Remco Evenepoel roulera dès 2026 sous les couleurs de Red Bull-BORA-Hansgrohe. Un bond en avant sur papier, mais un scénario pas si rose dans les faits entre luttes de pouvoir en interne, concurrence féroce et manque de culture de la gagne chez les Allemands.
Tous les signes étaient là. Encore fallait-il passer la date du premier août, celle où les transferts déjà connus de tout le peloton lors de la grande caravane à rumeurs du Tour de France peuvent enfin devenir officiels et cesser d’être des secrets de Polichinelle. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le transfert de Remco Evenepoel ne soit officiellement annoncé. Au soir du mardi 5 août, le moment était venu, avec des communiqués de presse soigneusement coordonnés: celui de Soudal Quick-Step d’abord, puis, une minute plus tard, celui de Red Bull-BORA-hansgrohe.
L’annonce n’est pas une surprise, les discours non plus. Dans une chorégraphie communicationnelle bien rôdée, Soudal Quick-Step regrette le départ de son poulain, chérit ses souvenirs et continuera à promouvoir l’esprit d’équipe du «Wolfpack» dans la période post-Evenepoel. Il est frappant de constater que le communiqué souligne également qu’il était dans l’intérêt de toutes les parties de résilier cet engagement dès maintenant, un an avant la fin du contrat du coureur originaire de Schepdaal.
Bien sûr, le message de Red Bull-BORA-hansgrohe est plus triomphant, avec des éloges pour Evenepoel: «Remco est synonyme d’ambition. Il ne veut pas seulement faire du vélo, il veut façonner le cyclisme.»
Le directeur de l’équipe, Ralph Denk, souligne également l’importance de cette arrivée pour l’équipe: «L’arrivée de Remco est plus qu’une simple étape importante pour Red Bull-BORA-hansgrohe, c’est un signal clair. Avec une confiance renouvelée et une ambition audacieuse, l’équipe souhaite devenir l’une des forces les plus attractives de la scène cycliste internationale dans les années à venir.»
Forger des champions, Roglic comme figure de transition
Cette rhétorique n’est pas nouvelle en soi. Elle avait déjà été utilisée lorsque Red Bull est devenu l’actionnaire principal de l’équipe l’année dernière, puis son sponsor principal à partir du Tour de France.
L’objectif à long terme: former soi-même les futurs champions et vainqueurs du Tour de France, en phase avec l’image jeune et dynamique que veut se donner Red Bull dans tous les sports pour lesquels la marque investit lourdement. En attendant, Primoz Roglic, figure de transition, devait défendre l’honneur du fabricant de boissons énergétiques au plus haut niveau, dans les courses par étapes. Il a été débauché de Jumbo-Visma en 2024 et séduit par un salaire annuel de 4,5 millions d’euros.
Après Roglic, sur le déclin et devenu incapable de rivaliser avec Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, un nouveau coureur de haut niveau devait prendre la relève pour soulager la pression sur toute l’équipe et faire le lien avec les jeunes talents issus des équipes juniors du club. Ce coureur devait être Remco Evenepoel, dès 2025. Mais comme les négociations s’éternisaient, le coureur a lui-même annulé un transfert presque finalisé, juste avant les Championnats du monde de contre-la-montre de l’année dernière à Zurich.
Il ne s’agissait pas d’une rupture des négociations, mais d’un report d’un an. En effet, Evenepoel avait déjà fait savoir à Soudal Quick-Step en décembre 2024, puis à nouveau en juin de cette année, qu’il ne prolongerait pas son contrat après 2026. Ses conseillers juridiques Sébastien Ledure et Loïc Darcis, du cabinet d’avocats spécialisé dans le sport Cresta, ont même invoqué la loi belge de 1978 comme échappatoire juridique possible si Soudal Quick-Step n’acceptait pas un départ anticipé. Cette loi stipule qu’un sportif professionnel belge peut résilier son contrat s’il verse à son ancien employeur une indemnité équivalente au salaire correspondant à la durée restante de son contrat.
Evenepoel et les questions d’argent
Jurgen Foré, le directeur sportif de Soudal Quick-Step, a donc judicieusement choisi la meilleure option: percevoir dès maintenant une indemnité de départ pour le Belge, dans le cadre d’un accord tripartite (autorisé par l’Union Cycliste Internationale). Le montant de cette somme n’est pas connu, mais s’il n’y avait pas de clause dans le contrat d’Evenepoel, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit à peu près équivalente à son salaire annuel (environ cinq millions d’euros).
Grâce à ces fonds, Foré a pu immédiatement commencer à constituer une nouvelle équipe sans Evenepoel. Jasper Stuyven, spécialiste des courses d’un jour, a notamment obtenu un contrat de trois saisons, pour un salaire annuel d’un million et demi d’euros.
Pour Evenepoel, le choix de Red Bull-BORA-hansgrohe semble logique. Il continuera à rouler sur les vélos de son sponsor personnel Specialized, un acteur crucial dans ce transfert, et pourra emmener son entourage habituel: le directeur sportif Klaas Lodewyck, le mécanicien/cousin Dario Kloeck et le soigneur David Geeroms feront le voyage vers l’équipe allemande en sa compagnie. Ce sera toutefois sans son entraîneur de longue date Koen Pelgrim, qui reste chez Soudal Quick-Step.
Sven Vanthourenhout, l’ancien entraîneur national avec lequel Evenepoel est devenu champion du monde et double champion olympique, les rejoindra également. Chez Red Bull-BORA-hansgrohe, il dirigera l’équipe quand elle sera constituée autour du coureur originaire du Brabant flamand. En tant que directeur sportif et non en tant que manager sportif, comme cela a été annoncé à tort précédemment.
En outre, l’équipe allemande aura séduit Evenepoel avec une augmentation de salaire considérable. Non divulguée, la somme de ses revenus annuels se situerait quelque part entre les cinq millions de son ancien contrat et les huit gagnés par Tadej Pogacar chez UAE Emirates, selon certaines sources. Le tout en plus d’un encadrement bien plus étoffé, grâce au budget XXL de l’équipe désormais stimulée financièrement par ses boissons énergisantes.
Quelle équipe autour de Remco Evenepoel?
Ajoutez à cela un noyau de coureurs sur le papier bien plus performant pour le soutenir, et la voie semble toute tracée. A ses côtés, Remco Evenepoel pourra ainsi théoriquement compter sur Florian Lipowitz (troisième du dernier Tour de France), Primoz Roglic (cinq grands tours au palmarès), Jai Hindley (vainqueur du Giro 2022), Daniel Felipe Martinez (deuxième du Giro 2024), Aleksandr Vlasov (cinquième du Tour 2022) ou même le jeune talent Giulio Pellizzari (sixième du Giro cette année à seulement 21 ans). Du très lourd.
Tout le monde est satisfait. Surtout Remco Evenepoel. Il dispose enfin d’une équipe et d’un encadrement plus solides pour tenter d’atteindre son objectif ultime: remporter le Tour.
C’est du moins son impression. C’est aussi celle du monde extérieur.
La réalité est pourtant moins rose.
Red Bull-BORA-hansgrohe n’est pas encore une équipe de pointe, et ce à bien des égards. Oui, il y a beaucoup d’argent, encore plus depuis l’arrivée de Red Bull. Des coureurs ont été recrutés avec des salaires bien supérieurs à leur valeur marchande. Seule l’équipe UAE Team Emirates disposerait d’un budget encore plus important que les 50 millions d’euros estimés de l’équipe allemande.
Oui, certains départements disposent d’un savoir-faire considérable. Le professeur en sciences nutritionnelles Asker Jeukendrup a été débauché de Jumbo-Visma, et une somme importante a été versée pour pouvoir utiliser le programme FoodCoach de l’équipe néerlandaise.
Pour tout ce qui concerne l’aérodynamique, Dan Bigham (ex-Ineos), responsable de l’ingénierie, a rejoint l’équipe. Du côté des entraîneurs, Marc Lamberts (l’ancien entraîneur de Wout van Aert) a rejoint Primoz Roglic dès 2024, et l’équipe allemande compte également dans ses rangs le très réputé Luxembourgeois Dan Lorang. Ce n’est pas un hasard si celui-ci devient également le nouvel entraîneur de Remco Evenepoel.
Red Bull n’a pas encore fait décoller BORA
Cependant, les connaissances et les moyens ne sont pas encore transformés en performances. L’année dernière, Red Bull-BORA-hansgrohe a ainsi terminé cinquième au classement par équipe de l’UCI, mais seulement onzième en termes de nombre de victoires, avec 24 bouquets. Seuls douze d’entre eux ont été cueillis dans des épreuves du WorldTour, et onze ont été signés par Primoz Roglic. A lui seul, il a sauvé la saison de l’équipe avec des victoires finales sur le Dauphiné et surtout la Vuelta.
Cette année, malgré de nombreux renforts et un budget encore plus important, Red Bull-BORA-hansgrohe ne fait pas beaucoup mieux: à nouveau cinquième au classement par équipes, septième au classement des victoires, avec vingt victoires, dont neuf dans des épreuves du WorldTour.
Cinq d’entre elles ont été remportées par les sprinteurs Sam Welsford et Jordi Meeus, une par Nico Denz sur le Giro et trois, encore, par le leader Primoz Roglic, toutes sur le Tour de Catalogne, y compris la victoire finale. De nombreux autres coureurs pourtant très chers comme Daniel Felipe Martínez, Aleksandr Vlasov, ou les recrues Oier Lazkano, Maxim van Gils et Laurence Pithie ont réalisé des performances en dessous de leur meilleur niveau.
Heureusement, Florian Lipowitz, deuxième à Paris-Nice et troisième au Dauphiné, a poursuivi sa belle saison française en terminant troisième du Tour de France derrière Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, offrant à l’équipe son premier podium sur la course au maillot jaune. Ancien biathlète, l’Allemand (qui a également remporté le maillot blanc de meilleur jeune) dispose d’un moteur physique très puissant et d’une endurance exceptionnelle, atouts idéaux pour les grands tours.
Son podium et les succès de Roglic l’année dernière masquent toutefois de nombreuses lacunes chez Red Bull-BORA-hansgrohe.
Pas de culture de la victoire
Selon les rumeurs qui circulent dans le peloton, il manque au sein de l’équipe une «culture de la victoire», dans laquelle les membres de tous les départements s’améliorent mutuellement et partagent leurs connaissances. Chacun travaille dans son coin, avec peu de communication entre les différentes sections. Des questions apparemment logiques et pratiques sont ainsi réglées beaucoup trop lentement en raison de la structure rigide de l’équipe.
Le directeur général Ralph Denk ne possède pas non plus les qualités d’un véritable leader et gestionnaire de personnel. On pensait que l’apport de Red Bull, avec ses experts en performance issus de la Formule 1, allait changer beaucoup de choses, mais cela s’est avéré être un vain espoir jusqu’à présent.
Un changement est toutefois à prévoir: le manager sportif Rolf Aldag sera remplacé par Zak Dempster, actuellement directeur sportif chez INEOS Grenadiers. Les directeurs sportifs Enrico Gasparotto et Heinrich Haussler seront remplacés par les Belges Klaas Lodewyck et Sven Vanthourenhout, ainsi que par le Français Tony Gallopin, ancien porteur du maillot jaune. Tim Meeusen deviendra, quant à lui, responsable de la formation des jeunes. Jan Niklas Droste, John Wakefield et Asker Jeukendrup restent toutefois à bord en tant que directeurs des départements santé, coaching & performance et stratégie sportive.
Il reste à voir si ces changements, et notamment l’important apport belge dans l’encadrement, apporteront à court terme un vent nouveau dans le giron de l’équipe allemande.
Evenepoel, leader pas si incontestable?
Intronisé comme nouvel homme fort de l’équipe par la communication de ses patrons, Remco Evenepoel trouvera-t-il pour autant dans cette constellation de stars des coéquipiers prêts à se mettre entièrement à son service?
Il y a très peu de chances que Primoz Roglic le fasse. Si Evenepoel se lance à nouveau dans le Tour, le Slovène choisira l’un des deux autres grands tours (Giro et/ou Vuelta), voire les deux.
Et qu’en est-il du nouveau fleuron allemand Florian Lipowitz, un coureur qui n’a pas été acheté, mais qui s’est hissé au troisième rang des meilleurs coureurs du Tour (certes après les abandons de Remco Evenepoel et João Almeida)? Il se contentera peut-être d’être co-leader sur le Tour. Un leadership partagé n’est toutefois pas dans les habitudes du double champion olympique belge, qui serait confronté à une nouvelle réalité et à des choix parfois difficiles.
Evenepoel a également besoin de personnes qui osent le corriger, voire le confronter, dans de nombreux domaines. Red Bull-BORA-hansgrohe est cependant une organisation fortement hiérarchisée où la critique constructive n’est pas ancrée dans la culture, si tant est qu’elle existe.
Le rêve du Tour de France s’est-il rapproché?
Le champion olympique va gagner quelques millions de plus et a assuré l’avenir immédiat de ses fidèles en les embarquant dans l’aventure. Mais reste à voir si l’herbe sera vraiment plus verte du côté allemand.
La balle est donc dans le camp de Red Bull-BORA-hansgrohe et de sa direction.
Il est nécessaire de changer et de s’améliorer, car si les lacunes de ces dernières années persistent au sein de l’équipe allemande, Evenepoel devra faire preuve de plus de patience qu’il ne l’avait prévu dans sa quête pour réaliser son rêve: remporter le Tour. C’est précisément ce manque de patience qui l’a amené à fermer les portes de Soudal Quick-Step.
De plus, il y a une autre dure réalité: même si Evenepoel parvient à élever son niveau dans le Tour avec l’aide de Red Bull-BORA-hansgrohe, cela ne suffira peut-être toujours pas pour battre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard. Même quand ceux-ci déclineront, il faudra en découdre avec les phénomènes émergents que sont l’Espagnol Juan Ayuso, le Mexicain Isaac Del Toro ou le Français Paul Seixas, tous plus jeunes que Remco.
Il paraît que Red Bull donne des ailes. L’histoire ne précise pas si elles sont jaunes.