© Antonin Weber

Thalya Culot : «C’est beau de sentir que l’on croit en moi» (portrait)

Victime de harcèlement scolaire au début de son adolescence, Thalya Culot a puisé la force de se relever sur les rings de boxe thaïlandaise. Après ses succès retentissants chez les juniors, elle vise désormais le titre de championne du monde.

Jusqu’ici, tout va bien. Accompagnée par son entraîneur, Thalya Culot sert chaleureusement la main de l’échevin des sports Mourad Sahli, applaudit le pelotari Martin Delavallée, plébiscité chez les hommes, puis sourit au moment de recevoir le Mérite sportif féminin de Chapelle-lez-Herlaimont. Une récompense largement justifiée pour celle qui sort d’une année 2018 remplie de succès.

Jusqu’ici tout va bien, donc. Subitement, pourtant, la gorge de la Carniéroise se noue. Dans son champ de vision apparaît celle qui l’a harcelée durant d’interminables récréations et heures de cours, quelques années auparavant. Face à la puissance des souvenirs, la boxeuse pourrait totalement perdre pied. Mais elle s’accorde un temps de réflexion. Après tout, si elle se trouve là à cet instant précis, c’est justement parce qu’elle a un jour voulu apprendre à réagir face aux agressions. «A 11 ans, avec mes parents, on s’est renseignés sur les cours de combat, se souvient la jeune femme. J’ai d’abord testé la self-défense, mais je ne me sentais pas capable de faire quelque chose de si violent. La boxe thaï, par contre, me plaisait bien: il y avait des protections, on faisait des mouvements avec les coudes et des balayages avec les pieds… J’aimais ce mélange de technique et de puissance.»

Thalya participe à son premier entraînement un après-midi de septembre dans le hall omnisports de Chapelle-lez-Herlaimont, en legging et tee-shirt – «l’accoutrement typique de celui qui débute un sport qu’il ne connaît pas.» Réservée, la petite nouvelle se réfugie à côté des quelques filles qui assistent à la séance. «Je me sentais perdue. Heureusement, un coach m’a prise à part pour m’enseigner les bases et je me suis lancée. Très vite, ça m’a fait du bien: je sortais de chaque séance libérée de la colère que j’avais en moi.» Pour ne rien gâcher, la progression de la Hennuyère est fulgurante. Elle s’impose dès son premier combat, se fait très vite une place au sein de la petite communauté à l’échelon national puis, après seulement trois ans de pratique, s’envole pour les championnats du monde en Thaïlande. «Je suis arrivée en demi-finale où j’ai perdu contre la future vainqueure. J’étais tellement fière.» Quelques semaines plus tard, elle est sacrée championne de Belgique junior, catégorie – 51 kilos, en IFMA (International Federation of Muaythai Associations), l’une des organisations internationales les plus prestigieuses en boxe thaï. Elle enchaîne alors les titres: européen, mondial et intercontinental.

Son plus gros risque

«Monter sur un ring, prendre des coups et mettre ma santé en danger.»

Jules et les burpees

Lors de ce petit moment de doute, le soir de la cérémonie de remise du Mérite sportif, Thalya s’est probablement raccrochée à la rage avec laquelle elle cognait le sac de frappe lorsqu’elle a débuté la boxe thaï. Le sport en général lui a toujours permis d’évacuer les tensions accumulées. Toute petite, déjà, c’est sur le dos de Jules qu’elle éprouvait ce sentiment de libération. «J’aimais vraiment les chevaux. Comme je passais chaque jour devant le manège de Morlanwelz pour me rendre à l’école, j’ai demandé à y suivre des cours. J’ai d’emblée eu un coup de cœur pour un poney appelé Jules. Je ne montais que lui tellement il était doux et câlin: il posait même sa tête sur le ventre de ma mère qui était enceinte de mon frère.»

A 12 ans, l’ado se rend à pied au centre équestre, participe à l’un ou l’autre concours d’obstacles et fait aussi du dressage. Elle ne jure que par l’équitation. Au point de considérer la boxe thaï comme un passe-temps principalement destiné à l’aider à se défendre. «Je voulais surtout continuer à monter à cheval.» Si, au fil des mois, le noble art prend le dessus sur l’équitation, c’est probablement, déjà, une question de rage. «Avec Jules, je devais rester calme parce qu’il aurait ressenti la douleur tandis qu’un sac de frappe pouvait tout endurer.» La jeune Thalya a besoin de se défouler. Ça tombe bien. Au hall de Chapelle-lez-Herlaimont comme dans une salle jouxtant un centre ambulancier à La Louvière, les séances sont éprouvantes. Dix burpees par ici, trente pompages par là, corde à sauter, squats… la Carniéroise n’échappe pas aux directives de son coach. Alors elle s’endurcit. Physiquement et mentalement. «J’ai pris beaucoup d’assurance grâce à mes entraîneurs et ma famille, surtout mon papa qui me suivait partout. C’est beau de sentir que l’on croit en moi.»

© Antonin Weber

Beau et indispensable pour maintenir le cap lors des combats, notamment en cas de coup sur le nez – «ça me rend folle, à chaque fois je vois rouge» – ou, de manière plus insidieuse, quand elle sent son adversaire prendre le dessus. «Il arrive que la situation me mette en colère et, parfois, des flashs du harcèlement que j’ai subi me reviennent. Heureusement, j’ai appris à me calmer pour ne plus être perturbée. Je ne pourrai jamais l’oublier, mais désormais, je parviens à laisser cette période dans un coin de ma tête.» Bien au-delà de la thérapie, la native de La Louvière est aujourd’hui animée par cette envie de remporter des victoires, de se faire un nom dans la catégorie senior qu’elle a rejointe en atteignant la majorité. «J’ai encore beaucoup à prouver. Je dois pour cela m’adapter à des concurrentes plus puissantes, plus expérimentées et qui cherchent constamment le KO alors qu’on essayait de l’éviter chez les juniors. Rien n’y fait: je veux devenir championne du monde IFMA et je ne lâcherai pas l’affaire.»

La confrontation

Tombée pratiquement nez à nez avec sa persécutrice lors de cette fameuse proclamation des prix sportifs communaux, Thalya aurait pu transformer son sourire en une grimace lourde des souvenirs douloureux de sa première année secondaire, à l’Institut provincial Charles Deliège, à Carnières. Bien qu’issue de l’école primaire juste en face, elle y a débarqué sans connaître personne, et encore moins celle qui deviendrait rapidement leader de la classe. «Une sorte de garçon manqué que tout le monde devait suivre. Moi, je ne voulais pas, je restais dans mon coin, sans parler, ce qui ne lui plaisait pas.»

Son mantra

«Le travail paiera toujours.»

En guise de premières représailles, la gamine lui pique son téléphone et le bloque. Par peur de se faire sermonner, et surtout d’accuser la vraie responsable, Thalya se déclare coupable devant ses parents. «Les semaines suivantes, elle a commencé à me pousser, à me mettre à terre, à m’envoyer un tas de mots violents à la figure… Ensuite, elle a rameuté d’autres filles pour l’accompagner. Ça se passait dans la cour ou en classe, où elles me jetaient des bouts de gomme. Je savais très bien que j’étais vulnérable: j’étais seule, silencieuse et j’avais sauté une classe, donc plus jeune… c’était plus facile de venir m’ennuyer.» Complètement paniquée, la future championne ne trouve pas d’échappatoire: ses deux seules copines viennent bien lui parler durant les périodes d’accalmie mais, timide et voulant éviter que sa tortionnaire revienne à la charge, elle ne dit rien. «En fait, je n’avais personne.»

Puis survient cet après-sortie de classe plus douloureux que les autres. L’ado se sent tellement mal qu’elle monte dans sa chambre sans passer par le salon pour faire ses devoirs auprès de ses parents, comme à son habitude. C’en est trop pour sa mère, qui, depuis plusieurs semaines, trouve étrange le comportement de son aînée, sans parvenir à lui soutirer la moindre confession, et qui prévient donc son école. Quelques jours plus tard, Thalya est victime d’une nouvelle attaque qui, cette fois, n’échappe pas à la vigilance d’une éducatrice. «La journée s’est poursuivie normalement jusqu’au cours de gym, en après-midi. Au beau milieu d’une partie de balle aux prisonniers, j’ai vu par la fenêtre mes parents débarquer. La fille et moi avons été convoquées dans le bureau de la directrice, encore en tenue de sport.»

Sa plus grosse claque

«Terminer deux fois de suite 3e aux championnats du monde junior IFMA. Je me suis demandé ce que je foutais là, avant de me remettre en question pour comprendre que je devais travailler bien davantage.»

Sur place, la confrontation est moins douloureuse que la Hennuyère aurait pu le craindre. Contrainte par la force des choses à dévoiler la vérité, mais mise en confiance par la présence de ses parents, elle déballe tout. «Ça m’a soulagée de ne plus devoir garder cette angoisse en moi.» D’autant que sa persécutrice confirme ses propos. «Peut-être aussi parce que mon père est plutôt baraqué et impressionnant… Mais je pense surtout qu’elle a immédiatement compris qu’elle ne devait plus venir près de moi et, de toute façon, je savais désormais que je pouvais enfin parler à quelqu’un.» Dans la foulée, la jeune femme débute la boxe thaï et, l’année suivante, change d’école pour se former à l’esthétique. Aujourd’hui, Thalya est boxeuse semi-professionnelle, diplômée et à quelques mois d’ouvrir son propre institut de beauté. De victime de harcèlement scolaire, la jeune femme s’est muée en modèle sportif qui propage l’idée qu’il est possible pour une fille de pratiquer une discipline «de garçon» tout en entretenant sa part de féminité. «J’assume mon corps tracé parce que c’est essentiel pour la boxe, mais je tiens à ne pas trop développer mes muscles. Et je fais attention à éviter les mauvais coups dans le visage pour ne pas rappliquer à l’école avec un œil au beurre noir…»

Ce fameux soir de remise de prix où Thalya n’a jamais laissé les pensées négatives envahir son esprit, elle a fini par croiser son ancienne tortionnaire. Mi-ironique, mi-bienveillante, elle lui a lâché: «T’as vu? C’est grâce à toi que j’ai tout ça!»

Ses dates clés

2008 «L’année de naissance de ma sœur Celya, devenue championne du monde de boxe thaï catégorie – 46 kilos 12/13 ans voici quelques semaines en Malaisie.»

Septembre 2015 «Le début de mon harcèlement en secondaire.»

Septembre 2015 «Mon premier cours de boxe thaï. Aujourd’hui, j’ai confiance en moi et je sais quoi faire si on m’ennuie. Mais en tant que fille, je ne suis pas à l’aise partout. Un gros travail d’éducation reste à accomplir.»

Juillet 2022 «Je rencontre mon copain. Notre histoire est encore récente, mais on est très fusionnels.»

2024 «J’espère participer aux Jeux olympiques à Paris, où la boxe thaï pourrait être un sport additionnel.»

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