Comment la F1 prépare le retour d’une femme au volant

La dernière participation d’une femme à un Grand Prix de Formule 1 remonte à près de 50 ans. La discipline prépare aujourd’hui le retour d’une pilote dans son paddock.

En plein milieu du mois d’août 1976, les projecteurs sont braqués sur John Watson. Trois ans après ses débuts dans la catégorie reine, le Nord-Irlandais profite du Grand Prix d’Autriche pour décrocher le premier succès de sa carrière en F1. Le tout sur les terres de Niki Lauda, champion du monde en titre qui n’a pas pu prendre le départ à cause d’une blessure au poignet. Tout ça laisse très peu d’exposition à la douzième et dernière place de Lella Lombardi, avec quatre tours de retard. Près de 50 ans plus tard, la course estivale est pourtant restée dans l’histoire comme la dernière lors de laquelle une femme était présente sur la grille de départ.

L’épreuve autrichienne est le dernier des douze GP auxquels l’Italienne a pu se qualifier en trois saisons, entre 1974 et 1976. En 1975, elle avait profité du Grand Prix d’Espagne pour devenir la première (et donc toujours la seule) pilote à terminer dans les six premiers. Certes, elle avait seulement obtenu un demi-point car la course s’était arrêtée à mi-parcours, mais elle est la seule représentante féminine à pouvoir avancer cet accomplissement. Lombardi succède alors à sa compatriote Maria Teresa de Filippis qui, en 1958, avait été la première femme à prendre le départ d’un Grand Prix, celui de Belgique, qu’elle avait terminé à la dixième place.

Le contraste avec les Etats-Unis est frappant: de l’autre côté de l’Atlantique, neuf femmes ont déjà participé aux 500 miles d’Indianapolis, la course la plus importante de la populaire catégorie IndyCar. Plusieurs femmes sont également présentes dans le Nascar, une autre compétition en vue de monoplaces sur le sol américain, visiblement bien moins hermétique que la Formule 1. «Si on considère qu’il y a 100.000 garçons et que parmi eux, un seul arrive en F1, il faut se rendre compte que pour ces 100.000 garçons, il y a peut-être seulement une dizaine de filles, analyse Lando Norris, actuel pilote de la catégorie reine passé par le karting, base formatrice des meilleurs conducteurs de monoplace. Il est donc peu probable qu’une fille ait une chance d’accéder à la Formule 1, rien qu’à cause de ces probabilités, et pas à cause d’un manque de talent ou quoi que ce soit d’autre. L’essentiel est donc d’inciter davantage de filles à se lancer dans ce sport, en commençant par le karting et en gravissant les échelons.» Champion du monde en titre, Max Verstappen aime quant à lui raconter l’histoire de sa sœur, Victoria, qu’il présente toujours comme étant aussi talentueuse que lui.

La pilote italienne Lella Lombardi fut la première et seule femme classée au championnat du monde de Formule 1. © GETTY IMAGES
«Il faut inciter davantage de filles à se lancer dans ce sport, en commençant par le karting.»

Netflix, Formule 1 et académie

Comme si elles voulaient rattraper le temps perdu, les instances permettent désormais à certaines pilotes de profiter d’échelons moins contestés. C’est ainsi qu’en 2023, après l’échec de la série W lancée en 2019 mais arrêtée à cause de problèmes financiers avant la fin de la troisième saison, la Fédération internationale du sport automobile (FIA) a lancé la F1 Academy, un championnat destiné aux femmes pilotes de course et directement relié à la compétition reine. Après une première saison expérimentale, elle est passée à la vitesse supérieure cette année: dix des quinze pilotes représentent chacune une écurie de Formule 1. Réparti sur sept week-ends au cours desquels Max Verstappen et consorts courent également, le calendrier compte désormais quatorze courses. Non pas dans une voiture de F1, mais dans une Tatuus F4-T421. Cette voiture est utilisée en Formule 4 pour les juniors et atteint une vitesse de pointe de 240 kilomètres par heure.

Le virage est spectaculaire comparé à l’ère précédente du paradis des monoplaces, dont l’ancien patron Bernie Ecclestone déclarait encore en 2016 que «les femmes ne seront jamais prises au sérieux en F1 parce qu’elles ne sont pas assez fortes pour conduire assez vite».

Aujourd’hui, la Formule 1 profite même de ses entrées chez Netflix pour mettre son Academy en avant. Au début du mois de mai, la plateforme de streaming a ainsi annoncé en grandes pompes la production d’une nouvelle série consacrée à la F1 Academy. Beaucoup s’attendaient à ce que le coup de pub se limite à un rôle pour une pilote dans Drive to Survive, la série documentaire à succès consacrée à la F1. Le choix a été bien plus radical, et son impact potentiel n’est pas à négliger. Après tout, tout comme Drive to Survive a considérablement renforcé la popularité mondiale de la Formule 1, cette série dédiée à la F1 Academy pourrait donner plus de visibilité aux femmes dans le monde du sport automobile. Et, à un peu plus long terme, peut-être aider à lancer une autre femme dans le paddock.

«Il m’a fallu du sang, de la sueur et des larmes pour arriver là.»

Sophia Flörsch est probablement la pilote la plus proche d’une entrée sur la scène de la F1. © GETTY IMAGES

Candidates pour la Formule 1

Les écuries ont, de leur côté, également lancé le mouvement. Depuis 2021, Ferrari accueille notamment dans sa prestigieuse académie la pilote belgo-néérlandaise Maya Weug, rejointe l’année suivante par l’Espagnole Laura Camps Torras. L’an dernier, Aston Martin fut la première écurie depuis cinq ans (la Colombienne Tatiana Calderon avait conduit une Sauber en 2018 à Mexico) à mettre une pilote au volant d’une Formule 1 à l’occasion de tests organisés en Hongrie. La Britannique Jessica Hawkins, ambassadrice de la marque et également connue pour être cascadeuse dans les James Bond, avait alors pris le volant de la monoplace: «Il m’a fallu du sang, de la sueur et des larmes pour en arriver là. Je continuerai à travailler dur pour en faire plus, et je veux aussi inspirer d’autres femmes et leur faire savoir qu’elles doivent poursuivre leur rêve, quel qu’il soit.»

Les plus proches du rêve de F1 sont sans doute à trouver dans le giron de l’écurie Alpine. Les Français ont pris le sillage de la Scuderia Ferrari en lançant, en 2022, leur programme Rac(h)er, et ont visiblement profité de l’aspiration pour doubler la marque au cheval cabré. Partant du constat que seules six des 885 pilotes de l’histoire de la Formule 1 étaient des femmes, la filiale du groupe Renault a décidé de changer les choses à sa manière. Rac(h)er soutient notamment la talentueuse britannique Abbi Pulling, lauréate de trois des quatre premières courses de la saison 2024 de la F1 Academy et première femme à remporter une course dans le championnat britannique de F4, mais aussi l’Allemande Sophia Flörsch, probablement la pilote la plus proche d’une entrée sur la grande scène de la Formule 1.

En juillet 2023, sur le circuit belge de Spa, elle fut la première pilote à marquer des points dans l’histoire de la Formule 3. Un privilège obtenu grâce à une remontée spectaculaire, passant de la 24e place sur la grille de départ à la septième à l’arrivée. En plus de son équipe, Flörsch a remercié l’écurie Alpine F1 et le programme Rac(h)er. «En tant que jeune pilote, il est extrêmement utile d’avoir un constructeur derrière soi», a-t-elle déclaré à l’édition allemande de Sports Illustrated, soulignant l’importance financière, mais aussi logistique d’un tel encadrement, composé de professionnels qui connaissent les rouages de la discipline et font partie de l’élite à l’heure de préparer une monoplace. «La F1 s’est à nouveau rapprochée», poursuit celle qui partageait son temps entre les courses d’endurance et l’ascension des catégories de monoplaces qui mènent à l’élite. «Il ne reste que deux échelons pour y arriver, mais le chemin est encore très long.»

Il devrait être normal qu’hommes et femmes courent ensemble. Pourquoi faire une série dédiée aux femmes?

Quoi qu’il en soit, l’Allemande a choisi sa propre voie, loin du parcours balisé par la FIA. A la genèse des W-Series, elle n’avait pas caché son scepticisme, évoquant une avancée «dans la mauvaise direction». Mieux organisée, officiellement soutenue par la Formule 1 et ses écuries, la F1 Academy ne la séduit pas davantage, comme elle l’a expliqué à l’AFP: «Je pense toujours la même chose: à l’université, femmes et hommes étudient ensemble car c’est normal. Dans notre sport, il devrait également être normal qu’hommes et femmes concourent ensemble. Pourquoi faire une série uniquement pour les femmes?»

Peut-être parce qu’elle est actuellement la seule pilote engagée en Formule 3, antichambre d’une F2 qui est elle-même la voie privilégiée vers une F1 que Flörsch espère rejoindre dans les cinq années à venir. La plupart des autres élues potentielles ont choisi la nouvelle voie ouverte par la FIA et Formula One, promoteur de la discipline. Sans garantie de succès, mais avec une certitude: si la nouvelle série Netflix fait des émules, leurs noms seront beaucoup plus familiers aux fans de sport automobile à partir de 2025. Au-delà de leurs talents de pilote, c’est aussi cela qui sera pris en compte lors d’une éventuelle montée sur les circuits de Formule 1.

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