Stephan Sturges (à g.) et David Francotte dans leur TreedyScan. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Votre avatar 3D pour essayer vos habits

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

L’avenir de la vente de prêt-à-porter en ligne passe par l’essayage virtuel. Chacun disposera de son propre avatar morphologique pour essayer le vêtement convoité sur écran avant de l’acheter. Et c’est une start-up bruxelloise qui pourrait bien révolutionner le secteur.

Tous produits confondus, la vente en ligne pesait près de 1 200 milliards de dollars en 2016, selon l’institut allemand Statista. Et 28 % de ce total, soit 332 milliards de dollars, est dévolu au secteur de la mode et de l’habillement, vêtements, chaussures et accessoires compris. La vente de vêtements par correspondance et sur catalogue n’a pas attendu l’Internet pour séduire les consommateurs. Dans le domaine de l’e-commerce, c’est le secteur le plus mature car il est le plus ancien. C’est aussi celui qui croît le plus rapidement : 15 à 18 % par an depuis 2010 et un doublement attendu à l’horizon 2021, à plus de 600 milliards d’euros… Autant dire que la bataille fait rage entre géants du secteur pour se tailler la part du lion.

Il existe pourtant un sérieux frein au développement des ventes en ligne de prêt-à-porter qui profite encore – mais pour combien de temps ? – aux boutiques et autres réseaux de points de vente physiques. Ce frein, c’est le retour de marchandises qui atteint des proportions gigantesques. Selon une étude de la filiale d’Amazon Body Labs, spécialisée dans la numérisation corporelle en 3D, le renvoi de vêtements par les consommateurs à leurs fournisseurs aurait pesé plus de 63 milliards de dollars en 2015.

Près du quart des habits et chaussures achetés en ligne sont ainsi renvoyés à l’expéditeur, essentiellement pour cause de taille incorrecte. Coût moyen de ces retours : entre 6 et 12 dollars par commande, sachant que moins de la moitié des marchandises concernées pourront être revendues au prix plein. Et ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg. La part la plus importante de cette  » économie fantôme « , comme l’appellent les spécialistes, et qui engendre un énorme manque à gagner, est révélée par une étude de Body Labs : 85 % des acheteurs ajouteraient une ou deux pièces supplémentaires à leur panier à chaque transaction s’ils étaient sûrs de recevoir la taille qui leur convient. Et 58 % disent qu’ils achèteraient plus souvent en ligne s’ils avaient la certitude de ne pas se tromper.

Scanning corporel en 3D

Pour les géants de la mode comme Zalando – qui enregistre jusqu’à 50 % de retours dans certaines régions d’Europe ! -, l’enjeu est colossal. Mais ils ont peut-être trouvé la parade et celle-ci réside notamment dans une technologie développée en Belgique, au sein de la start-up bruxelloise Treedy’s. La technologie, c’est le scanning morphologique en trois dimensions. Dans un avenir proche, il permettra de disposer de son propre avatar corporel, une sorte de double numérique parfait qu’on pourra utiliser à loisir pour essayer virtuellement les vêtements qu’on rêve d’acheter en ligne. On pourra non seulement visualiser sur écran le résultat, en temps réel et sous toutes les coutures, mais on aura aussi la certitude de recevoir le pantalon, le chemisier, le manteau ou la paire de chaussures parfaitement adapté à son body shape, sa morphologie. Le sur-mesure à portée de clic, en d’autres termes.

L’essayage virtuel, c’est le Graal des vendeurs de prêt-à-porter. Ils le poursuivent depuis longtemps. Certains l’ont même déjà approché. L’application Fits.me permet, par exemple, aux internautes d’indiquer leurs mensurations (tour de taille, de poitrine, de hanches, etc.) sur le site de vente en ligne pour pouvoir comparer différentes tailles sur un mannequin virtuel. Fitle, développée en France, invite le consommateur à prendre quatre photos de lui (de face, de dos et de profil) pour créer son avatar 3D et l’utiliser pour essayer sur écran les vêtements de son choix.

Le scanner 3D développé par Treedy’s va beaucoup plus loin. Il permet des prises de vue de l’ordre du dixième de seconde pour générer en quelques minutes des modèles humains dans le moindre détail, basés non pas sur quelques photos mais sur le nombre de mesures corporelles nécessaires pour chaque individu selon sa morphologie et ses besoins spécifiques. Baptisé TreedyScan, il se présente sous la forme d’une cabine d’essayage dont ses concepteurs, David Francotte et Stephan Sturges, prédisent qu’elle  » deviendra bientôt un nouveau standard « .

La taille correcte grâce au scanning morphologique en trois dimensions.
La taille correcte grâce au scanning morphologique en trois dimensions.© TREEDY’S

Banque de données morphologiques

Zalando vient en tout cas de leur en acheter cinq exemplaires. D’autres géants de la mode ou du commerce en ligne également, mais ils exigent encore la confidentialité.  » En utilisant son profil morphologique, le client pourra bientôt commander, en boutique ou en ligne, des vêtements fabriqués ou customisés sur mesure pour lui « , résume David Francotte. Treedy’s veut aller plus loin.  » Nous voulons créer la plus vaste base de données morphologiques du monde dans les prochaines années. Chacun pourra y disposer de son propre avatar lui permettant d’essayer virtuellement n’importe quel vêtement ou paire de chaussures sur un site de commerce en ligne ou de les précommander en boutique dans une version sur mesure et personnalisée.  »

La société, qui cherche actuellement à lever des fonds pour développer de nouvelles potentialités, a noué des partenariats avec différents acteurs internationaux et centres de recherche. En Belgique, la VUB affectera quatre chercheurs à ce projet durant deux ans. Concrètement, les consommateurs seront invités à se prêter au scanning 3D pour créer leur propre avatar morphologique soit en passant dans l’une de ces cabines d’un genre nouveau installée dans différents points de vente soit, dans un avenir qui reste à déterminer, en le faisant eux-mêmes via la caméra de leur ordinateur ou smartphone. L’avatar sera stocké pour resservir chaque fois que nécessaire. Il pourra être adapté si la morphologie d’une personne évolue, par exemple après une prise ou une perte de poids.

Reste à savoir quel autre usage pourrait être fait de ces données à caractère aussi stratégique que confidentiel. La Commission pour la protection de la vie privée – qui n’a pas (encore) été saisie de ce dossier – rappelle à ce sujet que les futurs candidats au scanning doivent consentir à ce que les données qui les concernent soient stockées sur le Web, être informés de façon précise sur leur utilisation et, le cas échéant, donner leur accord pour qu’elle soient partagées. La loi renforcera d’ailleurs bientôt les pouvoirs de sanction de la Commission à l’égard des utilisateurs de données privées qui trahiraient la confiance des consommateurs. A bon entendeur…

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