Hypertypes chez les chats et chiens: quand le marché de la mignonnerie devient celui de la souffrance

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Courts sur pattes, oreilles pliées ou encore face écrasée… Les caractéristiques physiques des chiens et chats sont parfois accentuées à l’extrême. Des « hypertypes » qui sont en fait un véritable fléau pour la santé des animaux, et que la Wallonie compte bientôt encadrer, en élaborant des listes à surveiller.

Mais qu’il est mignon, ce tout petit chat court sur pattes! Mignon, oui, mais… en bonne santé? C’est peu probable. Ces «petits chats», ce sont les munchkins, stars des réseaux sociaux. Mais quand il s’agit des animaux de compagnie, la mignonnerie peut cacher de la souffrance. «Un chat qui ne sait pas sauter à 30 cm, c’est problématique. Sa qualité et son confort de vie sont fortement impactés», confirme Sébastien De Jonge, ancien directeur du refuge Sans Collier, désormais directeur des opérations chez Gaia. Cette problématique, c’est ce qu’on appelle les «hypertypes».

Quand les éleveurs jouent à «l’apprenti sorcier»

De tout temps, l’être humain a cherché à perfectionner les animaux qui l’entourent. C’est le cas notamment dans l’élevage, où l’on souhaite que les vaches donnent le plus de lait possible, ou que certains mammifères donnent plus de viande. Le chemin pour arriver à un «meilleur» résultat ne se fait pas sans quelques manipulations… qui elles-mêmes provoquent des soucis de santé.

Les animaux du secteur agricole ne sont pas les seuls concernés. Nos boules de poils sont également l’objet de cette recherche souvent extrême de perfection. Pour les chats ou les chiens par exemple, c’est surtout l’aspect esthétique qui est visé. On accentue alors un trait, souvent recherché par les acheteurs : face aplatie, peau fortement plissée, yeux saillants, nanisme… Mais ce qui peut sembler «plus mignon» ou « unique » est en fait l’origine de troubles, physiques mais aussi comportementaux, chez l’animal.         

«C’est jouer à l’apprenti sorcier au niveau de l’élevage pour plaire et avoir des esthétiques désirées par le public», estime Sébastien De Jonge. Il donne l’exemple des bulldogs: «Beaucoup d’entre eux ont la gueule écrasée. Un sur deux doit être opéré pour pouvoir respirer correctement.» La population canine est plus concernée que les félins, car il y a moins de chats de races sur le marché et dans nos foyers, «mais les déviances sont aussi graves.»

Pas que dans les concours

Dans son livre «La folie des Chats», le vétérinaire Claude Béata dénonce également les hypertypes. Une dérive qui prend notamment sa source dans les concours. C’est le cas par exemple du persan, où les compétitions récompensaient un temps «les faces concaves, c’est-à-dire des chats dont le nez était en arrière des yeux.» Il pointe ainsi une respiration gênée, avec un impact sur la qualité de vie.

«Il existe des concours sérieux, avec des standards qui répondent au bien-être animal et qui n’acceptent pas les hypertypes», rétorque Sébastien De Jonge. «Mais il existe aussi des compétitions organisées « à la 6-4-2 » avec la mise en valeur d’animaux hypertypes, ou qui les tolèrent.» Mais ce n’est pas uniquement l’apanage du monde des compétitions. Le «marché de la mignonnerie» est aussi présent chez des éleveurs moins scrupuleux. Il rassure: c’est le cas d’éleveurs déviants, pas des vrais professionnels et amoureux des animaux. «Il y a des déviances par l’ignorance de certains éleveurs, mais chez d’autres c’est clairement voulu, car cela fait vendre

Plus tout à fait un chat

C’est surtout les problèmes de santé engendrés chez ces animaux qui posent question. «C’est clairement une atteinte au bien-être de l’animal. On élève de la souffrance», estime Sébastien De Jonge. «Ils ont souvent une espérance de vie plus réduite, une perte de la qualité de vie…. Cela peut aller très loin. Cela impacte également la vie du propriétaire de l’animal, qui se retrouve avec un compagnon qui a des problèmes de mobilités, un handicap ou qui ne peut pas aller dans des pays chauds en vacances par exemple. Parfois on se dit: mais qu’est-ce qu’on est en train de faire avec les animaux? Chez certains, ça n’a plus rien à voir avec l’espèce de base.»

Une sélection à l’extrême que le vétérinaire Claude Béata juge également «excessive» et «génératrice de souffrances.» Il se réfère à son ancien chat, un sphynx, qui avait de nombreux problèmes de santé, n’était quasi «pas un chat» et est mort jeune et malade. «Si l’individu Galinette – son nom – était une personnalité extraordinaire, sa race est une atteinte à la dignité des chats», écrit-il dans son ouvrage. Une souffrance qui n’est cependant pas toujours visible, ou identifiée. «Le problème, c’est que c’est généralement peu visible ou qu’il y a une méconnaissance du public. Les gens disent « Mon chien ronfle, c’est comique », alors qu’en fait, il suffoque», détaille Sébastien De Jonge.

Des avancées en Wallonie

La prise de conscience augmente, y compris dans les pouvoirs publics. Depuis 2018, le Conseil wallon du Bien-être des Animaux (CWBEA) se penche sur cette problématique. Suivant ses recommandations, le gouvernement régional a décidé de renforcer la législation. Concrètement, le projet d’arrêté prévoit l’établissement d’une liste de races pour lesquelles un dépistage des affections héréditaires est nécessaire. En fonction des résultats, des combinaisons d’accouplement raisonnées peuvent être autorisées si elles permettent de respecter le bien-être des animaux. Dans le cas contraire, la reproduction est interdite.

La reproduction est par ailleurs interdite pour des races de chats comme le Scottish Fold, le Kangourou Cat ou le Manx, tout comme sont bannies la publicité et l’exposition d’animaux portant une affection héréditaire préjudiciable au bien-être animal. «Nous mettons en place des solutions préventives très concrètes en élevage mais aussi de sensibilisation du grand public», commente la ministre wallonne en charge du Bien-être animal, Céline Tellier. L’association de défense des animaux Gaia se réjouit de ce texte, auquel elle a collaboré. «C’est une belle avancée qui va radicalement changer l’élevage en Wallonie en mettant fin à cette vieille pratique qui nuit aux animaux. On espère évidemment que ce sera suivi d’effets sur le terrain», a réagi Sébastien de Jonge, le directeur des opérations de Gaia.

La crainte d’un marché parallèle

Si les consciences s’élèvent enfin, le vétérinaire et auteur Claude Béata n’est pas pour autant 100% optimiste: «Même si la prise de conscience actuelle va dans le sens d’une amélioration, je ne me sens pas enthousiaste à l’idée de confier l’avenir de l’espèce aux éleveurs.» Il regrette que la raison ne l’ait pas simplement emporté et craint la création d’un marché parallèle où les animaux seraient vendus avec encore moins de règles, et donc de respect pour l’animal.

Sébastien de Jonge n’est pour sa part pas convaincu de ce risque. «Je ne suis pas sûr que le particulier soit prêt à aller sur des marchés parallèles. La plupart des gens sont bienveillants et veulent des animaux en bonne santé. Chaque pas est une victoire. Si la Wallonie est la première à interdire ces races, ils vont montrer l’exemple, et on espère que d’autres suivront.»

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