Les chiffres de Tadej Pogacar sont si exceptionnels que tout le monde s’accorde pour dire qu’il est le meilleur coureur du siècle. Au point de rivaliser avec Eddy Merckx?
Le refrain se fredonne avant ou après chaque nouvelle grande victoire de Tadej Pogacar, et le cinquième sacre du meilleur coureur du monde sur le Tour de Lombardie n’échappe pas à la règle. Il chante une question: le Slovène a-t-il égalé, ou même surpassé Eddy Merckx dans la quête du titre officieux de meilleur coureur de tous les temps?
S’il est évidemment difficile de comparer des exploits réalisés à 50 ans d’intervalle, dans des conditions extrêmement différentes au niveau des entrainements, de la nutrition, du matériel ou de la lourdeur du calendrier, donnant des arguments en faveur de chacun selon le domaine, il reste toutefois des chiffres à mettre en perspective.
Ceux-là montrent que Pogacar a encore du travail pour égaler le palmarès de Merckx. D’abord, parce que le nombre total de victoires du «Cannibale» est inaccessible: 445 succès chez les professionnels. Même en enlevant les critériums et les kermesses, plus largement courus à l’époque et souvent raflés par le Belge, il reste 284 bouquets dans la collection d’Eddy Merckx. Pogacar, lui, a «seulement» remporté sa 108e victoire en décrochant son cinquième Tour de Lombardie. Il faut dire qu’il ne court que 54 jours par an, là où Merckx affiche une moyenne de plus du double de jours de course entre 1966 et 1977 (129).
Au rang des succès de prestige, Eddy Merckx garde également un coup d’avance. Le Belge a remporté onze grands tours (cinq fois le Tour de France, cinq fois le Tour d’Italie et une fois le Tour d’Espagne), contre cinq pour Pogacar avec ses quatre Tours et son Giro. Sur les courses d’un jour, le «Cannibale» facture 19 monuments (même s’ils n’étaient pas catégorisés comme tels à son époque) et trois titres de champion du monde, là où le Slovène s’est adjugé son dixième monument en Lombardie et n’a décroché le maillot arc-en-ciel qu’à deux reprises. Le temps joue toutefois en sa faveur: le porte-drapeau de l’équipe UAE Team Emirates n’a que 27 ans, et la dernière grande victoire de Merckx date de ses 30 ans, quand il a triomphé sur l’édition 1976 de Milan-Sanremo.
A l’âge de Tadej Pogacar, Eddy Merckx avait toutefois fait mieux que son nouveau challenger historique: douze monuments remportés, sept grands tours, et même 24 étapes sur le Tour de France, contre 21 au Slovène. Sans compter que c’est également à cet âge que Merckx s’est attaqué avec succès au record de l’heure, un titre honorifique qui ne sera probablement jamais au tableau de chasse de Pogacar. Devenu plus international, avec des challengers venus de tous les continents, le plateau cycliste est toutefois bien plus relevé aujourd’hui que dans les années 1960 et 1970.
Pogacar, roi du triomphe solitaire
Il y a toutefois un plan sur lequel «Pogi» est déjà devenu le plus grand: la part de succès en solitaire sur les grandes courses d’un jour, à savoir les monuments et les Mondiaux. Sur l’ensemble de sa carrière, Eddy Merckx est arrivé seul sur la ligne d’arrivée lors de 50% de ses grandes victoires. Pogacar, lui, l’a fait à 9 reprises sur ses 12 succès monumentaux et mondiaux, soit dans 75% des cas. En s’imposant sur le Tour de Lombardie, il est également devenu le premier à remporter cinq fois consécutivement l’une des six plus grandes courses d’un jour du calendrier.
Avec quatre succès majeurs sur ces courses cette saison, le Slovène avance à un rythme qui lui permettrait de rejoindre Eddy Merckx d’ici à l’année 2028. Il faudra pour cela maintenir ce tempo effréné, ce qui serait un exploit physique, mais aussi mental. Parce que comme il l’a montré sur le dernier Tour de France, Tadej Pogacar semble parfois déjà usé par le cyclisme.