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« Minga, Tchitcho, djire… » Nos mots pris à l’immigration italienne

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Aucun dictionnaire des belgicismes ne recense les pourtant très nombreux emprunts à l’italien qui sont d’usage courant en Belgique francophone, et en particulier dans certaines régions de Wallonie. En voici quelques-uns.

Baccala (n. m., de l’italien baccalà, morue): espèce de poisson que personne n’a jamais croisée en Wallonie. Par contre, on y voit bien plus de têtes de baccala, pas très belles ni très finaudes, que de têtes de merlans frits. Exemple :

– Maman, il y a Kevin qui m’a traité de Tchitcho bello !

– Comment ose-t-il ? Je viens de repasser ta camije dorée, pourtant. Je vais aller parler à la mère de cette tête de baccala. Elle va lui mettre une rame.

Camije (n. f., de l’italien camicia, chemise) : espèce de chemise, mais beaucoup plus belle, en général même elle a trop la classe. Exemple :

– Minga Maman, je vais faire un djire au Cora de Châtelineau, tu as repassé ma camije dorée ?

– Mais porca miseria Kevin, combien de fois je t’ai demandé de parler français : on dit chez Cora !

Djire (n. m., de l’italien giro, tour) : espèce de promenade, mais en plus classe, généralement à base de belles camijes, de gomina, de schkarpes et éventuellement d’un motorino qui pétarade ou d’une macchina qui rutile. Exemple :

– Migano Kevin on va faire un djire au Cora de Châtelineau ?

– Tu appeles ça un djire? Il n’y a que des têtes de baccala là-bas. Laisse-moi mettre mais nouvelles schkarpes et je t’emmène au Cora de La Louvière. Là c’est la classe.

Faire la douche (expression verbale, de l’italien fare la doccia) : prendre une douche. Exemple :

– Kevin, tu es tout sale ! Va vite faire la douche avant de mettre la chemise dorée que je viens de laver pour ton djire chez Cora Châtelineau !

Francesco to say I love you (refrain, de l’anglais I Just Called To Say I Love You): ce que chante Giuseppe, ancien cordonnier, ancien métallurgiste, ancien coiffeur, ancien témoin de Jéhovah, ancien Sicilien, dans la Basse-Sambre depuis cinquante ans, lorsqu’il veut ambiancer l’anniversaire de Ziù Achille un dimanche à Wanfercée-Baulet. Stevie Wonder ne peut pas voir ça. Mais il aurait pu l’entendre, le pauvre.

Forza ! (interjection, de l’italien forza !) : ce que dit le très doux rédacteur en chef (à demi flamand) du Vif/L’Express pour gentiment encourager ses talentueux collaborateurs. Exemple d’un sms encourageant :

Yup grand. Va ? Enkor un artik movais kom le dernier et je te vire fissa. Forza !

Dont acte.

Schkarpe (n. f., de l’italien scarpa, chaussure) : espèce de chaussure, mais beaucoup plus belle. Les schkarpes se portent généralement aux pieds, et leur rigoureux assortiment à la tenue du porteur demande une infinie minutie. Exemple :

– Kevin, combien de fois je t’ai dit de ne pas mettre tes schkarpes vernies avec ton training blanc ?

– Mais maman c’est un Sergio Tacchini à capuche, il a la classe.

– Tu es devenu fou ? Les gens ils vont te prendre pour un baccala là-bas au Cora de Châtelineau. Si tu veux avoir la classe avec ces schkarpes-là, mets ton peau de pêche Kappa.

Tchileje (n. f., de l’italien ciliegia, cerise) : espèces de cerises, mais beaucoup meilleures. Elles se vendent sur les marchés du Centre, du Borinage, de Charleroi et de la région liégeoise, où les maraîchers d’origine italienne ont depuis septante ans façonné la langue qui goûte et la langue qui parle de leur clientèle, friande de toutes sortes de salumi et de frutta. Tout le monde comprend et tout le monde aime. Et tant pis pour celui qui ne capiche pas. Exemple :

– Les belles tchilejes ! Qui veut mes belles tchileje ! Huit euros du kilo elles viennent juste d’être cueillies ! Les belles tchilejes ! Monsieur ?

– Est-ce que vous vendez des cerises ? Il m’en faudrait un kilo.

– Bien sûr monsieur. Voilà. Ça fait 12 euros.

Tchitcho (n. m., péjoratif) : surnom à connotation raciste donné aux Belges d’origine italienne, à partir de ce que le Wallon de base entendait de l’italien parlé. Le Tchitcho vient de Tchitcholie même et surtout quand il n’y est pas né, et on voudrait généralement qu’il y retourne parce qu’il mange le pain des Belges et qu’il profite de leur sécurité sociale en ne travaillant pas tout en leur prenant leur travail et surtout leurs femmes. Dans ce cas, et lorsqu’il a comme souvent la classe avec ses belles schkarpes, sa gomina et ses élégantes camije, le Tchitcho est bello et tout le monde est jaloux de lui.

Tchao (interjection, de l’italien ciao) : salutation que l’Italien d’Italie emploie pour dire bonjour, au revoir, à bientôt et à tout à l’heure, mais que le Wallon italianisé utilise surtout pour envoyer son interlocuteur se faire voir. Exemple :

– Et ta madre, elle a dit quoi, Kevin, quand tu lui as dit que tu venais avec nous au Cora ?

– Elle a gueulé dans tous les sens. Mais je m’en fous, moi je lui ai dit tchao.

– Mingano Kevin, t’es un ravagé toi ! J’oserais jamais insulter ma mère comme ça moi »

Macaroni (n. m., de l’italien maccheroni) : surnom à connotation raciste donné aux émigrés italiens. Entré dans la langue culinaire, il désigne alors ces pâtes si infâmes qu’elles ne méritent même pas un nom vraiment italien, cuites et surcuites dans un bouillon de fromage jaune et de jambon cuit. Elles sont même parfois surgelées. Définitivement le plus laid mot de ce lexique.

Madre (n. f., de l’italien madre) : espèce de maman, généralement plus autoritaire, apparue dans les années 2000 dans toute la Belgique francophone (et plus seulement dans les bassins industriels wallons). Son masculin, padre, dégage une aussi ferme bonhomie. Exemple fictif :

– Salut Pierre-Tancrède, tu passes à Molenbeek pour notre battle de street-dance ce soir ?

– Ah non désolé Mourad, mais ce soir mon padre veut absolument que je reste à Uccle pour écouter ma soeur. Marie-Mazarine doit répéter son spectacle de clavecin…

– Et si je demande à ma madre d’appeler ton padre ?

– Laisse tomber, c’est mort, fieu. Il ne plaisante pas avec le clavecin.

Minga (n. f., du sicilien minchia) : interjection et signe de ponctuation, référant à l’appareil génital masculin. Adopté par la Wallonie cinquante ans avant le nord de l’Italie, qui a dû attendre le succès des romans de Camilleri pour s’en emparer. Connaît de multiples formes, déclinaisons et variantes: Minga ti ! (plutôt à Charleroi), Minguè tè ! (disons vers La Louvière), Aming ! Chtaming ! Achtaming !, etc. et on a même la certitude d’occurrences infinies de Mingano ! dans la région liégeoise des années 1970 et 1980. Minga a donné aussi le nom minguioune, une espèce de tête de baccala mais en plus méprisable. Exemple : non, c’est trop impoli.

Ne pas voir l’heure (expression verbale, de l’italien non vedere l’ora) : être impatient. Exemple :

– Minga Maman, je ne vois pas l’heure que tu aies repassé ma chemise dorée, que je puisse aller faire un djire au Cora de Châtelineau

– Bravo pour le subjonctif Kevin ! Tu vois quand tu t’appliques, baccala !

Setca (acronyme féminin, du belge et masculin Syndicat des employés, des techniciens et des cadres) : pizza, bella mamma, pasta, minga, merda, ragazza, et même Italia sont au féminin. Pourquoi dirait-on le Setca, franchement ?

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