Le Charleroi de Jakob Napoleon Romsaas perdra-t-il bientôt son statut de maître du Hainaut? © Getty Images

Le Hainaut voit grand: la RAAL, Mons et Mouscron nouveaux très bons élèves du foot wallon

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Historiquement plutôt penché vers Liège, le football wallon voit de nouvelles places fortes se multiplier dans le Hainaut. Au point d’équilibrer la balance?

Le récit prend presque l’allure d’une histoire de famille. Quarante ans avant le duel entre Charleroi et La Louvière ce 29 novembre 2025, près de deux décennies avant que la dynastie Bayat s’installe sur le trône zébré, Salvatore Curaba était chez lui au Mambourg. Dans le Pays Noir, rejoint depuis La Louvière quand les Carolos luttent pour retrouver une place en première division, le «Loup» devient un «Zèbre» puis un joueur de l’élite nationale, quand les Carolos profitent du tour final pour rejoindre la D1. Le futur homme d’affaires y disputera 70 matchs en trois saisons. Il aime le rappeler à ceux qui doutent de sa carrière passée en dégainant son smartphone pour y faire revivre son slalom dans la défense du Standard, effaçant même le gardien Gilbert Bodart avant de glisser le ballon à Didier Beugnies pour une victoire hainuyère dans le choc wallon.

Sur les terres de ses exploits, Salvatore Curaba reviendra cette fois en président adverse. Depuis 2017, il est le président de la RAAL La Louvière, incarnation wallonne de la success-story footballistique. S’il aurait pu devenir propriétaire d’un club de Mons tombé en faillite deux ans plus tôt, c’est dans sa ville natale que l’entrepreneur a finalement posé ses valises et ses billets. Chahutée par des ennuis extrasportifs à répétition, l’équipe de La Louvière vivote alors dans des projets flous au cœur des divisions inférieures, sans jamais remonter véritablement la pente. Jusqu’à ce que Curaba transpose sur le rectangle vert les méthodes éprouvées par sa société Easi, aujourd’hui considérée comme une référence nationale.

Si le Loup en lui a fini par manger le Zèbre, Salvatore Curaba ne sera certainement pas indifférent en voyant son club d’aujourd’hui défier ses couleurs d’alors. A terme, il rêve même de contester leur suprématie provinciale, vécue sans partage depuis une bonne décennie malgré les soubresauts inégaux d’un Mouscron aux mains de patrons étrangers. Longtemps seuls dans leur «zone de chalandise», comme aime la présenter Mehdi Bayat quand il mobilise son savoir-faire de diplômé d’une école de commerce, les Carolos doivent désormais vivre avec un loup dans leur bergerie. En attendant le retour des autres? On dirait qu’un vent de renouveau souffle sur le Hainaut.

A la RAAL, on aime dire qu’on était un club pro bien avant de faire partie du football professionnel.

Les bons rivaux du Hainaut

Pas de véritable nouveauté à l’horizon, pourtant. «On prend les mêmes et on recommence», dit une expression qui semble sortie d’un vestiaire hainuyer. Tous descendus vers les catacombes du football national à la suite de faillites ou d’ennuis judiciaires, les clubs phares de la province remontent minutieusement les échelons. Encore englués en troisième division amateur, soit au cinquième étage du football national en 2017-2018, les Francs Borains ont nourri les ambitions de leur président Georges-Louis Bouchez et les rêves d’enfant de leur véritable tête pensante sportive, l’ancien agent de joueurs David Lasaracina, en franchissant trois paliers pour s’installer en Challenger Pro League (D2), où ils viennent d’entamer leur troisième saison.

Ils ont finalement été dépassés par cette RAAL La Louvière qu’ils devançaient pourtant presque systématiquement dans les classements des divisions inférieures au fil de leur ascension. Arrivés dans l’antichambre de l’élite belge un an plus tard que leurs meilleurs ennemis borains, les Loups en sont sortis un an plus tôt, pour désormais regarder le Charleroi de Mehdi Bayat dans les yeux.

Les trajectoires sont aussi similaires que les méthodes opposées. A Boussu, on a investi dans l’équipe avant de le faire dans le club, attirant des joueurs prometteurs grâce au carnet d’adresses de Lasaracina dans des infrastructures encore très éloignées des standards du football professionnel. A La Louvière, c’est une cellule sportive bien plus structurée (et étoffée au fil des ans) qui s’est appuyée sur un cadre de travail exceptionnel pour gravir minutieusement les marches vers les hautes sphères du football belge. Dans les couloirs du centre d’entraînement moderne de la RAAL, on aime dire qu’on était un club professionnel bien avant de faire partie du football professionnel. Chez les Borains, on a plutôt attendu d’être sportivement arrivé au sein du monde pro pour professionnaliser la structure. Plus rapide dans les premiers mètres, la stratégie boraine s’est fait doubler en vue de la ligne d’arrivée pendant qu’elle cherchait son second souffle.

Le retour des anciens

La nouvelle densité hainuyère ne s’arrête pas là. Parce que comme son éternelle rivale liégeoise, la province de Hainaut compte aujourd’hui six équipes parmi les trois plus hautes divisions du football belge. Les Liégeois ont évidemment le puissant Standard, dont l’équipe B survit en N1 ACFF (la troisième division), mais aussi les autres clubs de la ville que sont le RFC Liège et Seraing, présents en D2 avec les germanophones d’Eupen. Le Royal Stockay Saint-Georges complète le tableau principautaire, là où le Hainaut peut compter sur des places fortes bien plus ventilées dans l’espace géographique. Certes, Charleroi héberge la moitié de ces pensionnaires, entre le Sporting zébré, son équipe B bien installée en N1 ACFF et l’Olympic, promu vers la Challenger Pro League l’an dernier.

Les nouveaux ambitieux en puissance se situent toutefois à l’extérieur des murs de la plus peuplée des communes wallonnes. Parce qu’à Mons, après le refus de Salvatore Curaba voici une décennie, l’Albert Elisabeth Club a fait renaître le dragon de ses cendres. Subtilement baptisé «Renaissance», pour remplacer l’ancien «Royal» et retrouver les historiques initiales RAEC devant le nom de la ville, le club montois n’est pas passé loin d’enchaîner trois montées en trois saisons successives, sous l’impulsion d’un Dante Brogno qui avait déjà envoyé les Francs Borains dans l’ascenseur quelques saisons plus tôt. C’est la maladie du frère cadet, Toni, qui a éloigné la famille Brogno du stade Tondreau, et peut-être les Dragons du titre alors qu’ils étaient en tête de la D1 ACFF à la fin de l’hiver dernier. Ce n’est peut-être que partie remise puisque le club, désormais passé sous pavillon anglais depuis l’été dernier, joue une fois de plus les premiers rôles au sein de la troisième division nationale.

Parmi les grandes enceintes de la région, visiblement les plus propices à accueillir des projets ambitieux sur les cendres des histoires passées, il y a encore le stade Luc Varenne et le Canonnier, là où le Hainaut tutoie à la fois la Flandre et la France. Le premier, bâti au début du millénaire et capable d’accueillir un peu plus de 7.000 supporters, accueille surtout les mésaventures du RFC Tournai, incapable de trouver les moyens de ses ambitions et proche d’une deuxième descente consécutive, direction la D3 ACFF. Le second, en revanche, compte bien se rapprocher du soleil, même si le Hurlu s’y est souvent brûlé les ailes. Lancé en juin 2022 à la suite de la nouvelle chute de l’Excel Mouscron, devenu un nid d’agents pas vraiment propice à l’éclosion de footballeurs, le Stade Mouscronnois est probablement la future belle histoire du football wallon. Promu pour la troisième année consécutive pour monter de la troisième provinciale hainuyère à la D3 ACFF, avec d’anciens joueurs professionnels en son sein, le club est désormais en tête de son championnat et rêve d’une quatrième montée en autant de saisons, pour encore ajouter un bastion du Hainaut dans l’équation du football régional.

Il y a plus de travail collégial que de haine ancestrale entre ces clubs du Hainaut.

Histoires de familles

Souvent, les recettes sont identiques. Familiales, aussi. A l’image d’un Salvatore Curaba ou d’un Dante Brogno, il y a plus de travail collégial que de haine ancestrale entre ces clubs du Hainaut. Les joueurs passent souvent d’un club à l’autre, les bureaux accueillent les mêmes agents influents, de l’incontournable Mogi Bayat au Français Thomas Buanec, et les débuts de saison sont souvent mis à profit pour organiser de conviviales rencontres amicales pour affûter les crampons avant les premiers coups de sifflet.

«C’est un petit milieu où tout le monde se connaît bien, et les clubs sont assez éloignés les uns des autres pour ne pas se faire de véritable concurrence en piquant les supporters du voisin», glisse un agent bien introduit dans les différentes enceintes du Hainaut. C’est ainsi que pour réussir sa délicate opération de maintien en Challenger Pro League, l’Olympic a attiré trois joueurs de la RAAL, un des Zebra Elites (l’équipe des moins de 23 ans du Sporting de Charleroi), et a désormais confié son banc de touche au Français Arnauld Mercier, ancien mentor des Francs Borains. Le tout après avoir choisi Manu Ferrera comme directeur sportif, quelques mois après que l’arrivée des Anglais à Mons a précipité son départ de la cité du Doudou.

Ce football hainuyer a décidément l’allure d’une histoire de famille.

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