Carte blanche

Veviba, lasagnes au cheval, fipronil : le « low-cost » à tout prix

Quand la direction de Veviba exige d’un employé précaire de faire des choses qui semblent sortir de l’entendement, il s’exécute et voit « du sang vert sortir de la viande ». C’est lui ou la viande avariée. C’est la loi du ‘low-cost’.

Il y a cinq ans, après être passée dans les mains de traders hollandais et chypriotes, puis travaillée au Grand-duché du Luxembourg pour le compte d’un intermédiaire français agissant pour une multinationale suédoise détenue par des groupes financiers (JP Morgan, Royal Bank of Scotland, Société Générale…), on découvrait que plus de 500 tonnes de viande de cheval d’origine supposée roumaine s’était métamorphosée en viande « pur boeuf » dans des lasagnes, hachis parmentier et autres moussakas vendues dans treize pays européens.

A l’époque, le directeur français de Findus avait déclaré « Nous ne pouvons pas contrôler chaque ingrédient » alors que le ministre français à la Consommation révélait qu’il ne pouvait pas « mettre un fonctionnaire derrière chaque pain de viande« . Au même moment, les autorités du Royaume rassuraient : une telle « affaire Findus » serait tout bonnement « impossible » en Belgique. Et pour la Commission européenne, cette « crise » n’était qu’une « question d’étiquetage« , car la viande n’avait simplement « pas été identifiée de manière correcte« . Et, histoire de faire digérer ce scandale au plus vite, combien de fois n’avons-nous pas entendu que la viande de cheval était « très bonne pour la santé« .

Après tout, en Belgique, la sécurité alimentaire, c’est un peu notre « cheval » de bataille ; souvent imitée, jamais égalée ! Ce n’est pas comme si les fièvres aphteuses et porcines ou le trafic d’hormones avaient succédé au scandale de la dioxine…

L’été dernier, on découvre des oeufs contaminés au fipronil, un biocide strictement interdit sur les animaux destinés à la consommation humaine. A l’épicentre de ce nouveau scandale se trouvent la Belgique et les Pays-Bas. Et le scandale sera mondial puisque quasi tous les pays européens seront touchés de même que des pays aussi lointains et improbables que Hong Kong, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, l’Irak ou encore les Etats-Unis d’Amérique. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, des oeufs de poule parcourent parfois des milliers et des milliers de kilomètres – et pas seulement pour les fêtes de Pâques. Mais pas de panique. Selon l’Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) au début du mois d’août 2017, si « l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) classe le fipronil comme étant moyennement toxique pour les humains« , il y a « zéro stress ; tout est bon en Belgique« . En effet, le produit, toxique et formellement interdit sur des animaux qui aboutissent dans la chaîne alimentaire, est bien présent dans les oeufs analysés, mais – le plus souvent – sous la norme autorisée. Donc, tout est sous contrôle. Fin janvier 2018, on apprenait que – quand même – près de 2 millions de poules avaient été abattues et précisément 77.375.000 oeufs détruits en Belgique. Après cette crise où la Belgique a été montrée du doigt dans le monde entier, le ministre fédéral de l’Agriculture, Denis Ducarme, applaudissait le travail de l’Afsca qui a été « excellent chez nous » tout en annonçant avoir débloqué 15 millions d’euros d’aides à destination des éleveurs, auxquels s’ajoutent 15 millions pour le secteur de la distribution et de l’agroalimentaire.

Et là, maintenant, sous nos yeux, nouvel épisode. Le pitch : « De la viande avariée vieille de 12 ans est partie de Bastogne (entreprise Veviba) pour être livrée au Kosovo ». Un bon whisky 12 ans d’âge, certains l’adorent. Mais une viande découpée il y a 12 ans… Bon, le Kosovo, c’est loin. C’est un peu comme les oeufs au fipronil envoyés au Liberia. Mais les risques sanitaires en Belgique devraient être très limités. Ouf. Il n’empêche, sur 200 palettes de viande contrôlées, 133 étaient non conformes aux règles de l’Afsca… Et pour Monsieur et Madame tout le monde, cela pose question. Notamment, comment un employé de Veviba peut-il se rendre complice d’une telle fraude, lui qui change l’étiquette d’une viande dont la consistance s’apparente à de la « bouse de vache » ? Peut-être parce que le coeur du problème, c’est le système ‘low-cost’ que l’on retrouve en première ligne dans tous ces scandales. Et que pour avoir de la viande bon marché dans votre hypermarché, le système va brader la qualité et les contrôles. A Bastogne, ce système a employé dans des conditions misérables des travailleurs polonais, hongrois ou encore roumains « fournis » par une société intérimaire installée au Grand-Duché du Luxembourg qui n’a pas même de site internet… Quand la direction exige d’un employé précaire de faire des choses qui semblent sortir de l’entendement, il s’exécute et voit « du sang vert sortir de la viande« . C’est lui ou la viande avariée. C’est la loi du ‘low-cost’.

Pour répondre à ce ‘bazar’, Denis Ducarme a lancé qu’il « fallait un avant et un après Veviba » alors que son homologue régional clame qu’il faut « mieux contrôler les contrôleurs« .

Et tout le monde sera bien d’accord : il faut un avant et un après Veviba. Mais la solution ne doit pas se limiter à la réforme de l’Afsca réclamée par Denis Ducarme. Ce n’est pas comme si l’oeuf au fipronil, le cheval devenu bovin, les fièvres aphteuses et porcines ou le trafic d’hormones avaient succédé au scandale de la dioxine sans que l’Afsca ne s’adapte… Le problème, ce sont toutes les « pratiques mafieuses » mises en place par le système ultra-dominant. Un système subsidié à tous les étages pour être plus performant par rapport aux autres agriculteurs et travailleurs au sens large qui sont mis en concurrence. Un système qui privatise les gains plantureux et collectivise sans vergogne les externalités négatives actuelles et à venir pour les générations futures.

Il faut revenir au caractère sacré et vital de l’alimentation, car actuellement le système dominant connaît le prix de tout, mais ne donne de la valeur à rien

Or, il faut réaffirmer avec force qu’une autre alimentation est possible ! L’après Veviba sera local ou ne sera pas. Il sera composé de petits producteurs locaux organisés et communiquant avec les mangeurs. Il sera obligatoirement respectueux de l’environnement (de l’atmosphère aux nappes aquifères) et de la santé de tous (animaux et humains), avec moins de transports hallucinants, plus de liens sociaux, des circuits courts, des emplois corrects et non délocalisables dans la distribution de proximité et des volumes financiers qui ne s’accumulent plus dans des paradis fiscaux, mais qui – au contraire – circulent dans les filières locales.

Tout ceci existe déjà un peu partout ici et ailleurs, mais sa croissance n’est en rien facilitée par les distorsions de concurrence systémiques entre le dominant et l’émergeant. C’est le momentum idéal pour soutenir les agriculteurs locaux, faciliter les filières courtes et soutenir le juste prix du travail de la terre. En revenir au caractère sacré et vital de l’alimentation, de la fourche à la fourchette, avec l’Humain au centre et non la finance, car actuellement le système dominant connaît le prix de tout, mais ne donne de la valeur à rien. Cette posture n’est en rien durable.

Collectif Nourrir Liège : Charles Culot (Cie Art & tça), Mariel Engels (Etudiante en Master en Communication multilingue, Université de Liège), Alexis Garcia (Cie Art & tça), Elisabeth Gruié (Ceinture Aliment-Terre Liégeoise), Christian Jonet (Ceinture Aliment-Terre Liégeoise), Pierre Ozer (UR Sphères, Université de Liège), Emilie Thomas (Centre Liégeois du Beau-Mur)

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