« Les émojis sont complémentaires aux mots »

Le Vif

Neuropédagogue et psychologue, Alexandre Brzozowski (1) voit les émojis comme un possible levier éducatif au service du… vocabulaire.

Etes-vous pour l’usage des émojis ?

Oui. Pour peu que leur usage soit cadré et intéressant. Les profs de français constatent les premiers que plus les jeunes usent des émojis et du langage sms, moins ils sont capables d’abstraction car s’opère une déperdition de leur vocabulaire et donc de leur capacité de réflexion profonde. Ce constat négatif posé, faut-il s’apitoyer, diaboliser les émojis ? Sûrement pas ! Il faut en faire un sujet éducatif positif dans un cours consacré au registre d’émotions portées par ces smileys. En questionnant leurs sens possibles, bien loin de réduire le champ du vocabulaire de l’individu, on l’enrichit. Que représente telle icône ? Quels émotions, mots, significations inspire-t-elle ? Cela ouvre à plus de réflexion et aux significations différentes, qu’un même émoji induit chez autrui.

On accuse pourtant les émojis d’estomper les nuances, d’appauvrir le langage…

L’émoji n’est pas un mot. Et à peine une infime partie de nos moyens d’expression. Mais notre époque fonctionne davantage par le visuel. Les jeunes qui privilégient massivement ce mode de communication ne sont pas plus stupides, ils développent juste des stratégies cognitives différentes que l’enseignement devrait sérieusement prendre en main. Y compris les émojis qui peuvent paradoxalement venir au secours d’un langage écrit qui s’abrège et se simplifie à l’heure de la culture numérique.

Quelle plus-value apporte l’émoji au processus de communication ?

C’est du non-verbal pictural qui incarne le sous-entendu. L’émoji est un plus, au même titre qu’un mot, sauf que sa nature graphique visuelle donne un accès plus rapide au sens. Ces mini-icônes, bien utilisées et comprises, sont des compléments à l’écrit. Elles ponctuent un message et servent de gestuelle non verbale du langage écrit, comme les mimiques et gestes appuient le langage oral. L’émoji est aussi un marqueur de connivence personnelle. Quand j’écris un mail, j’aime placer quelques sourires et autres. Ces visages virtuels expressifs ratissent large. Du mépris à l’émerveillement, du plaisir à la compassion, ils contextualisent émotionnellement nos échanges écrits. Ils nous rappellent que nous sommes des êtres émotionnels.

Y a-t-il quand même une face noire à cette galerie de pictogrammes ?

Pessimiste, on pourrait songer au 1984 d’Orwell et sa novlangue, langage qui réduit le vocabulaire pour brider la réflexion des individus et les asservir à une société dédiée à la consommation. Mais restons positif en encourageant une éducation aux nouveaux médias et à creuser leurs langages comme support d’extension du champ lexical des jeunes par rapport aux émotions. Enfin, l’émoji peut aussi s’envisager sous son angle relativement universel. Relativement, car les sens peuvent varier selon les cultures. Mais, c’est chouette de voir l’émoji comme support de partage d’émotions pour sauter la barrière des langues. En voyage, quand on ne comprend pas la langue, la communication non verbale, visuelle, voire le dessin, prennent le relai. Tout comme le sourire, clé universelle de la relation à l’autre.

Par Fernand Letist.

(1) Alexandre Brzozowski, de l’UMons, est en particulier chef du projet Serious Games basé sur l’apport des stratégies des jeux vidéo dans la neurorééducation et l’enseignement pour jeunes atteints de troubles de l’attention, hyperactifs ou à haut potentiel.

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