Thierry Fiorilli

Salima Mukansanga, pure super-héroïne

Thierry Fiorilli Journaliste

La Coupe du Monde au Qatar inspire tellement la honte qu’on en oublierait une immense fierté. Celle que suscite la Rwandaise Salima Mukansanga, une des rares femmes arbitres présentes sur le terrain.  

Une immense fierté, dans un océan de honte. Un triomphe féministe, en terres ultrapatriarcales. La Coupe du monde au Qatar a beau écœurer, elle offre quand même de quoi se réjouir: pour la première fois en 92 ans de compétition, les arbitres désignés par la fédération internationale de foot ne sont pas que des hommes. Sur les 105 retenus, six sont des femmes. Et trois figurent parmi les 36 qui officieront sur le terrain. Une Française (Stéphanie Frappart), une Japonaise (Yoshimi Yamashita) et une Rwandaise: Salima Mukansanga, dont la trajectoire relève désormais du modèle.

Salima Mukansanga a 34 ans et est licenciée en soins infirmiers et obstétricaux. Mais c’est avant, à l’Institut Saint-Vincent de Paul, à Ruhengeri, que tout s’est joué pour elle. Grâce au sport, l’un des outils utilisés par les rescapés du génocide de 1994 pour la reconstruction des âmes et l’émancipation des femmes, peu en vogue jusque-là. Parmi les initiatives, l’Organization of Kigali Women in Sports (AKWOS), visant à favoriser l’accès des filles au football, pour leur (ré)insuffler l’estime d’elles-mêmes, pour qu’elles (re)tissent des liens et réalisent qu’elles ne valent pas moins que les garçons.

Salima, c’était le basket, en primaire. Mais au-delà, les infrastructures ne lui permettent pas de poursuivre. En gros, trop âgée. Elle remarque quand même, durant les matchs auxquels elle assiste, «ces gens qui décidaient et pouvaient tout changer sur le terrain». Déclic. Pas joueuse? Eh bien, arbitre alors! Et de foot, qu’elle a découvert dans la cour. Mais elle n’est qu’en secondaire. En somme, trop jeune. Sauf qu’elle défonce les portes qui se ferment. Poussée par l’AKWOS, entre autres. De guerre lasse, on lui dit «allez, OK alors». Mais rien n’est gagné. Au début, «on était cinq filles et quarante garçons. Toutes les autres ont renoncé.» Puis on lui a répété «arrête, c’est un truc de mecs, t’en vivras jamais». Puis la dureté des entraînements, «les règles du jeu, la mentalité et le professionnalisme» à acquérir. Elle admet qu’elle en a bavé. Qu’elle a vacillé. A deux doigts d’abandonner.

Celle qui a pulvérisé, un à un, tous les plafonds de verre de l’un des milieux les plus machistes qui soient.
Celle qui a pulvérisé, un à un, tous les plafonds de verre de l’un des milieux les plus machistes qui soient. © getty images

Mais elle a tenu. Grâce à «la passion» et la conviction que, «si on ne peut pas courir aussi vite que les hommes, on peut atteindre le même niveau». Elle en est la preuve, ayant pulvérisé, un à un, tous les plafonds de verre de l’un des milieux les plus machistes qui soient: diplôme en 2007, arbitre en division 2 hommes en 2008 (à 20 ans!), assistante à la Coupe d’ Afrique des nations (CAN) en 2014, arbitre en division 1 et (première africaine) au Mondial féminin des moins de 17 ans en 2018, à la Coupe du monde féminine en 2020 (première aussi), aux Jeux olympiques (première encore) et à la CAN (première toujours) en 2021. Et le Qatar maintenant, donc.

Si elle en est là, aujourd’hui, comme ses consœurs, «ce n’est pas par hasard, faveur ou chance ; c’est parce que nous l’avons mérité». Elle s’adresse «aux femmes africaines». Mais ça vaut pour tout le monde. Ce qui fait d’elle, au milieu de mégastars et d’un océan de honte, une véritable et pure super-héroïne.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire