Même dans ses bureaux zébrés, l’ex-homme fort du football belge doit désormais partager le pouvoir…

UEFA, Fédé, Charleroi: Mehdi Bayat a-t-il perdu le pouvoir?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Mehdi Bayat était l’homme le plus puissant du football belge. Certains lui imaginaient même un avenir continental majestueux. Aujourd’hui, même sa position de patron des Zèbres semble vaciller.

Qu’il y ait un nœud papillon, une cravate ou aucun des deux, peu importe. Le dresscode semble avoir été fixé quelques centimètres plus haut. Des sourires radieux autour d’une de ces tables rondes dressées au cœur du Palais des beaux-arts, à l’occasion du dîner de gala de la Fondation du Sporting de Charleroi. Les querelles politiques sont déjà bien marquées, mais semblent respecter une trêve de quelques instants. Le temps d’un cliché, où Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez paraissent réconciliés par le sourire ravageur de Mehdi Bayat.

L’homme fort des Zèbres a forcément de bonnes relations avec son bourgmestre. C’est en concertation avec le président du Parti socialiste qu’il a d’ailleurs choisi de bâtir la future enceinte de son club à Marchienne-au-Pont, dans un quartier laissé à l’abandon, plutôt qu’à Gosselies, là où le ring carolo épouse les courbes de l’autoroute E42. L’endroit est moins accessible, mais entre mieux dans le projet de redynamisation d’une ville qui tente de se refaire une image.

Les affinités sont toutefois plus fortes avec Georges-Louis Bouchez. Les deux hommes s’estiment autant qu’ils se ressemblent. Souvent, le président du MR appelle le CEO des Zèbres pour lui demander conseil dans sa gestion des Francs Borains. Bouchez ne cache jamais que la trajectoire du Sporting de Charleroi sauce Mehdi Bayat est une source d’inspiration pour esquisser l’avenir de ses couleurs. Si la campagne électorale est encore loin de ce soir d’automne 2021 qui les rassemble le temps d’une photo, Magnette comme Bouchez savent alors que Mehdi Bayat est encore l’un de ceux en la compagnie duquel il est de bon ton d’être vu.

L’oreille des puissants

Discrètement, pourtant, l’étoile du plus carolorégien des Franco-Iraniens s’est mise à pâlir. Un an plus tôt, ses intimes l’imaginaient encore poursuivre son ascension jusqu’aux instances européennes. L’intéressé balayait d’un sourire complice les questions qui évoquaient une future présidence de l’UEFA, instance continentale regroupant toutes les fédérations européennes et deuxième organe le plus puissant du football mondial après la Fifa. Il était encore le dynamique président de l’Union belge de football, l’un des soutiens majeurs du sélectionneur Roberto Martínez, et un homme de confiance pour certains joueurs, parmi les plus influents du vestiaire des Diables Rouges.

En janvier 2021, Mehdi Bayat décide donc de caler le pied dans la porte du football européen. Il présente sa candidature pour intégrer le comité exécutif de l’UEFA, sorte de gouvernement du football continental. Quelques mois plus tôt, le dirigeant carolo a fait parler de lui au-delà des frontières en se frottant à Aleksander Ceferin, président de l’UEFA. Contrairement à la majorité des autres présidents de fédération, Mehdi Bayat refusait alors de voir le championnat belge reprendre ses droits pour finir la compétition dans la foulée de la crise sanitaire. En coulisses, on dit alors que les nombreux appuis du patron du football belge au sein du monde politique l’ont aidé à blinder les intérêts européens de la compétition nationale (évitant notamment une suspension des coupes continentales pour les clubs belges).

Adversaire historique et presque caricatural, car souvent opposé au frère aîné Mogi quand il enfile sa casquette pourtant interdite d’agent de joueurs, le (désormais ancien) dirigeant de l’Antwerp Lucien D’Onofrio en profite pour accuser Mehdi Bayat de conflit d’intérêts et de «hold-up sur la compétition», en gelant un classement favorable à Charleroi (alors troisième). Le Franco-Iranien rétorquera qu’au moment de l’arrêt des compétitions, personne ne semblait plus fort que ses Zèbres (plantureux vainqueurs de Gand, deuxième, lors du dernier match disputé), et la majorité du landerneau footballistique national sera plutôt d’accord avec lui. Un peu comme Charleroi, Mehdi Bayat semble traverser 2020 en étant plus fort que jamais.

Beaucoup de concurrents aiment raconter que Mehdi Bayat n’est qu’un patron de façade, que c’est son aîné le véritable homme fort des Zèbres.

Désillusion européenne

La suite se dégrade pourtant aussi vite que les résultats des Carolos, enfoncés dans une longue crise après un début de saison exceptionnel sous les ordres de Karim Belhocine. En avril 2021, alors qu’il mène déjà discrètement le dossier du successeur de son entraîneur actuel, le congrès ordinaire de l’UEFA se réunit en Suisse, à Montreux, pour désigner les huit heureux élus pour siéger au sein de l’instance continentale lors des quatre années à venir. Huit places pour neuf candidats, un seul recalé au menu. Surprise pour le monde du football belge, où sa cote est toujours intacte malgré les critiques de D’Onofrio ou sa citation dans l’épineux dossier du Footgate: Mehdi Bayat est le non-élu. Pour la première fois depuis des années, son ascension vertigineuse est interrompue. Les quatorze petites voix récoltées sont bien loin des espoirs, voire des promesses faites encore quelques jours avant le scrutin.

«On peut dire qu’il y a eu une certaine forme de trahison, car beaucoup de gens importants m’ont poussé, soutenu, se défend alors Bayat dans la DH. J’ai connu beaucoup d’élections et c’était ma première défaite. J’ai pensé avoir perdu ma bonne étoile.» Un mois plus tard, un jour avant que la Fédération annonce que les Diables Rouges décolleront de Charleroi pour rejoindre l’Euro 2021 (et que certains pointent certainement du doigt un nouveau conflit d’intérêts potentiel dû à sa double casquette), le président de l’Union belge profite de la présentation à la presse de son nouvel entraîneur, le jeune Edward Still, pour annoncer qu’il quitte son siège au sommet du football belge. Le tout frais coach des Zèbres est visiblement surpris, un peu comme si votre meilleure amie profitait de votre fête d’anniversaire pour montrer à tout le monde sa nouvelle bague de fiançailles.

Même pour son prétendu retour dans l’ombre, Mehdi Bayat ne peut pas s’empêcher de prendre un peu de lumière. Sans doute parce que le «coup de foudre professionnel» qu’il évoque systématiquement quand il parle d’Edward Still lui offre une nouvelle opportunité de regarder vers le haut. Après le K.-O. européen et individuel, c’est sur ses terres et avec Charleroi que le cadet des frères Bayat rêve à nouveau d’associer son nom à une spirale de réussite. S’il évoque le fait de «reprendre une vie plus sereine» en pouvant consacrer plus de temps à sa famille, le désormais ex-président fédéral présente d’ailleurs son retour comme «un symbole fort qui doit démontrer que Charleroi a beaucoup d’ambitions».

Depuis quelques temps, Mehdi Bayat n’en finit plus de prendre des coups. Au propre comme au figuré.

La méthode Bayat

Sur le boulevard Zoé Drion, siège du stade du Pays de Charleroi, c’est le temps des grands travaux, au propre comme au figuré. A la demande d’Edward Still, le staff emménage hors des vestiaires des joueurs, de l’autre côté de la rue. Sur le marché des transferts aussi, le chantier est conséquent. Il commence déjà au printemps, quand Mehdi Bayat règle encore les affaires courantes à la Fédération, puis se poursuit au moment du retour du grand patron. Si un audit établi par un grand cabinet de consultance a mis en lumière la dangereuse omniprésence du grand patron pour la bonne tenue du Sporting de Charleroi, le Franco-Iranien ne compte pas laisser de côté les matières sportives. Très vite, c’est un chief operating officer (COO) qui débarque pour gérer les opérations quotidiennes des Zèbres, et laisser plus de temps à Bayat pour s’enivrer de l’excitation de la gestion sportive et du marché des transferts. Un domaine sur lequel Karim Belhocine et son prédécesseur, Felice Mazzù, lui avaient toujours fait confiance, souvent avec réussite. Car depuis sa prise de fonction à la tête du club carolo, c’est par la qualité des filons dénichés par son réseau que Mehdi Bayat s’est fait remarquer.

Au milieu des années 2010, dans un football belge qui n’a pas encore été contaminé par la fièvre des datas qui s’abat sur les cellules de recrutement des grands championnats, Mehdi Bayat est une référence. CEO très influent d’Anderlecht, où il enchaîne les titres malgré les critiques des puristes et les soupçons de générosité excessive dans les commissions de certains agents de joueurs, Herman Van Holsbeeck ne manque jamais une occasion d’adouber le cadet de la fratrie Bayat comme son successeur potentiel chez les Mauves. Il faut dire qu’en plus d’une excellente relation avec Mehdi, l’homme fort du Sporting bruxellois confie volontiers les clés de son mercato à Mogi, alors l’agent le plus puissant du pays.

A Charleroi aussi, c’est évidemment grâce au grand frère et à ses proches que se réalisent certains coups fumants. A tel point que dans le milieu, beaucoup de concurrents (dirigeants ou agents) aiment raconter que Mehdi Bayat n’est qu’un patron de façade, et que c’est son aîné le véritable homme fort des Zèbres. Jamais prouvé, systématiquement réfuté par les intéressés, le soupçon est probablement excessif. La certitude, en revanche, c’est que le réseau de Mogi devient rapidement celui de son cadet, à force de rencontres qui créent des liens et des amitiés. Associés du frère agent et souvent présents en tribune à Charleroi, des intermédiaires comme David Lasaracina (aujourd’hui directeur sportif des Francs Borains), William D’Avila ou Karim Mejjati deviennent peu à peu des hommes de confiance avec lesquels Mehdi Bayat ne craint jamais de réaliser un transfert. Là où certains agents n’hésitent pas à refiler un joueur impossible à recaser à des dirigeants peu attentifs en toute fin de mercato, ils sont immédiatement plus prudents quand il s’agit de faire affaire avec le petit frère du patron du jeu belge.

Coaching à l’ancienne, recrutement qui se modernise lentement, la stratégie du moindre coût atteint ses limites.

Vanté par tout le milieu quand il s’agit de tirer le meilleur prix d’un joueur en vogue sur le marché, Mogi Bayat s’avère également précieux pour faire gonfler la valeur des joueurs mis en vitrine par Charleroi, et donc la trésorerie du club. Presque toujours arrivés gratuits, rarement achetés pour des sommes dépassant le million d’euros, les Zèbres de passage rapportent gros et font du Sporting carolo un modèle économique. Sans jamais toucher aux millions de la Coupe d’Europe, Charleroi est l’un des rares clubs à rendre presque systématiquement ses comptes dans le vert en vendant à bon prix ses bons joueurs chaque année. Mehdi Bayat n’y est évidemment pas pour rien, sa fonction momentanée de président de la Fédération lui permettant même d’élargir encore plus son carnet d’adresses, et donc son réseau de vendeurs et d’acheteurs potentiels. Pour celui qui avait débuté dans le football comme directeur commercial du club qu’il pilote désormais, le business reste une affaire innée.

Le futur dans le rétroviseur

Avec l’arrivée d’Edward Still et le chantier d’un nouveau stade, Mehdi Bayat est donc persuadé de faire entrer son club dans une nouvelle dimension. La première saison est une réussite, avec une sixième place en phase classique puis une septième place finale au terme des play-offs 2, mais le départ du buteur Vakoun Bayo et l’absence d’investissement dans un joueur chevronné pour le remplacer font naître les premiers désaccords. Au club, le professionnalisme pointilleux, parfois exacerbé, de Still tranche avec les habitudes des employés historiques, qui s’en plaignent de plus en plus ouvertement auprès du grand patron. La série de mauvais résultats à l’automne de la deuxième saison amène Mehdi Bayat à se séparer d’un entraîneur en cours de saison pour la première fois depuis plus d’une décennie, et fait prendre un nouveau virage au dirigeant et à son club.

Tout juste mis à pied par Anderlecht, où on lui reproche notamment un manque de modernité dans son approche, Felice Mazzù est sur le marché. L’entraîneur historique des Zèbres est libre, et Mehdi Bayat y voit un signe. En proie à une sorte de crise identitaire suite aux métamorphoses impliquées par le passage de Still, le Sporting de Charleroi décide de se raccrocher à son passé, période où les résultats étaient plus systématiquement positifs et où le noyau coûtait moins cher et les employés étaient moins nombreux. Comme si cette fois, c’était le discours de Georges-Louis Bouchez qui lui servait de modèle et plus l’inverse, Mehdi Bayat a toujours cherché à limiter les dépenses, tant pour les joueurs achetés que la masse salariale ou l’extension du staff.

Les décisions du club sont désormais signées par «le board» et non plus par l’unique CEO.

Combinée au coaching à l’ancienne et à un recrutement qui ne se modernise que lentement, sous l’impulsion du jeune Joseph Braillard (l’enfant d’un ami de la famille Bayat, passionné de football), la stratégie du moindre coût atteint ses limites. Le discours du dirigeant, autrefois séduisant jusqu’aux oreilles des politiciens de haut vol et des Diables Rouges, peine désormais à convaincre son propre public, qui multiplie les chants et les actions à son encontre au fur et à mesure des résultats décevants qui s’accumulent. Présenté de longue date comme un communicant hors pair, Mehdi Bayat réalise peu à peu que son discours devient inaudible pour ses fans, particulièrement les plus investis, rassemblés derrière la plume acerbe du groupe Storm Ultras sur les réseaux sociaux. Le nouveau partenaire américain, David Helmer, est envoyé en pacificateur dans les semaines qui suivent son arrivée au sein de l’actionnariat du club, mais les actes trop rarement visibles qui accompagnent son discours ne font que créer la sensation qu’il est avant tout là pour protéger Mehdi Bayat, les décisions du club étant désormais signées par le «board» et non plus par l’unique CEO.

Edward Still n’en revient toujours pas. Même pour son prétendu retour dans l’ombre, Mehdi Bayat n’a pu s’empêcher de lui voler la vedette à son arrivée au Sporting.

Les saisons des tempêtes

Les temps sont tumultueux, et les tempêtes de plus en plus fréquentes. Depuis la première, qui avait secoué le stade du Pays de Charleroi le jour d’un match à huis clos –crise sanitaire oblige– contre Eupen. Ce jour-là, les supporters pourtant privés de tribune étaient montés sur la pelouse, exigeant la venue de Mehdi Bayat sous peine d’empêcher le match d’avoir lieu. Les pourparlers puis le bon début de saison suivante ont mis la colère au frigo, mais elle en est ressortie rapidement, avec de plus en plus de fréquence et de virulence. Un match perdu dans un climat délétère contre Courtrai pour une des dernières sorties sous les ordres d’Edward Still, une rencontre suivante carrément arrêtée contre Malines, puis de nouveaux remous, même quand l’icône des tribunes Felice Mazzù était revenu à la barre.

Dépeint en parrain d’une mafia d’agents de joueurs par ses propres supporters, suspecté de privilégier leur intérêt à celui de la réussite sportive de son Sporting, Mehdi Bayat est désormais bien loin des tapis rouges européens du début de la décennie. Celui que beaucoup considéraient alors comme l’homme le plus puissant du football belge doit désormais partager le pouvoir dans ses propres bureaux zébrés, même s’il continue à se réserver l’ivresse des bons coups du mercato, son moteur majeur dans le grand jeu du ballon rond qu’il espère bientôt faire vrombir à nouveau en dénichant l’attaquant qu’il manque à ses coachs depuis deux ans. Après tout, si on connaît les bonnes personnes, rien n’est hors de portée. Pas même une photo où Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez ont l’air heureux d’être ensemble.

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