Gérald Papy

Syrie : massacre à huis clos

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

LES OPPOSANTS AU RÉGIME SYRIEN DE BACHAR AL-ASSAD sont-ils condamnés à ne devoir compter que sur eux-mêmes pour espérer goûter un jour à la liberté ?

La fin de non-recevoir que la Russie et la Chine ont opposée la semaine dernière à une résolution déposée devant le Conseil de sécurité des Nations unies par le Maroc au nom de la Ligue arabe, avec le soutien des pays occidentaux, incline à le penser. Il n’était pourtant question dans ce texte amendé ni d’embargo sur les ventes d’armes, ni de transfert de pouvoir au vice-président (initialement recommandé par la Ligue arabe), et encore moins d’intervention militaire, mais bien d’une condamnation des violences et d’une transition démocratique, soit le minimum acceptable pour les contempteurs de Bachar al-Assad. C’est dire l’intransigeance exprimée par Moscou et Pékin.

Elle s’explique par la « tromperie » de la guerre en Libye. Forts d’une résolution des Nations unies adoptée au nom de la « protection des civils », Français, Britanniques et Américains ont interprété de manière extensive ce droit d’ingérence nouvelle mouture et ont forcé in fine la chute de Mouammar Kadhafi, qui avait eu le tort de ne se rendre indispensable à personne. Moins fantasque et plus malin, Bachar al-Assad compte encore, pour la Russie en tout cas, qui voit en lui un allié stratégique, le dernier dans le monde arabe, et un facilitateur des relations avec l’Iran. Russie et Chine n’ont pas apprécié de s’être fait duper en Libye, elles qui, déjà par principe, expriment la plus grande méfiance à l’égard du droit d’ingérence, des revendications identitaires et de révoltes populaires dont elles ne sont pas à l’abri.

Le jusqu’au-boutisme de la Russie n’est pourtant pas sans risque pour son statut de grande puissance. Il y a fort à parier qu’elle se coupe durablement de plusieurs juteux marchés arabes, des porte-drapeaux de la révolution (Tunisie, Egypte) aux ténors de la diplomatie offensive (Qatar, Arabie saoudite). Et si, par ce sacrifice, Vladimir Poutine, contesté de l’intérieur, préparait en fait une confrontation autrement plus sensible avec l’Occident lorsque, comme certains le prédisent pour cet été, Israël s’aventurera à bombarder des installations nucléaires iraniennes ?

En attendant, dépassés par les arcanes de cette realpolitik, les civils trinquent. Les dirigeants syriens et leurs soutiens tablent pour l’heure sur l’impasse diplomatique et sur la faiblesse de l’opposition. Ce qui, par réaction, attise des projets discrets d’assistance, y compris armée, aux insurgés, notamment par l’entremise de l’omniprésent Qatar.

Le dossier syrien est de toute façon trop complexe et trop sensible (division de la population, place des minorités, influence islamiste, conflit israélo-arabe, rôle de l’Iran…) pour se hasarder à pronostiquer qu’une intervention militaire étrangère, fût-elle arabe, est la solution. Mais la répression sauvage que le régime syrien a engagée depuis quelques jours à Homs, provoquant le rappel de plusieurs ambassadeurs, dont celui de Belgique, fait douter que même la Russie, qui a dépêché son ministre des Affaires étrangères à Damas pour démentir le « permis de tuer » qu’elle aurait accordé de facto, puisse faire entendre raison à Bachar al-Assad. Il y a trente ans, Hafez al-Assad, son père, tournait la page de la répression sanglante de la révolte islamiste de Hama (de 7 000 à 35 000 morts) dans l’indifférence de la communauté internationale. L’Histoire ne peut pas se répéter.

Gérald Papy

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