En raison de la blessure d’Adrien Trebel, Albert Sambi Lokonga va recevoir une vraie chance dans l’entrejeu. Portrait d’un adolescent qui ne sait pas ce qu’est la pression.
Ten, nine, eight, seven, six, five, four, three, two, one, zero. Let’s go ! Tandis que le speaker chauffe le stade de Sclessin et que la T3 prend feu, Albert Sambi Lokonga (19 ans) pénètre tranquillement sur la pelouse. Une fois les fumées des feux de Bengale dissipées, on aperçoit clairement la silhouette bien bâtie du médian.
Son visage ne trahit pas le moindre signe de nervosité. Pourtant, il n’a appris sa titularisation que deux heures plus tôt. Lorsqu’il croise son grand frère, Paul-José Mpoku, il le met au courant. Soudain, Polo devient nerveux : il se tracasse pour son frangin qui va jouer son premier clásico.
Mpoku est à tel point désorienté que, dans le vestiaire, il ne trouve pas les bons mots au moment de faire son speech. N’importe quel adolescent serait stressé ou à tout le moins tendu mais Sambi Lokonga garde la tête froide. Comme toujours, d’ailleurs. Le numéro 48 s’énerve rarement et jamais sur un terrain de football. Il est rationnel, pas émotif.
Qabala Cup 2015
Le choc Standard-Anderlecht se termine sur un 3-3 spectaculaire et Sofiane Hanni, auteur d’un hat-trick, attire tous les regards. Mais tout le monde a vu combien Sambi Lokonga, alias Mister Cool, a pris le dessus sur l’entrejeu liégeois. C’est déjà ce talent qui, en 2015 en Azerbaïdjan, lui avait permis de remporter la prestigieuse Qabala Cup avec les U15 d’Anderlecht.
» On affrontait Fenerbahçe en finale « , explique Stéphane Stassin, qui a entraîné Sambi Lokonga en U15, U16 et U19. » On n’a pas pris le temps de contrôler les cartes d’identités des joueurs turcs mais beaucoup d’entre eux avaient une grosse moustache tandis qu’on alignait un petit maigrichon comme Albert. Je devais faire un choix et je l’ai laissé sur le banc.
Pour le motiver, je lui ai dit que, quand il entrerait au jeu, ce serait à lui de faire la différence mais il était tellement déçu qu’il n’était plus intéressé. À vingt minutes de la fin, je l’ai fait monter et, sur une des ses premières touches de balle, il a marqué d’un tir de loin… »
Quick et Flupke
Cinq ans plus tôt, en 2010, la famille Mpoku-Sambi Lokonga avait pris une décision drastique : le petit Albert allait poursuivre sa formation à Anderlecht et pas au Standard, où Mpoku avait passé une partie de sa jeunesse. Les parents ne voulaient pas que les gens comparent sans cesse leurs deux fils.
Sambi Lokonga – que ses amis appellent Danny Welbeck parce qu’il ressemble à l’attaquant d’Arsenal – était alors passé d’Eupen aux U11 du Sporting en compagnie de Romano Moscato. Depuis, les deux jeunes sont inséparables – on les surnomme d’ailleurs Quick et Flupke.
À Neerpede, Sambi Lokonga ne laissait personne indifférent et, jusqu’en U15, il était considéré comme un grand espoir. Par la suite, il a un peu plafonné. Sur le plan technique, il figurait parmi les meilleurs mais, physiquement, il n’était pas capable de rivaliser avec les gars de son âge. Alors que ses équipiers grandissaient, il gardait l’apparence d’un enfant de douze ans. Malgré son élégance dans le dribble, son corps le handicapait.
Tard mature
» Entre les U15 et les U17, Albert a éprouvé beaucoup de difficultés « , dit Jean-François Lenvain qui était chargé par Anderlecht de le suivre personnellement. » Pendant des années, il faisait partie du top 3 de la génération 1999, avec Milan Corryn et Francesco Antonucci. Mais soudain, il s’est retrouvé sur le banc. Il n’a pas perdu sa bonne humeur pour autant. Je ne dirai pas qu’il souriait du matin au soir mais il mettait toujours l’ambiance. »
Jusqu’à un certain âge, il a compensé son manque de taille par de la grinta. Il ne craignait pas non plus d’aller au duel contre des gars qui pesaient 20 kg de plus que lui. Ça lui valait la sympathie des entraîneurs d’Anderlecht, rien de plus. En équipe nationale d’âge, il n’a joué qu’un seul match de U17 face à la République tchèque en 2016.
Comme Alexis Saelemaekers il n’était repris qu’en équipe tard mature, la formation réservée aux joueurs pas mûrs sur le plan physique. À un certain moment, certains croyaient tellement peu en lui que Jean Kindermans, directeur du centre de formation d’Anderlecht, a dû taper du poing sur la table et réaffirmer sa confiance en Sambi Lokonga.
Devant la défense
» À l’époque, j’ai utilisé un langage imagé « , dit Lenvain. » Je lui ai dit qu’il était le machiniste du train et qu’il avait cinq mètres de retard sur le dernier wagon. Ce n’était pas grave mais il ne pouvait pas prendre cent mètres dans la vue. Nous l’avons rassuré : à un certain moment, la nature allait faire son oeuvre. Le jour de ses 18 ans, je lui ai offert un train miniature. Personne n’a compris pour quoi mais lui et moi, on savait que c’était symbolique. »
Très talentueux, Sambi Lokonga tombait parfois dans la facilité. En U19, on le renvoyait de temps en temps sur le banc afin de le secouer. Selon Stassin, il restait trop souvent dans sa zone de confort. » Albert jouait dans un fauteuil, à l’aise. Dribbler un homme, caler le ballon sous la semelle… Si je le mettais sur le banc le samedi, je savais qu’il casserait la baraque à l’entraînement le lundi.
Et c’était reparti. Il fallait toucher la corde sensible. Un jour, j’ai sorti ses statistiques devant tout le groupe : zéro but, zéro assist. Il m’a promis de marquer lors du match suivant. Il a tenu promesse. Pas une fois mais trois fois. Parfois, on discutait de son placement. Il râlait parce que je ne voulais pas l’aligner en 10. Un jour, je lui ai dit ma façon de penser : En 10, tu n’y arriveras jamais. Tu dois jouer devant la défense. »
7 kilos de muscle en plus
À Neerpede, tout le monde a été surpris lorsque, avec l’aide d’Emilio Ferrera, Sambi Lokonga a frappé à la porte de l’équipe première. Personne ne pensait que le joueur frêle qui, deux ans plus tôt, était sur le banc en U19, effectuerait ses débuts en D1 avant des garçons comme Sebastiaan Bornauw et Milan Corryn.
Au cours des dix-huit derniers mois, il a tellement évolué – il a pris 7 kilos de muscle et fait deux têtes de plus que ses anciens entraîneurs – qu’il est bon pour le service. Seul Hein Vanhaezebrouck sait pourquoi il a dû attendre près de neuf mois pour être à nouveau titularisé, face à Waasland-Beveren.
» Je n’ai jamais entendu Albert dire une seule fois qu’il voulait partir « , dit son agent, Stijn Francis. » Il savait qu’avec Sven Kums, Adrien Trebel et Yevhen Makarenko, la concurrence était si forte qu’il devrait être à 100 % pour recevoir sa chance. Herman Van Holsbeeck et Luc Devroe ont toujours été très ouverts à notre égard et nous n’avons donc jamais été surpris. Malgré tout ce qui se passe au sein du club, tout le monde a toujours été très correct envers Albert. »