L’agent sait toujours mieux que personne tirer les ficelles qui font décoller les millions. © belgaimage

Mogi Bayat est-il encore le patron du mercato belge?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Discret médiatiquement depuis les révélations du Footgate, moins en vue dans certaines places fortes du royaume, Mogi Bayat est toujours un homme qui pèse dans le foot belge. La preuve.

Si les bris de vaisselle qu’on aime associer aux ruptures font du bruit, c’est sans doute parce qu’à la Ghelamco Arena de Gand, on avait ouvert grand les fenêtres. Directeur du scouting, l’Allemand Samuel Cárdenas avait profité de son invitation à la conférence de presse de présentation du milieu de terrain israélien Omri Gandelman pour faire part de son agacement: «C’est un transfert du coach, à 100%.» Deux mois après ce linge sale lavé en public, les chemins de Cárdenas et de La Gantoise se séparent. La conséquence inévitable d’une fracture de plus en plus forte entre les recommandations du scouting et la réalité du recrutement des Buffalos, situation frustrante pour les recruteurs mais vécue dans de nombreux clubs, en Belgique ou ailleurs. Souvent, c’est un coach trop influent qui détermine les lignes directrices du marché des transferts. Parfois, ce sont ceux qu’on appelle les «agents maison» qui jouent avec les clés du mercato.

A Gand, Mogi a paradé dans les bureaux tout l’été, plusieurs fois par semaine.

En CEO chevronné aux rouages du milieu et de la communication d’entreprise, Michel Louwagie se défend avant même d’être attaqué. Dans le communiqué qui annonce le départ de Cárdenas, les mots de l’homme fort gantois balaient les rumeurs sous le tapis: «Le scouting est de la plus grande importance pour notre recrutement, alors que les agents jouent surtout un rôle dans la vente des joueurs.» Impossible pour lui de nier le second point puisque, quelques semaines plus tôt, Louwagie racontait à qui voulait l’entendre que son latéral belgo-espagnol Alessio Castro-Montes avait lui-même pris contact avec Mogi Bayat pour forcer son transfert vers l’Union Saint-Gilloise. Une version des faits contestée face aux micros par le joueur: «Pourquoi Mogi a-t-il été impliqué dans mon transfert? Je ne sais pas. C’est Gand et Louwagie qui ont voulu ça. Pour moi, ce fut aussi une surprise.»

Michel Louwagie avait menti. Il l’aurait encore fait, à en croire les bruits de couloir de la Ghelamco Arena. Parce que cet été, ceux qui tendaient l’oreille aux alentours du stade le plus moderne du pays ne pouvaient qu’entendre la réalité d’un mercato synonyme de retour à l’ancien monde. Renfort majeur de la défense gantoise, Ismaël Kandouss n’avait ainsi pas encore d’accord avec le club flandrien quand les dirigeants de l’Union lui ont annoncé que tout était déjà réglé dans les clubs pour son départ. Cela sans même nécessiter l’intervention de son agent, Samuel Zambelli, intermédiaire français qui collabore souvent avec Mogi Bayat sur des dossiers de transfert. Si, en théorie, les clubs sont toujours censés obtenir un accord avant tout contact entre l’acquéreur potentiel et le joueur, dans la pratique, cette logique n’est jamais respectée.

L’arrivée de Noah Fadiga, écarté chez les Français de Brest après la révélation de problèmes cardiaques, est aussi pilotée par le «dealmaker» franco-iranien en compagnie du père du joueur (ancien joueur de Gand) et au détriment de son agent historique. C’est également l’aîné de la fratrie Bayat qui intervient pour faciliter l’arrivée, en Flandre-Orientale, du joueur de flanc anglais Archie Brown, accueilli à bras ouverts par le coach Hein Vanhaezebrouck quelques mois après avoir été jugé insuffisant par le staff sportif quand il avait été proposé par une autre voie quelques mois plus tôt. Il a fallu une visite médicale ratée pour l’empêcher d’en faire de même avec l’attaquant ivoirien Konan Ignace N’Dri, finalement recasé à Louvain. «Mogi a paradé dans les bureaux tout l’été, plusieurs fois par semaine», confie-t-on chez les Buffalos, confirmant l’emprise majeure sur le mercato d’un homme devenu plus discret, mais pas moins influent, depuis les révélations de l’opération «Mains propres» à l’automne 2018 pour lesquelles il est inculpé. Fixé le 5 novembre pour clore la treizième journée de championnat, le duel entre Charleroi et Gand sera un rendez-vous en terrain connu pour l’agent. Une sorte de «Mogico».

Le rapprochement de Bayat et Louwagie s’assortit de la perspective d’un dernier transfert juteux pour le CEO gantois...
Le rapprochement de Bayat et Louwagie s’assortit de la perspective d’un dernier transfert juteux pour le CEO gantois… © belgaimage

Le rapporteur d’offres

Longtemps, Mogi Bayat fut présenté par certains de ses plus fervents adversaires comme le véritable patron occulte du Sporting de Charleroi. Son cadet, Mehdi, n’a cessé de le démentir, et personne n’a jamais apporté de preuve du contraire. Lors d’une récente réunion avec les supporters des Zèbres rassemblés dans le Collectif RCSC, la direction a toutefois dû préciser une fois de plus la nature des relations entre l’agent et le club: «Une cellule de scouting existe bel et bien, elle est constituée de deux personnes qui préparent le travail de recrutement. […] Le collectif souligne l’importance de communiquer sur celle-ci afin d’éviter que les supporters continuent de penser que Mogi Bayat serait toujours présent.» Même si les Carolos précisent que «Mogi n’a plus qu’une petite place dans les contrats (moins de 10%)», la signature d’Adrien Trebel cet été au terme de son contrat avec Anderlecht – négocié par l’agent en 2018 pour cinq ans et avec des émoluments faramineux – a été perçue comme une preuve de son pouvoir toujours important sur la destinée du club hennuyer.

Pourtant, dans le sens des arrivées, le frère du patron se fait plutôt discret, même s’il est très proche de Karim Mejjati (agent de Mehdi Boukamir ou d’Isaac Mbenza) ou de Raphaël Cabaraux (qui représente le nouveau venu Antoine Bernier). C’est plutôt pour remettre les comptes zébrés dans le vert que ses réseaux sont précieux, comme quand il débarque avec une offre du club londonien de Watford pour le buteur ivoirien Vakoun Bayo au bout du mois de juin 2022 après avoir été mandaté par son frère pour trouver une porte de sortie à l’un de ses joueurs bankable à quelques jours de la remise des comptes annuels.

«Louwagie sait que Mogi peut forcer quelque chose», avait indiqué Alessio Castro-Montes au moment de tenter de comprendre l’implication du Franco-Iranien dans son départ vers l’Union. Dans le milieu, où son statut d’inculpé ne refroidit pas les ardeurs de dirigeants qui ont souvent payé une transaction pénale pour échapper aux poursuites engendrées par le Footgate, beaucoup vantent effectivement son efficacité pour boucler un deal rapidement en contentant les deux clubs impliqués, souvent sans se soucier démesurément du joueur mais désormais sans le brusquer. Un trait caractéristique du nouveau Mogi. «C’est un agent très efficace pour convaincre les joueurs», avait argumenté, au micro de la RTBF, Philippe Bormans, CEO de l’Union, à l’heure de justifier le recours aux services d’un personnage contesté.

Même relégué dans l’ombre, il reste un acteur de poids sur l’échiquier national.

Le nouveau Mogi Bayat

Incontestablement, Mogi Bayat a changé. Pas seulement parce que son pouvoir s’est estompé dans certaines places fortes du football belge, devenant dérisoire à Anderlecht à la suite du départ d’Herman Van Holsbeeck puis au Standard après les chutes successives de l’entraîneur omnipotent Michel Preud’homme puis du président Bruno Venanzi.

Dans la foulée de sa détention de l’automne 2018, l’homme s’est fait plus discret, comme s’il se fiait au diagnostic posé par son petit frère dans de nombreux médias, selon lequel Mogi aurait surtout été «victime de sa grande gueule». Finies les provocations sur les réseaux sociaux, les menaces en public envers des confrères ou même les photos qui accompagnent chacun des transferts où il est impliqué de près ou de loin, l’heure est à la discrétion pour éviter d’attiser la colère de ses ennemis.

Longtemps, Mogi Bayat a été présenté comme le véritable patron occulte du Sporting de Charleroi.
Longtemps, Mogi Bayat a été présenté comme le véritable patron occulte du Sporting de Charleroi. © belgaimage

En cinq ans, ses seules apparitions médiatiques auront eu lieu dans le cadre des «Souliers du cœur», initiative organisée au printemps 2020 pour redorer l’image du football – et la sienne – en pleine crise sanitaire mondiale. Montée avec Jean-François Lenvain, l’ancien homme fort de la cellule sociale d’Anderlecht qui se chargeait de tout le volet opérationnel, la structure avait multiplié les photos de personnalités s’affichant derrière un cœur formé avec les doigts sur les médias sociaux et donné un aperçu du réseau toujours important de Mogi.

On y trouvait des Diables Rouges, souvent rameutés par Karim Mejjati grâce à son client Marouane Fellaini (les frères Hazard, Adnan Januzaj, Radja Nainggolan), ses entraîneurs phares du paysage belge qu’étaient ou sont Preud’homme, Vanhaezebrouck et Mazzù, mais aussi les quelques joueurs de son portefeuille comme Noë Dussenne, Sébastien Dewaest ou Clément Tainmont, ainsi que des dirigeants tels son frère, Bruno Venanzi et, évidemment, Michel Louwagie. Quelques semaines et autant d’actions symboliques plus tard, auxquelles les médias sont systématiquement conviés, l’association s’éteint et son site Internet ne mène désormais plus nulle part.

Le cavalier et le tango

Mogi, lui, sait pourtant toujours où il va. Son rapprochement sans cesse plus prononcé avec Michel Louwagie l’été dernier s’assortit alors de la perspective d’un dernier transfert juteux pour le CEO gantois, avant de passer la main pour une retraite déjà annoncée de longue date. A l’heure de clore le deal futur du transfert annoncé de la sensation nigériane Gift Orban, les dirigeants des Buffalos devraient effectivement pouvoir compter sur Mogi Bayat, qu’ils avaient déjà impliqué dans la vente du prodige canadien Jonathan David vers Lille, en 2020. Ces derniers mois, le nom du club nordiste est d’ailleurs revenu à plusieurs reprises dans les rumeurs de destination future pour Orban, lequel n’a pourtant pas besoin d’un agent qui frappe à toutes les portes pour voir son nom en haut de nombreuses listes de recruteurs européens. Par contre, l’agent sait mieux que personne tirer les ficelles qui font décoller les millions.

Chez les Gantois plus qu’ailleurs, le Franco-Iranien reste cependant un homme incontournable quand il s’agit de faire grimper les enchères. Un été plus tôt, Philippe Bormans l’avait invité à la table des négociations autour du transfert de Casper Nielsen, poumon danois du club saint-gillois. Dragué avec insistance par Bruges, séduit par la perspective de jouer la Ligue des Champions et de multiplier ses chances de convaincre son sélectionneur de l’emmener au Qatar pour la Coupe du monde, Nielsen se voit déjà dans la Venise du Nord, mais l’offre brugeoise est trop chiche pour les dirigeants unionistes. Ils mandatent alors Bayat pour ouvrir d’autres portes plus rémunératrices. Sans surprise, Mogi ouvre celle qui mène à la Ghelamco Arena, prête à payer plus cher l’arrivée du milieu danois mais pas aussi généreuse sur le plan salarial et surtout moins attrayante sur l’aspect sportif. Nielsen finira par signer à Bruges, mais l’Union versera une commission à Mogi Bayat, relevée par le rapport de la fédération belge sur les intermédiaires pour les transactions comprises entre avril 2022 et mars 2023, le remerciant ainsi d’avoir fait gonfler le prix.

Même volontairement relégué dans l’ombre, alors que d’autres agents, voire des avocats, ont accaparé la lumière des grands deals du football belge, Mogi Bayat reste un acteur de poids sur l’échiquier national. Principalement par sa faculté à dénouer des situations complexes, quand la panique gagne les bureaux des dirigeants. Un dealmaker qui trouve des chemins dans les voies sans issue. L’homme doit forcément avoir ses avantages, pour que tant de dirigeants continuent à vanter la qualité de ses services tout en fermant les yeux sur ses inculpations en se protégeant derrière la présomption d’innocence. Parce qu’il ne faut jamais oublier qu’il faut être deux pour danser un tango. A l’heure d’entrer en piste, Mogi ne déambule plus ostensiblement au cœur des projecteurs, mais fait toujours partie des cavaliers les plus convoités.

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