Face à l’explosion du nombre de chiens abandonnés, les refuges wallons tirent la sonnette d’alarme. En cause, la surproduction incontrôlée de races comme les American Staff et les Malinois, alimentée par des éleveurs peu encadrés. Malgré les alertes répétées, le ministre Adrien Dolimont refuse toute régulation. Les associations dénoncent un abandon du portefeuille du Bien-être animal.
Un simple tour sur Internet permet de comprendre l’ampleur du phénomène. Sur des plateformes comme 2ememain, Facebook Marketplace ou d’autres sites de petites annonces, les American Staffordshire Terriers (American Staff) et les Malinois sont omniprésents. Un particulier au profil anonymisé publie chaque mois des photos de sa nouvelle portée. «Regardez ces petits amours. Il nous en reste dans toutes les couleurs», écrit-il. Les annonces se succèdent, les portées aussi. En une année, plus de cinquante American Staff sont mis en vente par cet utilisateur, à des prix oscillant entre 800 et 1.000 euros.
Ce vendeur fait partie d’un ensemble de particuliers ou de semi-professionnels qui contournent les règles en vigueur. Lorsqu’un amateur est confronté à une portée non anticipée, il peut obtenir un agrément pour vendre les chiots. Une fois ce document en poche, plus rien ne l’empêche de l’utiliser pour des reproductions successives. D’autres franchissent une limite encore plus nette en transformant leur domicile en élevage illégal, sans contrôle vétérinaire ni accompagnement éducatif.
Pour les refuges, le lien est direct. Deux tiers des chiens qu’ils recueillent sont des Malinois, des American Staff ou des croisements entre ces deux races. Gaëtan Sgualdino, président de l’Union Wallonne pour la Protection Animale (UWPA), dénonce un système défaillant: «C’est un fléau. Si l’on prend l’exemple de ce particulier anonyme sur Marketplace avec ses 50 chiots, cela représente au grand minimum cinq portées. C’est de la maltraitance animale. Ils les vendent sans aucun cadre, ni conseil, ni suivi d’éducation. La conséquence directe de leurs actes, c’est la saturation de nos refuges.»
Les refuges réclament une décision politique
Face à la surproduction de ces races et à leur surreprésentation dans les structures d’accueil, les refuges ont interpellé le ministre wallon du Bien-être animal, Adrien Dolimont, également Ministre-Président (MR).
Pour Gaëtan Sgualdino, la situation ne laisse plus place à la passivité: «Le Gouvernement wallon doit prendre des mesures immédiates et courageuses. Nous voulons l’arrêt de la reproduction de ces races via un moratoire d’au moins dix ans. Mais aussi l’arrêt des nouveaux agréments et l’instauration de quotas stricts. Il n’existe aujourd’hui aucune justification valable pour continuer à faire naître des chiots, alors que des centaines de chiens identiques, abandonnés, attendent désespérément une seconde chance dans nos refuges.»
Il ajoute que certains profils d’éleveurs aggravent encore la situation. «Le minimum pour nous, c’est d’arrêter de donner des agréments pour qu’il y ait de nouveaux éleveurs qui vendent des animaux. Ces éleveurs sont souvent les pires, les moins scrupuleux, vendant sur Internet. Ils sont vraiment le cancer des refuges.»
Les structures sont à bout de souffle. L’augmentation du nombre d’abandons, combinée à l’absence de régulation, conduit à une impasse. «Nous avons besoin d’actions concrètes, pas de promesses ou de mesures symboliques. Chaque jour, nous accueillons des chiens abandonnés, souvent issus de reproductions incontrôlées. Sans un changement de cap, la situation ne fera qu’empirer. Nous sommes au point où nous demandons à nos équipes d’accueillir des animaux chez eux par manque de place au refuge», alerte le président de l’UWPA.
Une réponse politique hors sujet?
La stratégie défendue par les refuges repose sur une logique simple. En limitant les naissances, il serait possible de mieux s’occuper des animaux déjà présents. Mais la réponse du ministre va dans une toute autre direction. Adrien Dolimont écarte toute mesure de restriction ou de soutien direct aux refuges. Il estime que les problèmes comportementaux qui engendrent des abandons relèvent d’abord de l’éducation, et refuse de cibler une race sans données scientifiques probantes. Il mise plutôt sur la responsabilisation des futurs propriétaires.
«Les problèmes de comportement de ces chiens sont liés à l’éducation de l’animal. Il n’entre pas dans mes intentions de stigmatiser une race en l’absence de données scientifiques approfondies sur la question. En revanche, le Gouvernement wallon, dans sa déclaration de politique régionale, s’est engagé à renforcer les actions de sensibilisation qui porteront notamment sur des mesures visant à conscientiser les acquéreurs», écrit-il.
Cette réponse, pour les associations, passe complètement à côté de la réalité. «Notre argumentaire a été balayé par une réponse hors sujet. On a parfois l’impression que Monsieur Dolimont est mal conseillé sur ses dossiers du Bien-être animal. Ces chiens sont victimes de dérives liées à l’élevage et à une éducation inadaptée. Mais ce n’est pas le sujet. L’offre dépasse la demande, pour ces chiens qui nécessitent plus d’efforts éducationnels. Aujourd’hui, pour résoudre la situation, il faut un contrôle des naissances. Nous avons dépassé le stade de la sensibilisation depuis longtemps.»
Une politique qui regarde ailleurs
Une tentative de régulation fut pourtant amorcée en 2022. Céline Tellier (Ecolo), alors ministre du Bien-être animal, avait fait adopter un arrêté prévoyant une limitation des races élevées. Cette initiative visait à limiter la reproduction des races les plus fréquemment abandonnées. Mais cet arrêté a été annulé en décembre 2024 par le Conseil d’Etat. Depuis, aucune solution de remplacement n’a été proposée.
Depuis l’entrée en fonction d’Adrien Dolimont, les associations déplorent un silence persistant. «Nous n’avons pas de contact avec Monsieur le Ministre. En neuf mois, pas une seule consultation des refuges. On a l’impression de devoir être dans un rapport de force permanent pour être écouté», regrette Gaëtan Sgualdino.
Les tensions autour du bien-être animal ne se limitent pas à la question des élevages. En mars 2025, la SPA de Péruwelz a dénoncé la restitution de chiens à leurs anciens propriétaires, malgré des signalements de maltraitance. Cette décision, rendue par le Conseil d’Etat, a été vivement critiquée. Le ministre a reconnu des erreurs administratives et demandé l’ouverture d’une enquête pour déterminer les responsabilités.
Autre mesure contestée, le projet d’ajouter dans les contrats d’adoption une clause de restitution obligatoire, même en cas de maltraitance avérée. Cette idée a suscité une levée de boucliers chez les défenseurs des animaux. L’UWPA y voit une «institutionnalisation de l’injustice» et une atteinte grave à la confiance entre adoptants et refuges.