquel l’ablation du prépuce pour motif religieux est une blessure corporelle, dont les auteurs sont passibles de poursuites.

Envoyer un « signal clair »

Parmi les 4 millions de musulmans et les 200 000 juifs vivant dans le pays, la décision a semé le trouble, voire une incompréhension totale. « Je ne saisis vraiment pas ce qu’il y a de criminel dans cette opération », explique Sidar, qui avait 8 ans lorsqu’il a été circoncis et qui en garde, lui, le souvenir d’une grande fête : « Il y avait 150 invités et les adultes ont dansé toute la nuit. C’était un événement heureux, avec beaucoup d’enfants et de nombreux cadeaux, comme un mariage ou un anniversaire, poursuit ce lycéen berlinois aujourd’hui âgé de 15 ans. En tant que Turc, je ne peux pas me concevoir autrement », conclut-il. « Au-delà de la démarche religieuse, c’est un acte qui scelle l’appartenance à la collectivité », ajoute sa mère, Ayse Demir, porte-parole de la communauté turque de Berlin.

Dans l’espoir d’apaiser les passions suscitées par une sentence qui a enflammé les esprits, tant en Allemagne qu’à l’étranger, les députés du Bundestag veulent envoyer un « signal clair » aux communautés religieuses. Le 19 juillet, les élus ont demandé que, dès cet automne, le gouvernement leur soumette un texte de loi donnant un cadre légal à la circoncision non médicale. « Il faut dire aux juifs et aux musulmans que leur liberté de croyance est garantie en Allemagne », résume le « responsable religion » des Verts, Josef Philip Winkler, inquiet, comme beaucoup d’autres, des associations inéluctables avec le passé allemand. « Je ne vois pas comment des juifs pourraient continuer à vivre dans un pays tenant pour illégal un acte constitutif de leur vie spirituelle. Ce conflit est impossible à résoudre, sauf à quitter l’Allemagne », ajoute le conservateur Michel Friedman, avocat et éditorialiste, ancien président du Congrès juif européen. D’où l’impératif politique de rassurer les intéressés.

Problème: la mission adressée au gouvernement Merkel, via les services du ministère de la Justice, relève de la quadrature du cercle, tant sur le plan juridique que moral. Car autoriser l’ablation du prépuce pour des motifs religieux fait s’entrechoquer trois droits fondamentaux ancrés dans la Constitution allemande: celui d’exercer sa religion librement, celui pour les parents d’assurer l’éducation de leur progéniture, mais aussi le droit pour l’enfant au respect de son intégrité physique. Ce dernier prime-t-il sur les deux autres, comme l’affirment les pourfendeurs de la circoncision?

C’est un vrai casse-tête, concède la garde des Sceaux, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, dans une interview à l’hebdomadaire Der Spiegel: « Il ne s’agit pas d’une petite phrase à rajouter quelque part. » Pour le juriste Christian Ahrendt, député libéral (FDP) qui, en guise de protestation, a quitté l’Hémicycle au moment du vote, la question est insoluble: « Si le Bundestag se met à légiférer à partir de chaque décision de tribunal, on n’a pas fini! » s’exclame-t-il. Selon lui, le verdict de Cologne ne faisant pas jurisprudence, il aurait fallu laisser aux juges du pays le temps de la réflexion, en décidant au cas par cas: « Il y aura d’autres procès et d’autres avis sur la question. Où est l’urgence? » C’est aussi le point de vue de nombreuses associations de défense des droits des enfants, soutenues par la fédération des pédiatres et le syndicat de la police: ces opposants réclament un délai de deux ans pour « instaurer un dialogue objectif sur la circoncision, qui ne doit pas être seulement considérée comme un rituel […] ne concernant que la vie religieuse en Allemagne ».
Marlene Rupprecht fait partie de ces combattants de la première heure. Responsable de l’enfance au SPD (social-démocrate), cette ancienne professeure des écoles tient tout d’abord à clarifier deux points: d’une part, la liberté spirituelle doit être garantie dans le pays et, d’autre part, il est totalement déplacé d’évoquer la Shoah dans ce débat. « Nous avons tendance à nous figer dès que ce mot est prononcé, ajoute-t-elle, au lieu de poursuivre notre réflexion. » À son avis, mieux vaut se placer sur un plan médical, en tenant compte du bien de l’enfant. Or celui-ci ne peut se défendre contre ce qui constitue une agression irréversible pour son intimité, estime l’élue: « Cette opération chirurgicale n’a rien d’anodin, explique-t-elle, car on intervient dans une région du corps hautement sensible. Lorsqu’ils la pratiquent pour des raisons non religieuses, les médecins sont, du reste, beaucoup plus prudents qu’autrefois et tentent de la limiter au strict minimum. »

Connue outre-Rhin pour avoir fait voter, en 2000 au Bundestag, l’interdiction de la gifle dans l’éducation, elle estime que la circoncision, à l’image du baptême, pourrait évoluer: « Autrefois, on immergeait les bébés dans l’eau froide pour les baptiser, ce qu’aucun parent n’accepterait plus; aujourd’hui, verser quelques gouttes sur le front suffit. Pourquoi ne pas réfléchir à transformer un rite millénaire comme la circoncision? On peut au moins se poser la question. »
Un compromis est-il possible? Le comité d’éthique, instance chargée de conseiller le gouvernement allemand, vient de proposer d’autoriser l’intervention, à condition qu’elle soit pratiquée sous anesthésie par des médecins ou du personnel formé médicalement. Mais le débat ne fait que commencer. Nul doute que le texte finira devant la Cour constitutionnelle.

D’autres pays s’interrogent

En Autriche, les représentants des différentes communautés religieuses ont demandé au gouvernement, le 27 juillet, de confirmer le caractère légal de cette pratique après que le gouverneur de la province du Vorarlberg a décidé de la suspendre dans les hôpitaux publics de sa région.

En Suède, le débat est ancien. Des associations, dont la Société pédiatrique suédoise, militent pour l’interdiction de la circoncision lorsqu’il n’existe pas de raisons médicales permettant de la justifier.

En Suisse, plusieurs hôpitaux ont décidé, il y a quelques semaines, à la suite du jugement rendu par le tribunal de Cologne, de suspendre les interventions. Les représentants des communautés juive et musulmane ont protesté.

De notre correspondante Blandine Milcent , L’Express

L’affaire qui a tout déclenché Le tribunal de grande instance de Cologne avait à juger du cas d’une circoncision pratiquée sur un garçonnet musulman de 4 ans, ayant été suivie de complications médicales – dues au comportement de la mère, qui n’a pas respecté les règles de soins postopératoires. Dans un jugement du 7 mai 2012, rendu public fin juin, les magistrats n’ont pas condamné le médecin, mais estimé que le droit de l’enfant à son intégrité physique primait sur celui de pratiquer une circoncision effectuée pour des raisons religieuses. Les juges assimilent cette intervention à une blessure corporelle dont les auteurs sont passibles de poursuites, tout en reconnaissant l’existence d’avis différents sur la question.

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