
Hypertypes chez les chats et chiens: quand le marché de la mignonnerie devient celui de la souffrance
Courts sur pattes, oreilles pliées ou encore face écrasée… Les caractéristiques physiques des chiens et chats sont parfois accentuées à l’extrême. Des « hypertypes » qui sont en fait un véritable fléau pour la santé des animaux.
Mais qu’il est mignon, ce tout petit chat court sur pattes ! Mignon, oui, mais… en bonne santé ? C’est peu probable. Ces « petits chats », ce sont les munchkins, stars des réseaux sociaux. Mais quand il s’agit des animaux de compagnie, la mignonnerie peut cacher de la souffrance. « Un chat qui ne sait pas sauter à 30 cm, c’est problématique. Sa qualité et son confort de vie sont fortement impactés », confirme Sébastien De Jonge, président de l’Union wallonne pour la protection animaux (UWPA) et également directeur du refuge « Sans Collier ». Cette problématique, c’est ce qu’on appelle les « hypertypes ».
Quand les éleveurs jouent à « l’apprenti sorcier »
De tout temps, l’être humain a cherché à perfectionner les animaux qui l’entourent. C’est le cas notamment dans l’élevage, où l’on souhaite que les vaches donnent le plus de lait possible, ou que certains mammifères donnent plus de viande. Le chemin pour arriver à un « meilleur » résultat ne se fait pas sans quelques manipulations… qui elles-mêmes provoquent des soucis de santé.
Les animaux du secteur agricole ne sont pas les seuls concernés. Nos boules de poils sont également l’objet de cette recherche souvent extrême de perfection. Pour les chats ou les chiens par exemple, c’est surtout l’aspect esthétique qui est visé. On accentue alors un trait, souvent recherché par les acheteurs : face aplatie, peau fortement plissée, yeux saillants, nanisme… Mais ce qui peut sembler « plus mignon » ou « unique » est en fait l’origine de troubles, physiques mais aussi comportementaux, chez l’animal.
« C’est jouer à l’apprenti sorcier au niveau de l’élevage pour plaire et avoir des esthétiques désirées par le public », estime Sébastien De Jonge. Il donne l’exemple des bulldogs : « Beaucoup d’entre eux ont la gueule écrasée. Un sur deux doit être opéré pour pouvoir respirer correctement. » La population canine est plus concernée que les félins, car il y a moins de chats de races sur le marché et dans nos foyers, « mais les déviances sont aussi graves. »
Pas que dans les concours
Dans son livre « La folie des Chats », le vétérinaire Claude Béata dénonce également les hypertypes. Une dérive qui prend notamment sa source dans les concours. C’est le cas par exemple du persan, où les compétitions récompensaient un temps « les faces concaves, c’est-à-dire des chats dont le nez était en arrière des yeux. » Il pointe ainsi une respiration gênée, avec un impact sur la qualité de vie.
« Il existe des concours sérieux, avec des standards qui répondent au bien-être animal et qui n’acceptent pas les hypertypes », rétorque Sébastien De Jonge. « Mais il existe aussi des compétitions organisées ‘à la 6-4-2’ avec la mise en valeur d’animaux hypertypes, ou qui les tolèrent. » Mais ce n’est pas uniquement l’apanage du monde des compétitions. Le « marché de la mignonnerie » est aussi présent chez des éleveurs moins scrupuleux. Le président de l’UWPA rassure : c’est le cas d’éleveurs déviants, pas des vrais professionnels et amoureux des animaux. « Il y a des déviances par l’ignorance de certains éleveurs, mais chez d’autres c’est clairement voulu, car cela fait vendre. »
Plus tout à fait un chat
C’est surtout les problèmes de santé engendrés chez ces animaux qui posent question. « C’est clairement une atteinte au bien-être de l’animal. On élève de la souffrance », estime Sébastien De Jonge. « Ils ont souvent une espérance de vie plus réduite, une perte de la qualité de vie…. Cela peut aller très loin. Cela impacte également la vie du propriétaire de l’animal, qui se retrouve avec un compagnon qui a des problèmes de mobilités, un handicap ou qui ne peut pas aller dans des pays chauds en vacances par exemple. Parfois on se dit : mais qu’est-ce qu’on est en train de faire avec les animaux ? Chez certains, ça n’a plus rien à voir avec l’espèce de base. »
Une sélection à l’extrême que le vétérinaire Claude Béata juge également « excessive » et « génératrice de souffrances. » Il se réfère à son ancien chat, un sphynx, qui avait de nombreux problèmes de santé, n’était quasi « pas un chat » et est mort jeune et malade. « Si l’individu Galinette – son nom – était une personnalité extraordinaire, sa race est une atteinte à la dignité des chats« , écrit-il dans son ouvrage.
Une souffrance qui n’est cependant pas toujours visible, ou identifiée. « Le problème, c’est que c’est généralement peu visible ou qu’il y a une méconnaissance du public. Les gens disent ‘Mon chien ronfle, c’est comique’, alors qu’en fait, il suffoque », détaille Sébastien De Jonge.
Des avancées à petits pas
Si la prise de conscience augmente, il n’existe cependant pas actuellement de réglementation au niveau des élevages. « Il existe des standards de race, les éleveurs doivent s’en rapprocher, c’est tout. Il existe le pedigree, qui veille au respect des standards et permet de distinguer les races, mais ce n’est pas une garantie intangible. On peut très bien élever les deux », précise le président de l’UWPA.
Récemment, le Conseil wallon du bien-être des animaux a émis un avis concernant les hypertypes et maladies génétiques liés aux races de chats. Le groupe de travail réunissait des experts scientifiques, des représentants de la protection animale et du secteur de l’élevage. Il a recommandé l’interdiction de plusieurs races :
- Le scottish fold aux oreilles pliées.
- Le manx, qui présente une queue absente ou courte.
- Le munchkin.
- Le twisty car (ou kangourou) aux membres atrophiés tordus.
- Le caractère blanc dominant, qui peut mener à la surdité.
Le Conseil a également demandé un suivi scientifique pour le sphynx et le rex devon.
Pour Sébastien De Jonge, il faut légiférer au plus vite. Précisant que Bruxelles et la Flandre on interdit le Fold, il espère que la Wallonie ne tarde pas. « Le gouvernement doit prendre des dispositions, la porte est ouverte. Il y a aussi besoin de communication et de sensibilisation autour de ce problème. »
Du côté cabinet de la ministre wallonne du Bien-être animal Céline Tellier (Ecolo), on indique que les conditions d’agrément des établissements pour animaux viennent d’être renforcées. « Cette révision met par exemple fin à l’importation des chiots. 6000 chiots arrivaient chez nous dans des conditions de santé parfois déplorables, cela ne sera plus possible. Les chiens et chats adoptés auront été élevés par nos éleveurs, dont la très grande majorité travaille avec passion et professionnalisme. »
« Les animaux ne sont pas des objets destinés à être sculptés sans limite pour répondre aux besoins ou attentes des humains. C’est d’autant plus vrai pour les chiens et les chats, dont nombre d’entre eux sont déjà à la recherche d’un foyer. Leur pedigree, la forme de leurs oreilles ou la taille de leur patte n’ont pas d’impact sur leur capacité à être de bons compagnons », réagit encore le cabinet de la ministre.
La crainte d’un marché parallèle
Si les consciences s’élèvent enfin, le vétérinaire et auteur Claude Béata n’est pas pour autant 100% optimiste : « Même si la prise de conscience actuelle va dans le sens d’une amélioration, je ne me sens pas enthousiaste à l’idée de confier l’avenir de l’espèce aux éleveurs. » Il regrette que la raison ne l’ait pas simplement emporté et craint la création d’un marché parallèle où les animaux seraient vendus avec encore moins de règles, et donc de respect pour l’animal.
Le président de l’UWPA n’est pour sa part pas convaincu de ce risque. « Je ne suis pas sûr que le particulier soit prêt à aller sur des marchés parallèles. La plupart des gens sont bienveillants et veulent des animaux en bonne santé. Chaque pas est une victoire. Si la Wallonie est la première à interdire ces races, ils vont montrer l’exemple, et on espère que d’autres suivront. »
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