troupeau de bisons d'Europe
Dans le parc national de Bosland, l’Agence flamande pour la nature et les forêts (Natuur en Bos) introduira un troupeau de dix bisons d’Europe en 2027. © WWF

Le bison de retour en Flandre… et bientôt en Wallonie? «Ce n’est pas impossible, mais…»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le WWF s’est récemment réjoui du retour du bison d’Europe en «semi-liberté», dans le Limbourg. La Wallonie offre a priori de plus vastes territoires, mais l’initiative flamande n’est pas un véritable réensauvagement.

Avec ses 800 kilos, son mètre 80 au garrot et son épais pelage, le bison d’Europe en impose quand on l’aperçoit derrière les clôtures de l’un ou l’autre parc. Dans les massifs forestiers, les randonneurs ne s’imagineraient pas tomber nez à cornes avec le plus grand mammifère terrestre d’Europe. Chassé pendant des siècles et repoussé vers un habitat naturel toujours plus étroit, il a disparu des forêts belges depuis le Moyen-Age et frôlé l’extinction totale au début du XXᵉ siècle. C’était avant que les premiers programmes de réintroduction voient le jour en Pologne, dans les années 1950. Depuis lors, leur population est passée de quelques dizaines à 6.800 individus. Dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), son statut s’est amélioré en 2020, passant de «vulnérable» à «quasi-menacé».

De là à le voir réarpenter de son pas lourd les clairières et forêts belges en toute liberté, il y a un monde qui laisse encore perplexe bon nombre d’acteurs de terrain. En novembre dernier, le WWF s’est certes réjoui du retour du bison d’Europe dans le parc national de Bosland, dans le Limbourg, à partir de 2027. L’Agence flamande pour la nature et les forêts (Natuur en Bos) y introduira un troupeau de dix individus sur environ 500 hectares, ainsi que des chevaux sauvages. Si Natuur en Bos souligne une intervention humaine minimale dans cette zone, le cadre semble relativement circonscrit: «La zone forme déjà un vaste espace naturel contigu, inaccessible aux visiteurs, indique-t-elle dans un communiqué. Par conséquent, le projet n’aura aucun impact sur les activités récréatives et touristiques locales. Une nouveauté réside dans la clôture de cette zone de tranquillité, permettant ainsi de maintenir les grands herbivores dans leur habitat naturel.»

C’est donc bien de «semi-liberté» dont il est question ici. «Des colliers GPS permettront d’étudier les déplacements des grands herbivores dans le paysage et leur impact sur la biodiversité», précise notamment le communiqué du WWF, capitalisant sur des opérations similaires aux Pays-Bas, au Danemark, en Roumanie et en Azerbaïdjan. «Bosland est un endroit idéal pour ce projet et peut devenir un exemple inspirant pour toute la Belgique», commentait dans la foulée Pepijn T’Hooft, program manager au WWF-Belgique.

Les nombreuses vertus écologiques du bison

D’un point de vue écologique, les vertus du bison d’Europe sont multiples. «Je serais très intéressé de voir ce que leur présence donnerait dans certaines forêts wallonnes, commente Marc Dufrêne, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) et expert de la biodiversité. Ils permettent en effet de maintenir des espaces ouverts et participent à la régénération de processus naturels.» Leurs poils aident à disséminer des graines et permettent aux oiseaux de construire des nids en hiver. Leurs piétinements contribuent à l’aération et la fertilisation du sol. Les bauges (une dépression du sol faite de terre ou de boue) qu’ils créent en se roulant au sol forment des micro-habitats potentiels pour des plantes et insectes. Ces derniers se nourrissent aussi de leur bouse. «Le retour du bison serait certainement positif sur le plan écologique, commente Sébastien Lecaza-Rojas, administrateur délégué de l’asbl Forêt & Naturalité. Mais on sait aussi que l’écologie ne constitue pas la boussole principale de notre société à l’heure actuelle.»

«La semi-liberté, ça n’existe pas. Soit vous êtes derrière une barrière, soit vous êtes libre.»

Dans la lignée d’un dossier paru en 2021 sur le sujet, l’asbl s’intéresse au possible réensauvagement (ou rewilding en anglais) des espaces naturels, ce qui va bien au-delà de l’initiative flamande. Car «la semi-liberté, ça n’existe pas, recadre Sébastien Lecaza-Rojas. Soit vous êtes derrière une barrière, soit vous êtes libre. Nous ne militons pas pour la réintroduction du bison, mais pour qu’on puisse au minimum se poser la question. Pour y répondre, il faudrait mener une étude avec de nombreux acteurs, et non la limiter à des spécialistes qui s’accapareraient une question de société. Il faudrait aussi réaliser une carte, pour savoir quelle serait la capacité d’accueil chez nous et identifier des couloirs qui permettraient aux troupeaux de se connecter entre eux, que ce soit vers les Ardennes françaises ou l’Eifel en Allemagne

Où l’accueillir en Wallonie?

Le bison a besoin de grands espaces. «Pour eux, 500 hectares, c’est un petit enclos, poursuit Sébastien Lecaza-Rojas. En France, en Suisse, ils évoluent aussi en semi-liberté, comme on la qualifie. C’est la norme, et je serai le premier à aller les voir dans le Bosland. Ce n’est juste pas ce que nous défendons.» Comme le souligne Marc Dufrêne, «la niche écologique du bison est particulièrement large et adaptée aux évolutions du changement climatique. Il s’accommode tant des espaces ouverts que des forêts vers lesquelles l’activité humaine l’a repoussé.»

Sur les quelque 700.000 hectares de forêts que compte la Belgique, près de 80% sont situés en Wallonie. «Nos grands massifs forestiers pourraient largement les accueillir, estime le professeur. L’enjeu, c’est surtout leur cohabitation avec les activités humaines à côté. A Saint-Hubert, le massif de 10.000 hectares est traversé par la N89 (une route partiellement à gabarit autoroutier).» A côté de la densité du réseau routier wallon s’ajoute la cohabitation problématique avec l’agriculture. Des menues clôtures électriques arrêteront peut-être des sangliers ou des cervidés, mais pas un troupeau de bisons.

Pour Forêt & Naturalité, on ne peut envisager le retour du bison sans s’intéresser à la perception qu’en a la collectivité. «Le risque d’accident, ce n’est cependant pas ce qui, à l’avenir, rendrait impossible la venue de l’animal. Pour l’agriculture, c’est tout autre chose. C’est à l’étude en Pologne, où un troupeau de plus de 100 bisons se trouve à présent dans des zones où sa présence n’était pas prévue, et cela engendre des frictions avec les agriculteurs. Les questions que l’on pourrait se poser à l’avenir, elles sont en ce moment explorées par les Polonais.»

Concernant les lieux susceptibles d’accueillir le bison en Wallonie, Sébastien Lecaza-Rojas se veut plus prudent que Marc Dufrêne. «Nous avions évoqué deux ou trois endroits éventuellement compatibles avec une présence éventuelle du bison sur le strict plan de la nourriture disponible. Mais attention: le but de cette étude, c’était de savoir s’il était impossible d’avoir des bisons en liberté en Belgique. Nous sommes arrivés à la conclusion que ce n’était pas impossible. Pour savoir où ce serait faisable et dans quelles conditions, il faudrait aller plus loin.»

Malgré le retour du castor, du loup et du lynx, la Wallonie est encore loin d’envisager l’accueil d’un mammifère aussi imposant que le bison en toute liberté. Considéré comme une espèce protégée à l’échelle européenne, l’existence du bison à l’état sauvage ne figure pas dans la législation régionale. A la différence du loup, un tel vide juridique ne permet pas aux acteurs potentiellement lésés par sa présence d’obtenir des indemnisations. Ce ne sont donc pas les obstacles physiques qui arrêtent le retour d’un herbivore pesant près d’une tonne, mais bien des considérations coût-bénéfices qui hérissent les partisans d’une écologie systémique. «Dans notre vision de la forêt, l’homme en fait partie, conclut Sébastien Lecaza-Rojas. On ne cohabite pas avec la nature; on est la nature.»

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