Une technique qui soulève des questions éthiques. © DR

Les ciseaux génétiques qui modifient le vivant

Le Vif

En moins de deux ans, l’enzyme CRISPR-Cas9 a largement gagné ses galons d’outil génétique révolutionnaire. Le magazine Science en a fait sa  » découverte capitale de l’année 2015 « .

Capables de lire l’ADN de toutes les espèces vivantes, ces véritables « ciseaux génétiques » peuvent y effectuer des corrections. C’est-à-dire ôter une mutation, éteindre un gène ou le remplacer par un autre. Si, parlant de l’humain, le spectre de l’eugénisme rôde, CRISPR-Cas9 suscite l’espoir de venir à bout de maladies incurables.

C’est le cas de la dystrophie musculaire de Duchenne, une grave maladie dégénérative clouant les petits garçons sur une chaise roulante dès leurs 10 ans. Il y a peu, usant de CRISPR-Cas9, trois équipes indépendantes de chercheurs sont parvenues à guérir des souris qui en étaient atteintes. Autre cible : le sida. Pour y faire face, des scientifiques modifient génétiquement des cellules du système immunitaire pour tenter de les rendre résistantes au VIH. Ici aussi, CRISPR-Cas9 pourrait s’élever en sauveur.

Si les espoirs de traitements sont nombreux, la technique soulève aussi des questions éthiques. Ainsi, la polémique gronde lorsqu’on envisage son usage pour enrayer la transmission de maladies héréditaires. Un tel dessein requiert en effet de modifier génétiquement l’ovule, les spermatozoïdes ou l’embryon atteints. Que cette mutation volontaire du patrimoine génétique de l’humain soit un succès ou un échec, elle se transmettra immuablement de génération en génération. De quoi ouvrir la porte à toutes les dérives, dont celle de finir par créer un Homo sapiens sur mesure.

En 2015, une équipe chinoise ouvrait la boîte de Pandore en réalisant la première correction de gène sur embryons humains (non viables et issus d’avortement). En utilisant CRISPR-Cas9, elle est parvenue à modifier un gène lié à des maladies sanguines. Toutefois, l’étude a révélé un taux de succès assez faible : les ciseaux génétiques avaient souvent coupé hors du gène visé.

Ce manque de précision, c’est le point faible de l’outil. « Il doit encore être perfectionné. Il coupe parfois là où il ne devrait pas, c’est ce qu’on appelle les coupures off-target (en dehors de la cible). Or, un seul changement dans le génome peut créer une catastrophe », explique le docteur Cyril Gueydan, biologiste moléculaire et chargé de cours à l’ULB.

Outre la santé humaine, la technique s’applique à tous les domaines du vivant et relance le débat sur les plantes et les animaux transgéniques. Pour endiguer le paludisme (et dernièrement le zika), la stratégie en vogue consiste à modifier génétiquement les moustiques pour qu’ils cessent d’en être les vecteurs, et que cette mutation soit transmise dans toute leur descendance. Inutile de préciser qu’on ignore encore tout des conséquences écologiques d’une telle modification irréversible d’espèces sauvages.

Laetitia Theunis

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