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La voiture, aussi nocive que la cigarette ?

Le Vif

Laisser plus souvent sa voiture au garage et opter pour des modes de déplacement durables : telles sont les recommandations des experts pour une mobilité plus vivable. Le Belge y est-il prêt ?

Embouteillages, particules fines, CO2 : il commence à devenir urgent de changer la donne. Ou pas ? En faut-il davantage pour convaincre le Belge de laisser (de temps à autre) sa voiture au garage et choisir d’autres manières de se déplacer pour permettre à tous de rester mobiles ? « C’est un processus de prise de conscience », explique Sarah Martens, experte en communication et modification du comportement pour Mobiel 21, mouvement flamand pour la mobilité durable.

Qu’est-ce que la mobilité durable ?

Sarah Martens : « La mobilité est le moteur de notre société. Elle permet aux individus et aux entreprises de nouer des contacts et de les entretenir. Ce n’est pas seulement une condition indispensable au développement économique ou à la croissance, c’est également une exigence inhérente au fonctionnement humain. « Durable » signifie que les générations qui nous suivent jouiront au moins de la même qualité et des mêmes possibilités. Sur le plan de la mobilité, cela signifie que vous choisissez consciemment le bon mode de déplacement pour le bon déplacement. Utiliser sa voiture de manière adéquate implique de réserver son usage aux déplacements de moyenne et longue distances pour lesquels il n’y a aucune alternative valable. Tel est l’objectif à atteindre à terme. »

Comment convaincre les automobilistes de laisser leur voiture au garage et de se déplacer plus souvent à pied, à vélo ou en transports en commun ?

« De nombreux projets visant à promouvoir de nouveaux comportements en matière de mobilité se focalisent sur les effets environnementaux mais il en faut plus pour convaincre le grand public. Un « problème mondial » ne constitue pas une motivation suffisante pour changer un comportement individuel. Même pour ceux qui sont bloqués tous les jours dans les embouteillages. Pour certains, les files font partie de la vie, c’est même un moment de tranquillité pendant lequel ils peuvent écouter la radio. Le fait que ces embouteillages coûtent énormément d’argent à notre économie, que toutes ces voitures provoquent une pollution et des nuisances à grande échelle, c’est une donnée abstraite pour beaucoup d’automobilistes. »

De quoi se préoccupent-ils alors ?

« Leur santé est un argument de poids. Une des raisons qui va effectivement les pousser à troquer leur voiture contre un vélo est que le deux-roues leur permettra d’être en meilleure forme. Faire du vélo et de la marche à pied présente beaucoup d’avantages sur le plan de la santé. Le risque de mourir prématurément de maladies cardiovasculaires conditionnées par un mode de vie sédentaire est nettement plus élevé que le risque de mourir à vélo dans le trafic. Des employés en meilleure forme sont moins souvent malades, ce qui signifie donc moins d’absentéisme et moins de frais médicaux. Un grand avantage social. À cet égard, rouler en voiture devient progressivement la nouvelle cigarette. En outre, les personnes qui ont pris quelques fois leur vélo pour se rendre au travail constatent, sur le terrain, que c’est beaucoup plus facile qu’escompté et même agréable. On a généralement tendance à surestimer le nombre de jours de pluie ou les distances à parcourir. C’est la même approche qui prévaut dans la campagne Love to Ride menée au Royaume-Uni, où des cyclistes essaient de convaincre des amis, collègues ou connaissances se déplaçant en voiture de faire 10 minutes de vélo, afin d’en ressentir le plaisir par eux-mêmes. »

REVIREMENT EN COURS

De nombreuses personnes préfèrent pourtant prendre leur voiture ou conduire leur enfant en voiture à l’école en raison d’un sentiment d’insécurité.

« C’est exact, mais ce faisant elles créent justement cette insécurité. Plus il y a de cyclistes et de piétons, plus le trafic devient sûr. Lorsqu’il y a plus de cyclistes, ces derniers peuvent exiger une vraie place dans le trafic. C’est un revirement auquel on assiste actuellement, surtout dans les villes. Aux abords des écoles, le fait justement qu’aux heures de pointe, les parents préfèrent déposer en voiture leur progéniture le plus près possible de la grille d’entrée accroît l’insécurité. C’est un point névralgique sur lequel nous travaillons ; à l’aide d’actions telles que ‘Sam de verkeersslang’ (Sam, serpent du trafic), nous essayons de sensibiliser les enfants comme les parents. Les enfants qui se rendent à l’école à pied, à vélo ou en transports en commun reçoivent un autocollant qu’ils peuvent coller sur la pancarte de Sam. L’objectif est que celle-ci soit la plus remplie possible à la fin de la semaine. Nous constatons que les enfants encouragent leurs parents à y participer et c’est peut-être un premier pas vers un changement de comportement. »

Il est bien sûr plus agréable d’habiter et de travailler dans un quartier calme où les enfants ne risquent pas de se faire écraser. Une motivation supplémentaire pour délaisser la voiture ?

« C’est le cas. Nous voyons par exemple que les comités de quartiers militent souvent pour une autre mobilité dans leur quartier et s’y impliquent activement. Une enquête d’Ikea sur la sécurité et le sentiment de voisinage a montré que nous nous sentons davantage chez nous lorsque nous habitons dans un quartier agréable. Par là, il faut entendre des quartiers qui obtiennent de bons résultats sur le plan de la sécurité (routière), des contacts sociaux, de la propreté et conviviaux pour les enfants. Un quartier également où les enfants peuvent encore jouer tranquillement dans la rue. »

Quel est l’impact des éléments négatifs, comme le coût de tous ces kilomètres ?

« Le coût économique des embouteillages sur le réseau routier flamand est estimé à quelque 250 millions d’euros par an, mais pour le navetteur dans sa voiture de société gratuite, c’est un problème qui ne le concerne pas. Par contre, un coût plus élevé pour rouler en voiture par le biais d’une redevance kilométrique, de péages urbains ou en augmentant les frais de stationnement sont des sujets beaucoup plus sensibles. Cet aspect financier a toutefois un côté positif. Si les employés se voient allouer un budget de mobilité alternatif, ils réfléchiront en leur âme et conscience : qu’est-ce que je vais en faire ? Vous ne recevez pas seulement un budget mais aussi un choix. Avec, pour résultat, qu’un groupe de personnes vont effectivement réduire le nombre de kilomètres qu’elles parcourent en voiture. »

Même si l’on prend la bonne résolution de rouler moins en voiture, c’est un peu comme avec les régimes alimentaires : on commence plein d’entrain mais on retombe vite dans ses anciens travers.

« Le problème est qu’un comportement est pétri d’habitudes, de schémas qu’il est difficile de casser. La sensibilisation est un premier pas important. Un véritable changement de comportement s’obtient en plusieurs étapes. D’abord, l’usager devient conscient du problème. Il se rend compte qu’il devrait faire quelque chose pour y remédier. Il commence à tester certaines alternatives et toute la difficulté consiste alors à faire en sorte qu’il persiste dans ses efforts. Plus vous facilitez le passage à d’autres modes de déplacement, plus il y a de chance que cela marche. Donc, vous devez éliminer tous les obstacles possibles, par exemple en installant un abri à vélos devant la porte, des douches et des vestiaires sur le lieu de travail, et en proposant une infrastructure adaptée… Build it and they will come : des réseaux cyclable et pédestre bien pensés et des transports en commun sont des éléments incontournables. Aux quatre coins du monde, la tendance est à restreindre la circulation des voitures dans le centre-ville. Un projet qui n’a aucune chance de réussir si vous continuez à élargir l’infrastructure routière. »

« Outre ces adaptations en matière d’infrastructure, il importe également de rendre plus visible le nombre de personnes utilisant déjà des alternatives à la voiture. Ainsi, la mobilité durable deviendra une nouvelle norme sociale, ce que l’on se mettra à considérer comme « normal » ou « souhaitable ». »

Infos : www.mobiel21.be

PAR ANNE PEETERS

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