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Crise : les consommateurs en alerte

Inquiets des effets de la crise, les clients sont devenus plus regardants sur leurs achats. Ils épargnent, ils comparent, ils reportent à plus tard. L’austérité leur a appris à consommer malin.

C’est du jamais-vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : en raison de la crise, les consommateurs belges achètent moins de nourriture. Y compris ceux dont le pouvoir d’achat ne souffre pas (encore) trop du ralentissement économique ni des mesures d’austérité décidées par le gouvernement. « Le pouvoir d’achat ne représente qu’une des composantes du comportement du consommateur, détaille Marc Mondus, consultant senior chez le spécialiste de la consommation GfK Panel Services. L’autre élément qui dicte ce comportement, c’est la confiance en l’avenir. »

Manifestement, elle n’est pas au beau fixe. « C’est la pire période d’inquiétude traversée par la classe moyenne depuis vingt ans, assure Gino Van Ossel, professeur de marketing à la Vlerick Management School. Le nombre de gens touchés est très important. Or, dès que les consommateurs sont inquiets, ils mo- difient leur comportement d’achat. » De fait. Tant l’ampleur de leurs achats que leurs façons d’acheter ont changé en quelques mois. Le taux d’épargne ne cesse d’ailleurs d’augmenter : de 16,5 % l’an dernier, il devrait passer à 17,2 % en 2012.

« Nous n’avons jamais enregistré autant de demandes d’informations sur les moyens de réaliser des économies ou de changer de fournisseur d’énergie ou de téléphonie », confirme Jean-Philippe Ducart, porte- parole de Test-Achats.

Dans les boutiques, depuis quelques mois, l’effet « fin de mois » se fait davantage ressentir sur le montant moyen des tickets. Les clients reportent de quelques jours leurs achats, en attendant que leur compte en banque se renfloue. Lors de la dernière rentrée scolaire, en septembre, les parents ont aussi remis aux tout derniers jours d’août les dépenses nécessaires pour remplir les cartables de leurs bambins.

Même les soldes d’hiver ne rencontrent pas le succès escompté par les commerçants. « Les clients achètent moins ou attendent la fin des soldes pour acheter encore moins cher », constate Dominique Michel, administrateur délégué de Comeos, la fédération patronale du secteur de la distribution.

La chasse au gaspi est lancée

Bref, les consommateurs sont frileux. Du coup, ils sont davantage attentifs à moins gaspiller. En règle générale, on considère que 10 % des achats alimentaires finissent à la poubelle. En organisant mieux ses repas en fonction des aliments rangés dans le frigo, le congélateur et les armoires, il y a déjà là de la marge pour économiser.

« Dans la grande distribution, les clients ne reportent pas ni ne renoncent à leurs achats, mais ils optimisent leur consommation », résume Marc Mondus. Les Belges sont ainsi de plus en plus nombreux à fréquenter les distributeurs dits de hard discount, comme Aldi et Lidl, qui ne sont, paradoxalement, pourtant pas les moins chers du marché. Depuis septembre 2011, leurs ventes ont augmenté de 5 à 8 % par rapport à l’année précédente. Il est loin le temps où certains renonçaient à ces enseignes de peur d’y croiser un voisin et d’être considéré comme socio-économiquement défavorisé. Sur les parkings de ces magasins, il n’est pas rare, désormais, de repérer une BMW ou une Mercedes. « Ces clients aisés prouvent ainsi qu’ils achètent malin », relève Isabelle Schuiling, professeure de marketing à la Louvain School of Management. Quelque 85 % des Belges s’approvisionnent aujourd’hui chez ces fournisseurs.

Les consommateurs belges, généralement friands de promotions en tout genre, le sont plus encore en temps de crise et craquent volontiers pour des paquets plus grands ou vendus à prix réduit. En témoigne le succès remporté par l’enseigne néerlandaise Kruidvat, implantée en Belgique, notamment sur ses ventes de produits de soins et cosmétiques. A quel prix ? Une politique de promotion très agressive : un produit acheté donne droit à un second gratuit. « Leurs ventes dans ce secteur ont augmenté de plus de 10 % », relève un analyste.

Logiquement, les marques de distributeur, moins onéreuses puisque produites par les enseignes elles-mêmes, bénéficient elles aussi de la crise et gagnent : près d’un client sur trois (32 %) opte désormais pour ce type d’achat, contre 25 % en 1995. La nouvelle génération est, il est vrai, née en même temps que les marques des grandes chaînes et y est totalement habituée. C’est moins le cas des plus de 50 ans qui résistent plus à ce type de produits.

Un climat de fin du monde

Les produits non alimentaires, sur lesquels les consommateurs peuvent davantage faire l’impasse à l’heure de se serrer la ceinture, sont clairement touchés par le ralentissement des ventes. Au premier rang de ceux-ci, les vêtements et l’électroménager. « En septembre dernier, au plus fort de la crise grecque, on a senti une énorme crispation avec une très forte chute des dépenses, relève Augustin Wigny, administrateur de Caméléon, leader de la vente privée d’articles de mode et de décoration en Belgique. C’était un climat de fin du monde. »

Depuis, les choses se sont un peu apaisées. Mais le secteur de la mode reste exposé. « Les clients s’orientent de plus en plus vers des vêtements qui peuvent durer plusieurs années et survivre aux effets de mode », souligne Dominique Michel.

Certains d’entre eux s’approvisionnent peut-être aussi dans le réseau des secondes mains. Même si celui-ci ne provoque pas de lame de fond structurelle, il s’impose de plus en plus dans le paysage. Ainsi, une personne sur dix, parmi les 1 000 personnes interrogées par un récent sondage, ont acheté leurs cadeaux pour les fêtes de fin d’année chez Troc. Cette enseigne de seconde main a d’ailleurs enregistré une progression de ses ventes de 35 % par rapport à la fin 2010.

« On assiste très clairement à une modification du profil de la clientèle qui vient acheter et vendre chez nous, embraie Chantal Heymans, directrice du réseau Cash Converter en Belgique. Ce phénomène s’explique par la crise mais aussi par un changement de mentalités : les clients vendeurs se rendent compte que certains biens qu’ils possèdent sans les utiliser peuvent servir à d’autres tout en leur rapportant de l’argent. Quand, en sens inverse, ils achètent, ils optent d’abord pour de petits objets, comme des DVD par exemple. Puis, une fois en confiance, ils achètent des produits plus grands ou plus chers. En 2011, nos ventes ont augmenté de 27 %. L’achat de seconde main est aujourd’hui totalement décomplexé. »

La Toile, lentement mais sûrement

Et les ventes sur Internet ? Si elles représentent toujours un phénomène très minoritaire – 3 % seulement des ventes totales sont effectuées en ligne -, elles confortent au fil du temps leur place sur le marché. « Les ventes privées ont le vent en poupe et la récession risque d’accélérer ce phénomène », anticipe Gino Van Ossel. A la fois parce que les produits ainsi vendus sont souvent moins chers et parce que le consommateur belge s’habitue peu à peu à ce nouveau canal d’approvisionnement. Caméléon s’attend ainsi à ce que 50 % de ses ventes se réalisent cette année sur Internet, via la plate-forme créée pour les besoins de la cause.
Enfin, les magasins éphémères, comme Chronostock, qui s’installent pour six mois au maximum dans des locaux commerciaux vides pour y vendre des articles de marque, neufs, à prix réduit de 20 à 50 %, constituent un autre moyen de faire ses achats à l’économie. Mais pour l’instant, ils n’ont guère d’impact sur le marché.

Globalement, on le voit, l’achat malin s’est généralisé avec la crise. Informés, critiques et plus exigeants, les clients comparent aujourd’hui les offres et les prix, grâce à Internet. Ils sautent d’une enseigne à l’autre en fonction de leurs intérêts : en la matière, la fidélité n’existe pas… Et quand bien même la crise prendrait soudainement fin, on n’en reviendra pas au comportement d’achat qui prévalait par beau temps économique.

Tout au plus le consommateur s’offrira-t-il davantage de petits plaisirs alors qu’il ne s’en octroie plus que quelques-uns aujourd’hui. Ainsi, alors que les ventes de desserts diminuent en volume, le chocolat, lui, se porte bien. Comme les ventes de tablettes et de smartphones, qui font un tabac. « A chaque récession, on observe un comportement difficile à expliquer dans le chef des clients, relève Gino Van Ossel. C’est, cette fois, le cas des iPod. » Quand il a le choix, l’être humain a décidément du mal à n’être que rationnel…

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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