L’Union et l’Antwerp incarnent l’émergence de nouvelles puissances qui bousculent l’historique «G5». © BELGA

Et si la finale entre l’Union et l’Antwerp était le symbole du foot belge du futur?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Un club dirigé aux datas par un propriétaire étranger contre un géant historique soutenu par un milliardaire belge: la finale de la Croky Cup raconte à merveille le foot belge.

Parce que le championnat de Belgique aime faire passer ses matchs au sommet sur la table de multiplications, l’Union et l’Antwerp ont les chiffres de leur côté pour argumenter au sujet de la qualité de leur affrontement. Ce n’est que leur troisième saison commune du siècle au sein de l’élite du championnat belge, mais leur duel en finale de Coupe de Belgique sera déjà le quinzième en trois ans. Probablement une opportunité de se départager, au moins provisoirement, puisque les compteurs affichent actuellement quatre partages, et donc cinq victoires dans chaque camp. Surtout, un épisode supplémentaire d’un affrontement qui devient un feuilleton de haut vol. Parce qu’en trois ans, toujours, les deux clubs sont les seuls, avec Bruges, à s’être systématiquement invités à l’affiche des Champions play-offs. Ils incarnent, chacun à leur manière, l’émergence de nouvelles puissances au sein du football belge qui bousculent l’historique «G5».

Chamboulé en interne par des ennuis financiers et des erreurs de gestion qui ont fait péricliter ses résultats sportifs, le Standard est le premier à avoir quitté ce pentagone du pouvoir de la Pro League. Ses membres, désignés en cumulant les classements finaux obtenus lors des cinq dernières saisons, jouissent alors de plusieurs privilèges, l’un des plus importants étant le vote comptant triple lors des assemblées générales des clubs professionnels belges, là où la voix des autres entités de l’élite compte double, ou simple pour les membres de la deuxième division. Revenu en première division en 2017, l’Antwerp reste aujourd’hui sur cinq saisons bouclées dans le top 4, et talonne l’intouchable Bruges comme membre presque indéboulonnable du G5. Quant à l’Union, si elle maintient le rythme pris depuis son retour à proximité du sommet du football belge, elle pourrait remanier la hiérarchie nationale dès la fin de la saison 2024-2025, au détriment de Gand ou d’Anderlecht.

Comme dans tout bon scénario où la soif de pouvoir s’invite dans le script, les crises de jalousie ne sont jamais bien loin. Il se dit ainsi que chez de nombreux patrons du football belge, les informations concernant les ennuis financiers de l’Antwerp et de son propriétaire et président Paul Gheysens ont fait esquisser des sourires narquois. A l’abri des micros et de la médiatisation qu’ils enclenchent, des dirigeants aiment alors raconter qu’ils l’avaient bien dit, rappelant l’exemple d’un Ostende qui se noie depuis que le club a été abandonné par Marc Coucke. Ceux-là tournent ensuite les regards vers Saint-Gilles, devenu le bastion le plus emblématique de ces investisseurs étrangers qui placent leurs économies dans des clubs belges «jusqu’au jour où leur jouet ne les intéressera plus», glisse-t-on sournoisement. Le discours ambiant aime voir l’Antwerp et l’Union comme des versions modernes d’Icare, attendant de les voir s’embraser pour avoir voulu trop rapidement se rapprocher du soleil.

Un flirt à l’Union, un amour à l’Antwerp

Les histoires ont pourtant peu de choses en commun. Certes, elles auraient pu épouser une destinée inattendue si au cœur des années 2010, tout juste doublé par Marc Coucke dans le dossier du rachat d’Anderlecht, Paul Gheysens avait poursuivi les négociations entamées avec Jürgen Baatzsch pour le rachat de l’Union Saint-Gilloise. A l’époque, l’homme d’affaires flamand est obsédé par l’idée de mettre la main sur le dossier de cet Eurostadium censé devenir le nouvel écrin de l’équipe nationale belge dans la capitale, et ses intérêts semblent rejoindre ceux d’une Union en quête d’argent frais pour poursuivre son retour vers les sommets. La suite est un double virage: celui de Saint-Gilles vers l’autre côté de la Manche, d’où l’agent de joueurs Jacques Liechtenstein ramène le milliardaire Tony Bloom pour prendre le contrôle du club jaune et bleu, d’abord. Celui de Paul Gheysens vers l’Antwerp, ensuite, profitant du retour du matricule 1 au sein de l’élite nationale pour sortir de l’ombre et s’afficher comme le grand argentier de l’Antwerp.

La trajectoire teintée de politique de l’Antwerp, elle, est également liée aux importants enjeux de la Métropole. Loin d’être un grand amateur de football, le bourgmestre d’Anvers Bart De Wever est néanmoins conscient de l’importance d’une figure de proue sportive pour faire briller l’image de sa ville. Les institutions locales favorisent d’ailleurs autant que possible la rénovation fastueuse du vieillissant Bosuil, stade historique du club le plus ancien du pays, et ce sont même des politiciens anversois proches – voire membres – de la N-VA qui incitent Paul Gheysens à s’impliquer dans le redressement du matricule 1. Très à l’aise financièrement, soutenu par les autorités locales, le magnat flamand de la construction n’a plus beaucoup d’obstacles sur le chemin de sa reconstruction. En 2021, quand l’Union acte son retour en D1, l’Antwerp enregistre de son côté le départ de Lucien D’Onofrio, architecte du noyau depuis la remontée du club mais considéré par certains dans l’entourage présidentiel comme potentiellement néfaste pour le développement à plus grande échelle du «Great Old». Les dépenses décollent, notamment sur le marché des transferts, dans un club où la hiérarchie est alors floue, avec un homme fort conseillé tantôt par son fils, tantôt par un influent avocat de la Métropole.

A l’Antwerp, les transferts tape-à-l’œil ont laissé place à une politique de recrutement plus rationnelle.

Bloom, lui, est bien plus distant du quotidien de son club qu’un Gheysens qui n’hésite pas à combler le vide de pouvoir entre le départ de Lucien D’Onofrio et l’arrivée de Marc Overmars en descendant pousser une gueulante dans le vestiaire ou en suggérant des remplacements par SMS à son coach. Rares sont ceux qui voient l’Anglais dans les travées du parc Duden, où il laisse les pleins pouvoirs en même temps que l’écharpe présidentielle à son bras droit, Alex Muzio. L’été dernier, Tony Bloom abandonne même sa majorité financière à Saint-Gilles, pour permettre à son club anglais de Brighton de s’aligner en Coupe d’Europe au même titre que l’Union, ce qui est toujours interdit par l’UEFA pour deux clubs appartenant à un même propriétaire afin d’éviter de potentiels conflits d’intérêts. Sa société Starlizard, agence qui conseille les parieurs sur la base d’une impressionnante base de données, reste toutefois un moteur prépondérant du mode de fonctionnement de l’Union.

Les recettes du nouveau foot belge

En dehors du terrain, les recettes vers la contestation de la hiérarchie nationale établie ont été bien différentes, tout en incarnant les deux méthodes possibles pour se faire une place au rare soleil belge. D’un côté, l’Antwerp a pu se reposer sur ce que le monde du football appelle un Sugar Daddy, riche homme d’affaires local qui décide d’investir de l’argent sans compter pour le développement rapide et spectaculaire d’une équipe, voire d’un club.

Si les transferts tape-à-l’œil des débuts, avec un Diable Rouge en bout de course à chaque mercato ou presque (Kevin Mirallas, Steven Defour, Jordan Lukaku ou Radja Nainggolan) ont laissé place à une politique de recrutement plus rationnelle prenant également en compte le potentiel des joueurs à la revente, les millions injectés annuellement par Paul Gheysens étaient néanmoins indispensables pour suivre le rythme de cette croissance survitaminée.

Le risque, c’est évidemment que l’argent se mette soudainement à ne plus couler aussi abondamment. Publiés au début du mois d’avril, les comptes annuels de la société Ghelamco sont ainsi assortis d’un communiqué qui mentionne que «le groupe est actuellement confronté à une position de trésorerie et de liquidité temporairement restreinte». Paul Gheysens va devoir vendre plusieurs biens immobiliers pour renflouer ses comptes, alors que l’Antwerp ne pourra pas se limiter au transfert d’Arthur Vermeeren (parti à l’Atlético de Madrid en janvier dernier) pour remettre de l’argent frais dans les caisses. Reste que même en cas de déclin financier, de solides fondations ont été posées pour permettre au «Great Old» de changer de dimension, entre un stade qui fait désormais partie des références de modernité du pays, une académie où éclosent de plus en plus régulièrement de jeunes talents et une cellule de recrutement pilotée par Joachim Vercaigne qui déniche des joueurs à fort potentiel sportif et financier sur des marchés encore trop peu exploités par le football belge.

Chacun à leur manière, l’Union et l’Antwerp agacent une bonne partie du football belge.

Du côté de l’Union, si la question de l’alimentation financière ne se pose que moyennement pour un club qui parvient enfin à amortir ses pertes grâce à ses bonnes performances européennes et aux importants transferts sortants qui en découlent, l’augmentation des revenus plus prévisibles reste toutefois un chantier important dans la course vers une installation durable au sommet. A ce titre, le très actif CEO unioniste Philippe Bormans ne cesse d’insister sur l’importance d’un déménagement vers un nouveau stade. Les Jaune et Bleu y perdront peut-être une bonne dose de charme, loin de leur atypique stade Joseph Marien, mais leurs dirigeants ne seront plus frustrés en constatant que l’écart entre l’offre et la demande pour les abonnements aux Champions play-offs va presque du simple au double par rapport aux 7.000 places actuellement disponibles à l’ombre du parc Duden.

Bousculer les traditions

La plupart des concurrents, mais aussi collaborateurs directs ou occasionnels comme les agents de joueurs le diront: la force de l’Union, c’est la clarté dans son processus décisionnel. Tout le monde s’occupe de sa tâche, et ne tente surtout pas de s’immiscer dans la spécialité des autres. Un équilibre vertueux qui semble évident, mais est pourtant difficile à atteindre dans le football, et que l’Antwerp pensait avoir atteint depuis le coup d’envoi de la saison dernière en confiant les rênes de sa gestion sportive à Marc Overmars, particulièrement réputé pour son travail en la matière à l’Ajax Amsterdam. En janvier dernier, toutefois, le Néerlandais a vu s’étendre au niveau mondial sa suspension initialement nationale pour les messages «inappropriés» qu’il avait envoyés à plusieurs collègues féminines lorsqu’il était directeur du football de l’Ajax. Sans lui, la direction sportive anversoise semble à nouveau cafouiller et les résultats décevants enregistrés depuis la fin du mercato, et surtout le début des play-offs, sont probablement liés à cette nouvelle réalité.

Là aussi, la crise anversoise ne fait pas que des malheureux. Les concurrents se réjouissent parfois même de voir cet acteur majeur aux allures de nouveau riche se prendre les pieds dans le tapis, tout comme d’aucuns ont souri en constatant que l’Union Saint-Gilloise paraissait encore paniquer une fois son avance de la phase classique réduite à néant par le coup d’envoi des play-offs. Sport traditionnel par excellence, bien ancré dans ses certitudes, le football et surtout son milieu détestent voir débarquer de nouveaux personnages influents dans les hautes sphères de son pouvoir, surtout si ceux-ci renvoient sans cesse l’impression de faire la leçon.

Chacun à leur manière, l’Union et l’Antwerp agacent une bonne partie du football belge. Les gens les plus avertis du milieu diront que c’est une manière certes indélicate de reconnaître leur nouveau statut. Celui de puissances d’un football belge qui pourrait bientôt devoir revoir ses codes ancestraux, parce qu’un G5 pourrait prochainement en amener certains à se sentir très à l’étroit face aux mastodontes tout juste arrivés dans la pièce.

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