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8 juges contre la fraude fiscale ? Bien mais pas suffisant

Le Vif

La ministre de la Justice Annemie Turtelboom et le secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude John Crombez sont venus confirmer mercredi, lors d’une visite de travail, l’arrivée de 8 juges spécialisés en matière fiscale, dont 3 à Bruxelles, une annonce saluée par les magistrats de la capitale mais jugée insuffisante face à l’arriéré et à la complexification des dossiers, et à l’évolution de la pyramide des âges.

Les 8 juges supplémentaires recevront l’appui de 7 greffiers supplémentaires et seront répartis entre l’arrondissement de Bruxelles (3), la Flandre orientale (1), la Flandre occidentale (1), Anvers (1), Liège (1) et le Hainaut (1). La procédure de recrutement prendra environ 6 mois, a indiqué la ministre de la Justice. Selon elle, chaque juge supplémentaire en matière fiscale et financière est susceptible de générer jusqu’à 3 millions d’euros. Les 8 juges fiscaux supplémentaires peuvent donc potentiellement rapporter des recettes supplémentaires estimées à 24 millions d’euros.

La mesure s’inscrit dans le cadre des ressources supplémentaires que la ministre Turtelboom avait sollicitées et obtenues plus tôt en vue du renforcement des parquets en matière fiscale et dont la procédure de recrutement est déjà en cours. Un coup de pouce est ainsi donné à la réforme de la justice, dont un des objectifs principaux est davantage de magistrats spécialisés, a souligné la ministre. Mais pour le procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles, Lucien Nouwynck, l’annonce n’améliorera pas la situation d’un cadre de 26 magistrats resté inchangé depuis 15 ans, en dépit de la complexification des affaires. Celui-ci doit faire face au départ de 5 magistrats à la pension durant l’année judiciaire 2013-2014. « Pour nous, c’est une opération blanche », a-t-il fait observer.

« Je suis au Parquet général depuis 1993 mais aujourd’hui, c’est un autre job qu’il y a 20 ans. On pouvait simplement continuer à travailler à un autre rythme après 60 ans. Quand quelqu’un a 66, 67 ans, il n’a plus le même rendement qu’un quadragénaire mais il a des qualités que d’autres n’ont pas. Or, aujourd’hui c’est ‘tu marches ou tu meurs' ».

Les magistrats doivent tenir compte d’une législation de plus en plus compliquée. « Vient de paraître au Moniteur belge un texte en matière de lutte contre la traite des êtres humains appelant à fixer la peine en fonction du nombre de victimes. On peut se demander si le juge n’en tenait pas déjà compte mais ceci va amener à produire de savants calculs avec un risque d’erreurs et de pourvois en cassation », donne-t-il comme exemple.

Cette situation entraîne également des retards qui se sont accumulés au fil des ans. On arrive à la fin 2012 à quelque 1.500 dossiers enregistrés au greffe mais dans l’attente d’un arrêt définitif, selon le procureur général. La ministre de la Justice se dit « bien consciente » de cet état mais elle invite à observer la situation dans son ensemble, soulignant « le début de solution apporté dans les matières financières ». Par ailleurs, elle attend également pour la rentrée un rapport du Conseil supérieur de la Justice qui devrait l’aider à prendre d’autres décisions.

Enfin, elle invite surtout à « voir aussi comment le management peut aider à améliorer les choses car tout ne peut pas être fonction des moyens ». La magistrature n’a cependant pas attendu l’invitation de la ministre pour agir. « Nous avons décidé de ne consacrer la 11e chambre correctionnelle qu’aux seuls affaires financières, preuve que le management est important pour nous. Mais il faut savoir que cette décision entraîne une augmentation des retards dans d’autres dossiers importants de viols, avec des victimes… »,explique Luc Maes, juge à la Cour d’appel et président de Cour d’assises, une Cour qui, avec le même cadre, a vu doubler, de 12 à 24 le nombre d’affaires en attente, les accusés détenus risquant de devoir être libérés.

En première instance, le premier président Luc Hennart partage l’opinion de ses collègues « puisque ce qui vient du Parquet aboutit chez nous » et que le nombre d’affaires y est « multiplié par X » par rapport à ce que traitent les Cours d’appel. Au-delà des processus (numérisation des dossiers, procédure accélérée), il reconnaît la nécessité d’entreprendre des efforts en termes de management mais pointe les limites de l’exercice vu l’indépendance de la magistrature assise. Luc Hennart invite également à prendre en compte le statut particulier de Bruxelles-Capitale qui a à traiter de nombreuses affaires internationales de blanchiment. Selon lui, outre la question des moyens, il faudrait pouvoir adapter la loi Franchimont qui accorde plus de droits aux victimes mais qui est régulièrement utilisée dans les dossiers financiers à des fins procédurières. Il demande également une modification du droit pénal social.

La section économique et financière du Parquet de Bruxelles, qui compte 39 personnes dont 12 magistrats, a pour sa part présenté mercredi des statistiques positives, le nombre de réquisitions finales dépassant celui des nouvelles instructions depuis 2010 alors que les dossiers classés sans suite sont devenus récemment minoritaires (49%). La recette du succès se trouve du côté de l’augmentation des transactions et de la limitation du recours à l’instruction.



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