Claude Demelenne

Les vrais chiffres du parti Islam qui inquiètent le PS

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx ont réagi de façon musclée au discours du parti Islam. N’ en fait-on pas trop autour de cette formation ? Le PS craint une percée de l’extrême droite islamiste. Bien implantés dans certains quartiers populaires, les fous d’Allah veulent grignoter l’électorat socialiste d’origine arabo-musulmane.

« Le parti Islam place la religion au-dessus des lois. Il veut imposer la charia, mais c’est la loi qui doit s’imposer sur la foi ». Le président du PS joint l’acte à la parole : dans sa ville de Mons, il refusera toute demande de rassemblement de ce parti qui « menace l’ordre public ».La patronne du PS bruxellois, Laurette Onkelinx, préconise une « politique de fermeté ». Il faut « frapper fort », dit-elle, contre ce « parti liberticide » qui « ne respecte pas nos valeurs fondamentales ». Les deux dirigeants socialistes rappellent que le PS prône l’inscription de la laïcité dans la Constitution, ce qui donnerait une base légale à l’interdiction de ce type de parti.

Le parti Islam, pas si marginal

L’interrogation est légitime : n’en fait-on pas trop autour du parti Islam, marginal, lilliputien même, non représentatif de l’électorat musulman ? La réponse à cette question est absolument négative. Car le parti Islam n’est pas si minuscule et insignifiant qu’il n’y paraît. Son stock électoral, encore limité, pourrait grandir lors des prochains scrutins.

Les chiffres ne trompent pas. Ils sont plutôt alarmants. Créé à la veille du scrutin communal de 2012, le parti Islam aligne d’emblée des résultats qui interpellent. Présent dans seulement trois communes bruxelloises, il réussit à obtenir un élu dans deux d’entre elles (Molenbeek et Anderlecht), échouant de peu à Bruxelles-Ville. Les scores du parti Islam sont tout sauf ridicules pour une première expérience : 4,13% à Anderlecht (c’est mieux que le PTB et le Vlaams Belang), 4,12% à Molenbeek (c’est mieux que la NV.A et le Vlaamns Belang) et 2,9% à Bruxelles-Ville. A Molenbeek, le candidat du parti Islam, Ait Jeddig Lhoucine, réalise le 6eme score en voix de préférence, tous partis confondus.

Dépassant les 4% parmi l’électorat global, à Molenbeek, quel score réalise le parti Islam au sein de l’électorat musulman de la commune ? Impossible d’évaluer un pourcentage fiable, car il n’existe évidemment pas, en Belgique, de recensement religieux. Seule existe, à ce jour, une étude du sociologue Jan Hertogen (ancien chercheur à la KUL, qui collabore notamment avec l’UCL), datant de 2015, estimant à environ 40% la population musulmane à Molenbeek. Si l’on émet l’hypothèse que l’électorat issu de cette population forme la quasi totalité de l’électorat du parti Islam, il est probable – mais scientifiquement difficilement vérifiable – que celui-ci a capté la voix de bien plus que 4% de la population musulmane qui a participé au scrutin d’octobre 2012.

Deux ans plus tard, lors des élections législatives de 2014, le parti Islam veut élargir sa base. Il se présente dans deux circonscriptions, Bruxelles-Capitale et Liège. Une fois de plus, ses scores sont étonnants. Dans la circonscription bruxelloise, le parti Islam recueille 9.421 voix (près de 2%). C’est mieux que le Parti Populaire (8.651 voix), le CD&V (8.193 voix), le Vlaams Belang (5.165 voix) et Nation (extrême droite francophone, 1630 voix). Au final, il n’est pas anodin que près de 10.000 électeurs bruxellois aient voté pour une formation favorable à l’instauration, en Belgique, de la charia, la loi islamique.

Peu implanté à Liège, le parti Islam y a pourtant fait davantage que de la figuration : 4.000 voix sur l’ensemble de la circonscription, dont 1.577 voix (1,6%) dans le canton de Liège et des pourcentages quasi similaires dans les cantons populaires de Herstal, Saint-Nicolas et Dison. Dans la cité ardente, le parti Islam fait à lui seul plus de voix que les deux listes d’extrême droite, Nation et Wallonie d’abord.

Petit parti deviendra grand ?

Le parti Islam a annoncé que, lors des élections d’octobre prochain, il présentera une liste non plus dans trois, mais cette fois dans 28 communes. Est-ce possible ou s’agit-il d’un effet d’annonce pour faire le buzz, tactique également utilisée en communication politique ? Si la formation religieuse arrive à son objectif, c’est en région bruxelloise que le potentiel de progression de ce parti semble le plus important. Selon son porte-parole, il devrait être présent dans 14 des 19 communes bruxelloises. Dans ses fiefs de Molenbeek et d’Anderlecht, il pourrait franchir la barre symbolique des 5%. Dans ces deux communes, lors du scrutin de 2012, une liste islamo compatible, le parti Egalité, s’était présentée aux électeurs, réalisant un score avoisinant les 2%. Si ce parti Egalité est absent du prochain scrutin – ce qui sera sans doute le cas – une partie de ses électeurs musulmans rigoristes pourraient se tourner vers le parti Islam.

Le parti Islam pourrait également séduire une partie des électeurs musulmans déçus des partis traditionnels. Pour les plus conservateurs de ces électeurs musulmans, les motifs de déception ne manquent pas. Notamment, les partis, de gauche comme de droite, ont tenu bon sur la question de la laïcité, refusant d’appliquer la politique d’accommodements dits « raisonnables » et son cortège de dispositions controversées, sinon… déraisonnables : par exemple, autoriser le port du voile islamique dans l’ensemble des écoles et dans les administrations, aménager des plages horaires non-mixtes pour les femmes dans les piscines publiques, adapter les jours fériés en fonction du ramadan, voire permettre à un imam d’accompagner les classes lors des excursions scolaires, pour vérifier que « tout de passe bien » (certains ont proposé cette mesure surréaliste)…

Les accommodements dits « raisonnables » en faveur de l’islam conservateur ne sont plus à l’ordre du jour. Personne n’en veut dans la classe politique, comme d’ailleurs parmi les citoyens musulmans eux-mêmes, hormis une minorité, celle là même qui pourrait se tourner vers un parti Islam offensif pour imposer le respect des dogmes religieux. Il s’agit d’un réservoir de voix à ne pas sous-estimer pour le parti Islam.

Islam drague l’électorat arabo-musulman du PS

Jusqu’à ce jour, le vote en faveur du PS, surtout à Bruxelles, est le premier choix pour les électeurs d’origine arabo-musulmane. Historiquement, le PS a été le premier parti, dès la fin des années 1980, à ouvrir ses listes à de nombreux candidats issus de l’immigration, notamment maghrébine, dont certains accéderont à des postes ministériels (Rachid Madrane, Fadila Laanan…). Les socialistes touchent les dividendes de leurs choix politiques avant-gardistes : une fraction importante des citoyens d’origine arabo-musulmane constituent un électorat captif pour le PS. En clair, ces citoyens n’envisagent pas de poser un autre choix que le vote en faveur du PS. C’est vers ce vote que lorgne le parti Islam, estimant qu’il peut convaincre un nombre croissant de musulmans. Une pure chimère ? On peut le penser, tant la grande majorité des musulmans de Belgique sont loin des élucubrations du parti Islam sur la charia et la transformation de notre pays en un Etat islamique.. Mais le danger n’est pas nul pour le PS. Surtout à Bruxelles, où chaque voix compte, dans un contexte de compétition exacerbée avec le MR pour la place de premier parti dans la Région.

L’évolution du corps électoral et les transferts de voix réservent parfois des surprises.Ainsi, qui aurait pensé que les bataillons d’électeurs communistes, en France, se rallieraient massivement au Front National ? Il ne faut pas sous-estimer l’attrait que peut exercer le parti Islam dans certains quartiers populaires.D’où l’attitude ferme des dirigeants du PS qui n’ont pas envie de laisser à la NV.A et leurs alliés libéraux, le monopole du combat contre le parti Islam. Paradoxalement, et même si exagérer l’importance de ce parti serait une erreur, c’est le PS qui a sans doute le plus à perdre, dans un scénario d’implantation d’une nouvelle formation confessionnelle sur l’échiquier politique.

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