Gérald Papy

La bataille perdue de Damas

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dans son dernier ouvrage Vers un nouvel ordre du monde (Seuil), le spécialiste de géopolitique Gérard Chaliand explique que « la guerre d’Afghanistan est la dernière opération occidentale d’envergure avec déploiement de nombreuses troupes au sol ». Car si hier, « le centre de gravité d’un conflit était la force militaire de l’adversaire », aujourd’hui, justifie-t-il, ce sont « les opinions publiques, qui ne peuvent plus encaisser de pertes de soldats professionnels au combat ».

A cette aune, ce n’est pas demain que les Etats-Unis vont intervenir en Syrie. Selon un récent sondage New York Times-CBS, 62 % des Américains rejettent l’idée que leur gouvernement devrait y « faire quelque chose ».

Quand bien même, il n’est pas acquis que l’opinion publique occidentale estimerait aujourd’hui qu’une action militaire aux côtés des rebelles pour renverser le régime de Bachar al-Assad participerait d’une « guerre juste ». Les manuels d’histoire militaire retiendront peut-être que l’opposition syrienne est le premier mouvement de libération nationale à avoir dilapidé aussi brutalement son crédit aux yeux des citoyens occidentaux.
Trois étapes ont illustré ce désamour. Pourtant portée par l’effervescence des « printemps arabes », la contestation syrienne se révèle rapidement incapable de s’unir, de taire ses divisions et de s’afficher comme une alternative crédible. Dans un deuxième temps, les « combattants de la liberté », membres de l’Armée syrienne libre, sont progressivement supplantés sur le terrain par des groupes islamistes radicaux, plus combatifs et mieux armés, soutenus par l’Arabie saoudite et le Qatar, pourtant alliés présumés des Occidentaux. La méfiance s’installe que l’embrigadement de jeunes illuminés belges viendra encore renforcer. Enfin, troisième temps, des actes constitutifs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, largement diffusés via les réseaux sociaux même s’ils seraient isolés, et des accusations, quoique peu fondées, de recours à l’arme chimique ont fini de brouiller la distinction, chez le spectateur, entre les (soi-disant) bons et les (soi-disant) méchants.

Les conséquences de ce basculement idéologique sont cruciales pour la suite du conflit. La France s’est résolue à remiser sa proposition d’armer les rebelles et les Etats-Unis ont concédé à la Russie, indéfectible alliée de la Syrie, une conférence diplomatique à laquelle sont conviés sur pied d’égalité l’opposition et le pouvoir. Pourtant, le pouvoir syrien masque à peine l’apport du Hezbollah chiite libanais et des instructeurs iraniens à sa reconquête territoriale, notamment dans la ville-clé de Qousseir. Pour ce faire, il n’hésite pas à multiplier les massacres de civils (les derniers en date concernent des villageois sunnites). Et malgré des promesses répétées, il reste imperméable à toute véritable ouverture démocratique.

Faute d’être intervenus plus vite et plus habilement, les Occidentaux se retrouvent prisonniers d’un piège que Bachar al-Assad, en fin stratège comme son père, s’est évertué à refermer sur eux, en agitant au besoin, tantôt en Turquie, tantôt avec Israël, la menace d’une déflagration régionale. Ils devraient cependant se souvenir que la révolte syrienne, à l’origine pacifiste, était l’ultime réponse du peuple syrien à plus de quarante ans de dictature d’un clan.

GÉRALD PAPY

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire