Anouk Vandevoorde

Les étudiantes doivent-elles vendre leur corps pour payer leurs études ?

Anouk Vandevoorde Responsable de Comac, le mouvement étudiant du PTB

Pour beaucoup d’étudiant.e.s, la rentrée académique est synonyme de stress. Non seulement les séminaires et les travaux pratiques reprennent, les échéances se multiplient à nouveau, mais en plus, bon nombre d’étudiant.e.s doivent se débrouiller pour amasser suffisamment d’argent.

Ils et elles doivent en effet acheter de nouveaux livres, du matériel scolaire, payer le loyer de leur kot et bien sûr leur minerval. L’ensemble de ces frais s’élève à plus de 10 000 euros par an pour les étudiant.e.s en kot. C’est la raison pour laquelle de plus en plus d’étudiant.e.s cherchent un job, pendant les vacances, mais aussi de plus en plus souvent pendant l’année académique. Cet été, la Belgique a dépassé le nombre record de 500 000 étudiants jobistes. L’entrepreneur norvégien Sigurd Vedal a vu dans cette augmentation du coût des études un filon à exploiter : il a lancé dans notre pays une plateforme permettant aux étudiantes d’entrer en relation avec de riches « sugar daddies » en échange de cadeaux onéreux. Les publicités de Rich Meet Beautiful jouent explicitement sur les besoins financiers des étudiantes. À l’Université Libre de Bruxelles (ULB), la présence d’un de ces panneaux publicitaires a immédiatement suscité de vives réactions. De nos jours, les étudiantes doivent-elles vendre leur corps pour payer leurs études ?

À en croire le PDG de Rich Meet Beautiful, la Belgique est l’un des cinq marchés prioritaires de cette entreprise. C’est pourquoi elle a décidé de lancer une campagne marketing massive dans notre pays. Le panneau publicitaire sur lequel est représentée une femme dénudée, à côté du message « Hey étudiantes ! Améliorez votre style de vie, sortez avec un sugar daddy« , a — heureusement — indigné beaucoup de personnes. En tant que femme, j’étais d’autant plus dégoûtée. L’idée que des étudiantes doivent se déshabiller devant de vieux riches pour joindre les deux bouts me répugne profondément. Et la réaction du fondateur de ce site internet amplifie encore ce sentiment jusqu’à son paroxysme. « Je ne vois aucune différence avec le fait de payer un repas ou d’offrir un bouquet de fleurs à des amis », a déclaré cet entrepreneur norvégien peu scrupuleux. « D’autre part, il ne faut pas se voiler la face : les femmes sont déjà attirées par les hommes riches. Cendrillon serait-elle tombée amoureuse du prince s’il n’avait pas eu de château ? » Je pensais personnellement que le Moyen-Âge était une époque révolue depuis longtemps, mais apparemment, ces idées ont survécu jusqu’au XXIe siècle et il est encore possible de s’enrichir grâce à celles-ci.

Le site internet RichMeetBeautiful.be regorge de clichés sexistes de cet acabit. Voici par exemple un extrait du paragraphe intitulé « Recevez ce que vous méritez » : « Vous mettez tous vos efforts pour être la plus belle et vous méritez d’être traitée en adéquation. Les hommes sur RmB le savent, ils veulent que vous soyez la plus jolie, et réalisent qu’une femme si belle a besoin de longues heures de shopping, d’un goût impeccable et de voyages exotiques. » Je me demande combien de jeunes femmes se reconnaissent dans un tel discours — très peu, si vous voulez mon avis. Aux hommes, on promet que ce sont eux « qui ont leur mot à dire » dans la relation. Ils peuvent choisir leurs sugarbabies en fonction de leur origine ethnique, de leur âge ou selon d’autres préférences. Bien sûr, tout adulte a le droit d’entretenir des relations avec qui il ou elle l’entend, tant qu’il y a bien consentement mutuel. Mais on touche quand même le fond lorsqu’on voit qu’il est désormais possible de choisir « à la carte » des étudiantes désespérées et précarisées sur une plateforme en ligne, pour se payer une relation sans lendemain douteuse.

Le bourgmestre de Bruxelles a entre-temps interdit les panneaux publicitaires de cette entreprise et le ministre francophone de l’enseignement promet de lancer une campagne de sensibilisation en matière de prostitution. Ce sont là de bien belles intentions, mais cela ne résoudra pas le problème. Une étude menée par le Conseil étudiant de Gand et la VVS (l’Association flamande des Étudiants) a montré que 17,7 % des étudiant.e.s ont du mal à financer leurs études. Ce chiffre s’élève même à 33,6 % pour les étudiant.e.s boursier.e.s. En Belgique, le nombre d’étudiant.e.s devant survivre avec un revenu d’intégration sociale du CPAS a été multiplié par sept au cours des quinze dernières années. S’il devient impossible de se payer des études, d’autres vautours sans scrupule pourraient pointer le bout du bec avec d’autres propositions indécentes. Il est clair que c’est la marchandisation forcée de la société qui permet l’émergence de telles pratiques et cela se ressent aussi dans l’enseignement supérieur. La politique extrémiste de libre marché est en train de détruire le peu de décence qui subsistait dans notre société : elle rend l’enseignement supérieur toujours plus cher, puis les défenseurs de ce libre marché recommandent aux étudiantes de recourir aux sugar daddies pour payer leurs études. Dans un pays moderne et prospère comme la Belgique, une telle situation ne devrait-elle pas être impensable ?

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