Carte blanche

« Les cheminots sont souvent traités de profiteurs. À tort »

Les usagers du rail sont souvent représentés comme des otages des syndicats. Nous ne nous reconnaissons pas dans cette image et en tant que citoyens-usagers nous souhaitons témoigner notre solidarité à l’égard des protestations sociales qui ont lieu aux chemins de fer » écrit un groupe d’académiciens de l’Université de Gand, de l’Université d’Anvers et de la VUB.

« Les cheminots en grève sont les activistes du climat du 21e siècle »(Naomi Klein)

Les troubles sociaux qui touchent les chemins de fer ont dépassé le niveau 3. Bien que pour l’instant on ait renoncé aux grèves de train en Flandre, on fait la grève en Belgique francophone. Les usagers du rail sont souvent représentés comme des otages des syndicats. Nous ne nous reconnaissons pas dans cette image et en tant que citoyens-usagers nous souhaitons témoigner notre solidarité à l’égard des protestations sociales qui ont lieu aux chemins de fer.

Nous constatons que les transports de commun font l’objet de critiques. Alors que les besoins en matière de mobilité augmentent, les chemins de fer risquent de perdre 3 milliards d’euros – 20% de leurs subventions publiques. Alors que tous les pays se sont engagés au sommet du climat à Paris à réduire systématiquement leurs émissions de CO2 – insuffisamment, mais quand même – le gouvernement Michel donnera de nouveau priorité au « roi auto » et aux particules fines. N’oublions pas, en effet, que l’état subit un manque à gagner de 4,1 milliards d’euros suite au système d’avantages fiscaux pour les voitures de société.

Nous avons également pu constater par expérience que la qualité du service a baissé. Si les trains à deux niveaux transportent plus de personnes, il y a un manque de places et de liaisons ferroviaires pendant les heures de pointe. Des études révèlent que la plupart des trains roulent plus lentement. L’organisation des chemins de fer ploie sous la bureaucratisation galopante. Infrabel et la SNCB sont des structures séparées où les responsabilités des dysfonctionnements sont répercutées les uns sur les autres.

Les multiples défaillances de locomotives expliquent le grand nombre de suppressions de trains. Le manque d’investissements est à l’origine de pannes qui à leur tour sont résolues tardivement. Certaines voies devraient être dédoublées pour vraiment renforcer la capacité, mais tant Infrabel que les directions de la SNCB préfèrent les liaisons à haute vitesse hors de prix.

Une politique anti client

Comme s’il n’y avait pas encore assez de problèmes, le gouvernement souhaite réaliser des économies supplémentaires. D’ici 2019, la ministre de la Mobilité Jacqueline Galant (MR) souhaite baisser la subvention publique de 20%, réduire le personnel, fermer les lignes prétendument non rentables, fermer des guichets et des gares, et last but not least, d’augmenter les tarifs. Une telle politique est fondamentalement anticliente et a pour but de préparer une privatisation, comme c’est le cas chez BPost et Belgacom-Proximus. C’est un scénario catastrophe qui met la sécurité en péril et incitera des dizaines de milliers à navetteurs à se rabattre sur leur voiture.

Les cheminots sont souvent traités de profiteurs. À tort.

Dans les médias, une campagne de diffamation fait rage contre les cheminots. Au lieu de considérer la semaine de 36 heures comme la norme pour les prestations de travail lourdes dotées d’horaires irréguliers, les cheminots sont traités de profiteurs. C’est particulièrement scandaleux, et certainement quand on sait que les cadres supérieurs d’Infrabel et de la SNCB touchent à peu près 300 000 euros par an ! Et apparemment, les innombrables consultants très bien payés ne sont pas capables non plus de remplir les trains. Bref, il nous paraît particulièrement injuste d’accuser uniquement le personnel exécutant.

Trop souvent, les usagers du rail sont mobilisés contre les actions du personnel des chemins de fer. Ainsi, Test-Achats a introduit une action en réparation collective en vue d’indemniser les voyageurs touchés par les jours de grève de ces deux dernières années. Il ne fait pas de doute qu’une approche plus pédagogique à l’égard du public augmenterait le soutien envers les syndicats. Pourtant, en tant qu’usagers réguliers, on ne peut se retrouver dans de telles actions juridiques. Elles visent à abolir le droit aux services publics à faire la grève.

Même si les grèves nuisent et qu’elles nous obligent parfois à travailler à domicile, nous trouvons qu’il faut respecter ce droit constitutionnel. La meilleure façon d’éviter des grèves, c’est de miser sur la concertation sociale et un financement adéquat. Si nous souhaitons que les services publics proposent un service de qualité, il faut financer une grande partie à l’aide de subventions de l’État. C’est une fiction que d’espérer des chemins de fer autosuffisants. Ils exigeraient en effet une augmentation de prix qui ferait baisser le nombre de voyageurs à vue d’oeil.

Guichets ouverts pour usagers vulnérables

Nous écrivons cette lettre parce que nos chemins de fer nous tiennent à coeur. Parce que réalisons que trop bien que sans chemins de fer de qualité, tout le monde paiera ses frais de transport plus cher et nous polluerons dix fois plus. Parce que le seul service accessible et de qualité est un service public. Pour toutes ces raisons, nous nous opposons contre les augmentations de prix antisociales et la limitation de liaisons ferroviaires. Nous estimons qu’il faut un guichet ouvert dans toutes les gares afin de pouvoir aider les usagers vulnérables. Les accompagnateurs de train contribuent à la sécurité des voyageurs et ne constituent pas un luxe superflu.

En tant que citoyens et usagers, nous pensons que des chemins de fer de qualité constituent un élément essentiel d’une société vivable, juste et démocratique. Aussi attendons-nous du gouvernement – quelle que soit sa couleur politique – qu’il s’occupe des chemins de fer.

Cette carte blanche est signée notamment par:

Koenraad Bogaert (politologue, Université de Gand)

Stephen Bouquin (sociologue, Univ. Evry Parisud et Anvers, Critica)

Pascal Debruyne (sociologue, Université de Gand)

Maïka De Keyzer (historienne, Utrecht)

Raoul Flies (Masereelfonds Saint Nicolas et Hart Boven Hard Waasland)

Bart De Sutter (historien, Université d’Anvers)

Sacha Dierckx (politologue, Poliargus)

Jan Dumolyn (historien, UGent)

Vincent Scheltiens-Ortigosa (historien, Université d’Anvers)

Robrecht Vanderbeken (philosophe, auteur de ‘Buy Buy Art’, EPO 2015)

Annemie Verbeiren (activiste, Solidarity For All)

Karin Verelst (philosophe, VUB)

Jelle Versieren (historien, Université d’Anvers)

Sara Wagemans (activiste, Hart boven Hard)

Mischa Van Herck (sociologue)

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