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Maxime Willems : «Utilisons les ressources de manière intelligente»

Il y a d’abord eu le sport, les animaux et les plantes. Puis la biologie, l’université et la recherche. A priori, rien qui puisse destiner Maxime Willems à créer un laboratoire culinaire aussi révolutionnaire que disruptif. Et pourtant…

Une rock star et un gamin exalté. C’est la première image qui vient à l’esprit de Maxime Willems quand il repense à sa rencontre avec René Redzepi. Ce jour de juin 2015, le patron du Noma, établissement de Copenhague élu «meilleur restaurant du monde» quatre fois au cours des cinq années précédentes, était à Gand pour présenter son nouveau livre, Work in Progress. L’ épouse de Maxime lui fait la surprise de l’emmener sur place, dans la librairie De paard van Troje, où il a l’habitude de se procurer ses livres de gastronomie. «J’étais méganerveux, se souvient le quadra. Je tenais fermement le livre en main dans la petite file formée pour obtenir une dédicace.»

Son exemplaire paraphé, il signale au célèbre chef danois qu’il a reproduit toutes ses recettes. Surpris, ce dernier lui répond que copier ce qui existe n’est pas vraiment un objectif. «Pour moi, c’était surtout une façon d’étudier puis de critiquer certaines formules. Il a rigolé. Plus tard dans la conversation, je lui ai confié mon envie de lancer un laboratoire culinaire.» Une ambition étonnante quand on n’est pas chef, mais docteur en biologie.

L’incroyable ver plat

«Quand j’ai obtenu mon diplôme, peu d’options s’offraient à moi: je pouvais soit devenir prof, soit fonctionnaire en charge de la gestion d’un parc naturel, mais ce n’était vraiment pas mon truc. Heureusement, j’ai pu atterrir à l’université de Gand dans un extraordinaire laboratoire de nématologie, soit l’étude des vers ronds (NDLR: aussi appelés nématodes).» Sur place, il y fait son doctorat sur la régénération des vers… plats. Un sujet qui attire pas mal d’étudiants, ce qui lui permet de diriger sa propre équipe et de goûter à une certaine indépendance. Son objectif est alors de comprendre comment les vers plats parviennent à reconstituer certaines parties de leur corps, alors que les capacités de l’homme sont, sur ce plan, très limitées. «On cherchait à transposer cet atout dans la régénération du foie ou d’autres organes humains.»

Maxime Willems flirte à peine avec la trentaine mais il pense alors vivre son rêve en travaillant avec les animaux. Un rêve né à l’adolescence, lors d’une étude sur l’écholocalisation de la chauve- souris, puis renforcé durant ses études universitaires en biologie. «A l’époque, mon père souffrait d’un cancer. Durant sa convalescence, il avait aménagé une petite chambre et une cuisine dans le grenier familial, que j’ai pu occuper. J’ai adoré cette liberté, mais mon parcours scolaire n’a pas été des plus fluides. Je n’avais pas suffisamment de méthode pour emmagasiner huit heures de chimie et six heures de physique par semaine, des syllabus de 400 pages ou la liste entière des plantes recensées à travers le monde.»

Pourtant, progressivement, il déploie ses ailes et prend son envol en enchaînant un doctorat et deux postdoctorats. En 2012, après le laboratoire de nématologie, il en intègre un autre, de pharmacie technologique, où il est accueilli par Els Adriaens. «Elle travaillait sur les limaces et cherchait à rendre superflus les essais de produits cosmétiques sur les lapins et les chiens.» Le test qu’elle avait élaboré provoquait sur la limace la même réaction que lorsque celle-ci était mise en contact avec du sel, à savoir la formation d’une sorte de mucus. «Ces sécrétions non mortelles permettaient de prédire si un eye-liner, une poudre ou une crème cosmétique risquait de provoquer une irritation chez l’humain.»

© Antonin Weber

Avec son inséparable ver plat, le jeune papa travaille main dans la main avec Els Adriaens: elle s’ occupe du volet cosmétique, lui des produits cancérigènes. «L’ expérience sur le ver permettait de révéler si certains médicaments pouvaient détruire des cellules ou au contraire stimuler leur production. Cela nous faisait gagner beaucoup de temps et avancer dans la prédiction.» Comblé de pouvoir développer ses propres recherches, Maxime entrevoit en outre la perspective de lancer une entreprise avec ses collègues lorsque l’université et plusieurs investisseurs privés témoignent de l’intérêt pour leur test.

Les choses prennent forme, jusqu’au jour de la création d’Invertox chez le notaire. «Dans le bureau, une de mes deux collaboratrices nous a confié ses interrogations. Elle préférait garder un salaire fixe et éviter de prendre des risques.» Elle n’est pas la seule à hésiter: le biologiste n’est pas spécialement excité par la partie commerciale qui les attend. Et puis, lui qui devrait logiquement se focaliser sur la littérature scientifique consacre son temps libre à la lecture des ouvrages des chefs les plus renommés, de Bernard Lahousse à Heston Blumenthal en passant par Sang Hoon Degeimbre.

Une façon, notamment, de revivre ses belles et jeunes années à Zwijnaarde, lorsqu’il découvre la gastronomie grâce à ses parents, jamais avares d’une invitation au restaurant. «Dès mon plus jeune âge, j’ai appris à reconnaître la qualité, à être critique.»

Rapidement, le jeune passionné de hockey sur gazon, squash et tennis de table est amené à cuisiner chez lui et pour lui. Ça commence par des steaks surgelés passés dans la friteuse, puis il enchaîne les expériences, tente de percer les secrets de sa grand-mère, adepte de la purée «avec sa petite croûte croustillante», de la béarnaise et du chicon au gratin. «J’étais intéressé par le pourquoi des choses. Je regardais souvent les émissions culinaires de Piet Huysentruyt, qui expliquait ce qu’était une émulsion ou les raisons pour lesquelles on pouvait rater une recette. Ce fut révélateur.»

Allier cuisine et science

A la suite de ce passage avorté chez le notaire, les investisseurs font un pas de côté, l’université aussi et Invertox est tué dans l’œuf. Pour donner vie à ce projet, Maxime Willems avait pourtant pris le risque de refuser, notamment, des offres stables pour devenir professeur. Tant pis. Dans sa tête, il est déjà en train de créer son labo culinaire: son plan B devient son plan A. «Mon ambition avait changé. Désormais, je voulais faire comme René Redzepi: allier cuisine et science. C’était de la gastronomie de pointe que je ne trouvais pas en Belgique, où l’on était assez classique, à part Sang Hoon Degeimbre qui amenait un souffle nouveau.»

Ce jour de juin 2015, lorsqu’il détaille son projet au Danois dans la librairie gantoise, celui-ci l’informe que parmi les soixante membres de sa brigade, seuls vingt ont un diplôme de chef. «Cela m’a définitivement convaincu que mon projet naîtrait, un jour ou l’autre.» Le biologiste ne croit pas si bien dire. Une semaine à peine après l’enterrement d’Invertox, il apprend que, parmi ses connaissances, un traiteur cherche à revendre sa cuisine. Deux jours plus tard, il débarque sur place, un matin, en compagnie de son architecte qui estime, mi-amusé mi-impuissant, que tout correspond déjà à ce que son client a imaginé. Il signe son bail à midi et commence 48 heures plus tard à peindre son nouveau labo de 400 m2. Mu par un plan bien précis, il investit ensuite le reste de ses biens dans l’achat d’appareils que personne n’utilise en cuisine. «Je connaissais les lyophilisateurs, les rotateurs et les ultrasons grâce à mon travail de biologiste, mais là ils allaient me permettre d’extraire, de distiller ou d’infuser de nouvelles saveurs.»

Maxime Willems conçoit Proef à la fois comme un lieu où son équipe accompagne des start-up depuis la création à la finalisation de leur idée, mais aussi comme une sorte d’open-source lab, où tous les chefs sont les bienvenus. A l’ouverture, il est toutefois confronté à un obstacle de taille: il ne connaît personne dans le milieu. «Pendant deux ans, expliquer aux gens ce que je faisais a été une vraie galère. Ils ne comprenaient pas le concept, ils pensaient qu’on allait faire apparaître des petits nuages au-dessus de la nourriture

Deux collaborations lui apporteront de la crédibilité. La première avec Hertog Jan, le restaurant triplement étoilé de Gert De Mangeleer, qui l’autorise à récupérer ce qui reste dans son jardin en fin de saison pour créer de nouveaux plats en labo. La deuxième avec Ritchie, le fabricant de limonades pour qui il invente deux goûts inédits. «Quand tu as une idée, tu ne peux pas sonner à la porte d’Unilever pour venir la tester sur place. Je voulais donc créer ce lieu ouvert où il est possible de développer des raviolis vegan, du kombucha, des aliments pour bébés sans additifs ou encore des snacks sains pour enfants…»

Pour le moment, les chefs représentent seulement 10% de la clientèle de Proef, contre 90% de start-up et de grosses boîtes telles que Barry Callebaut, AB InBev ou Danone qui cherchent à lancer de nouveaux produits. Chacun son concept, même si le Gantois maintient quelques lignes de recherche importantes, comme la durabilité, l’innovation ou le no waste. En clair, il veut que la science contribue à sortir de l’actuel système alimentaire de masse et de course au moins cher. «On tient à aller vers quelque chose de plus local, qui utiliserait les ressources de manière intelligente. Proposer une cuillère de caviar pour 90 euros n’est pas tellement compliqué, mais transformer une carotte en quelque chose d’exceptionnel est un fameux challenge.» Pour Maxime Willems, ce challenge rime avec question, hypothèse, recherche et solution. Une démarche scientifique, évidemment.

Son plus gros risque

«Lancer un concept inédit de laboratoire culinaire dans un univers gastronomique que je ne connaissais pas.»

Son mantra

«Rester curieux et intéressant.»

Sa plus grosse claque

«On était un peu trop jeunes pour notre premier projet avec Danone. On l’a bien fait, c’était convenable, mais en matière de management et de communication, on a manqué d’expérience.»

Dates clés

2011 «La naissance de mon premier enfant, deux ans avant le second. J’aurais pu partir au Japon ou chez Noma, au Danemark, mais j’ai toujours voulu rester en Belgique, auprès d’eux.»

2012 «Mon père a souvent été critique à propos de mes projets, mais il m’a encouragé à foncer vers le labo culinaire juste avant son décès.»

2015 «Suite à la création de Proef, mon frère m’introduit auprès de plusieurs chefs pour leur expliquer mon projet.»

2016 «Je collabore avec le réputé Monsieur Boudin. On élabore des charcuteries au gingembre, au citron ou encore à l’estragon et au chicon.»

2022 «Après le fromage à base de chou-fleur, nous expérimentons actuellement un saucisson sec végétal.»

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