Vercauteren, notre Guy Roux

Le titre à peine en poche, le président voit déjà beaucoup plus loin :  » Un 30e sacre en 2008 « .

Au moment où le président Roger Vanden Stock s’apprête à nous faire entrer dans son bureau, Madame Kiki, son épouse, lui refile un maillot flambant neuf qu’il est appelé à signer. Il est floqué au nom de Justine Henin et frappé d’un numéro 1.  » Les meilleurs aiment à s’associer aux meilleurs « , plaisante-t-il.  » On a déjà comme fans Eddy Merckx et Jacky Ickx. Juju a beau avoir mis une partie de ses deniers en basket dans Spirou Invest, son c£ur est manifestement peint en mauve et blanc « .

Ce 5e titre en l’espace de 11 ans dégage-t-il la même saveur que le premier, en 1999 ?

Chaque sacre a son histoire. Le premier revêt toujours une dimension spéciale mais les autres m’ont procuré au moins autant de plaisir, si pas davantage. L’année dernière, il était extra car il marquait la fin d’un cycle avec Pär Zetterberg. Cette saison, il constitue plutôt l’amorce d’un renouveau. La preuve : de l’équipe championne en mai 2006, il ne subsiste plus que les seuls Daniel Zitka, Olivier Deschacht, Mark De Man, Bart Goor et Nicolas Frutos. Et encore deux d’entre eux ne figuraient pas dans le onze de base lors du derby décisif face au FC Brussels. C’est pourquoi j’estime que nous avons très bien travaillé au cours des mois écoulés, non seulement sur le terrain mais aussi en coulisses. Car à l’exception de Cristian Leiva, tous nos transferts ont apporté une plus-value. Le mérite en revient à Philippe Collin, Herman Van Holsbeeck, ainsi qu’à Werner De Raeve et ses adjoints de la cellule scouting. Depuis mon accession à la présidence, en 1996, jamais nous n’avions encore aussi bien réussi dans la construction d’une nouvelle phalange.

Mais la délivrance s’est fait longtemps attendre, non ?

A l’occasion de la conférence de presse d’avant saison, j’avais dit qu’il faudrait un certain temps avant que cette équipe trouve ses marques. Les événements m’ont donné raison, car ce n’est qu’en fin d’exercice qu’elle est parvenue à passer la surmultipliée. Malgré un premier tour extrêmement laborieux, j’ai toujours su que nous résorberions notre retard et que nous terminerions en tête. La différence entre les Limbourgeois et nous, c’est qu’ils ont succombé à la pression alors qu’elle nous a sublimés. Dans un certain sens, je dois peut-être remercier la presse. Par moments, elle a tiré injustement à boulets rouges sur nous, et sur le coach, Frankie Vercauteren en particulier. Mais au moment de l’emballage final, nous nous sommes souvent servis de la guerre psychologique que certains ont créée pour faire monter l’adrénaline chez les joueurs. Et ce fut un coup dans le mille. Dès l’instant où Hugo Broos a dit : – Plus que 6 points, contre Charleroi et le FC Brussels et le titre est dans la poche pour nous, je me suis fait la réflexion que c’était gagné… en notre faveur. Car c’étaient les paroles d’un entraîneur qui ne croyait pas ce qu’il disait.

 » Zitka fut l’homme de la saison  »

Avez-vous été un président comblé ?

Certains matches me sont restés en travers de la gorge, soit en raison du piètre football proposé, soit en raison du résultat. Voire des deux, comme ce fut le cas à Beveren. Ce soir-là, les joueurs ne m’ont pas vu dans le vestiaire. Chez moi, c’est un signe qui ne trompe pas car en temps normal, qu’on ait gagné ou non, je passe toujours ma tête chez eux. C’est la seule fois que j’ai vraiment pesté, même si, à d’autres moments encore, je n’ai guère été heureux de la qualité. Mais, au bout du compte, tout s’équilibre toujours et, à cet égard, les résultats et, surtout, la manière ont dépassé mes espérances lors du triptyque Roulers-Beveren-Brussels avec 19 buts en 3 matches pour un seul goal concédé. A ces moments-là, on a franchement vu le football dont Anderlecht était capable, eu égard à son potentiel. Mais je peux comprendre qu’il ait fallu s’armer de patience. Je sais, l’un ou l’autre a affirmé, en début de campagne, que compte tenu de la richesse de son effectif, le RSCA allait survoler les débats cette saison et terminer avec plusieurs longueurs d’avance sur la concurrence. Tout bien considéré, nous y sommes arrivés car nos rivaux traditionnels, le Standard et le Club Bruges terminent tous deux à distance respectable. La surprise est venue du Racing Genk qui a tenu tout le monde en haleine jusqu’au bout. Sans lui, le championnat aurait été plié depuis longtemps.

Mémé Tchité, Lucas Biglia et Daniel Zitka ont été primés par notre référendum du Footballeur Pro. En revanche, Frankie Vercauteren ne faisait pas partie des trois nominés comme coach de l’année. Une surprise ?

Oui et non. Je pense que les distinctions pour les joueurs ne se discutent pas. Mémé a poursuivi, chez nous, sur sa lancée du Standard, avec des statistiques de la meilleure veine, tant au niveau des buts inscrits que des assists. Lucas est le symbole d’une campagne de recrutement qui a pleinement porté ses fruits et Daniel, lui, a été souverain du début jusqu’à la fin de la saison. Pour moi, davantage que tous les autres nominés, même Ahmed Hassan, le gardien tchèque aura été l’homme de la saison au Sporting. Non seulement son keeping éblouissant nous a tirés d’affaire dans certains matches, mais je retiens aussi et surtout son professionnalisme et son attitude positive en toutes circonstances. Zitka est un pro jusqu’au bout des ongles, qui se double d’un clubman. Il est d’ores et déjà acquis que je mettrai tout en £uvre pour le garder parmi nous sitôt sa carrière active terminée. Un garçon de sa trempe, ça ne court vraiment pas les rues. C’est dans le même ordre d’idées que nous avons également fait l’impossible, au Sporting, pour conserver Hassan et nous ne sommes finalement pas peu fiers d’y être parvenus. L’Egyptien s’inscrit dans la lignée des régisseurs de génie qu’a toujours connus le RSCA : Paul Van Himst, Juan Lozano, Enzo Scifo, Pär Zetterberg. C’est une aubaine de pouvoir disposer d’un joueur de cet acabit.

L’Ahmed Hassan de la fin de la saison ne ressemble plus à celui qui a entamé le championnat et qui s’époumonait en pure perte partout et nulle part sur le terrain. A force de travail et de directives, Vercauteren est parvenu à canaliser son jeu. Du coup, on a vu un tout autre joueur. Et si des joueurs comme Roland Juhasz ou Mark De Man se sont affirmés, c’est aussi grâce à Frankie. Un coach qui obtient des résultats et qui améliore le rendement d’un joueur est, pour moi, un bon coach. C’est pourquoi, dans la tourmente, surtout après la défaite à Gand et le nul au Club Bruges, j’ai tenu à marquer mon soutien en clamant que Vercauteren serait toujours T1 au RSCA la saison prochaine. Pour le suivre au jour le jour, je me rends parfaitement compte de son apport. Mais je peux comprendre qu’il n’est pas populaire : Frankie n’est pas un rigolo et la communication n’est pas son point fort. Il le sait et il y travaille. Dans ces conditions, je ne suis pas surpris que les votants optent plutôt pour un mentor qui a de l’entregent ou est plutôt sympathique. Hugo Broos, Georges Leekens et Jacky Mathijssen répondent à ces critères. Même si je ne conteste nullement leurs qualités d’entraîneur.

 » Un troisième titre pour Vercauteren peut tout changer  »

Vercauteren va entamer sa troisième saison comme coach principal. C’est la plus difficile et plus d’un s’y est cassé les dents par le passé. Comme Broos, notamment, qui visait pourtant le quinquennat réalisé par Pierre Sinibaldi dans les années 60. Michel Verschueren n’hésite pas à dire qu’il voit en l’entraîneur le futur Alex Ferguson du RSCA. Et vous ?

Manager à l’anglaise, c’est une fonction qui n’existe pas chez nous. Par contre, un rôle à la Guy Roux est concevable, avec une casquette d’entraîneur d’abord, comme c’est le cas actuellement, puis celle de directeur technique. Reste à voir quand la transition s’opérera. La balle est à la fois dans le camp de Frankie et auprès de la direction. Si lui-même estime à un moment donné le temps venu de prendre du recul, il faudra plancher sur sa succession. D’un autre côté si, pour l’une ou l’autre raison, les résultats ne répondent plus à l’attente, il s’agira peut-être d’aviser de notre côté aussi. Mais dans les conditions actuelles, je ne pense pas à un virement de bord de sitôt. Vercauteren est encore un jeune entraîneur et j’ai la très nette impression que chez lui, l’appétit vient en mangeant. Ce n’est pas anormal : il a remporté deux titres d’affilée, dans des contextes sensiblement différents, mais les défis ne manquent pas : un triplé en 2008, qui sait, car c’est le but que nous viserons la saison prochaine à l’occasion du centenaire du club et, pourquoi pas, une progression dans le cadre de la Ligue des Champions voire de la Coupe de l’UEFA. Je dis et je maintiens en tout cas que si nous avions pu aborder la Ligue des Champions avec l’équipe qui vient de terminer le championnat, nous n’aurions pas terminé quatrièmes mais troisièmes. Avec l’espoir, peut-être, de nous distinguer en Coupe de l’UEFA. C’est notre challenge pour la saison à venir.

 » La génération actuelle peut égaler celle de 2000-01  »

Qu’est-ce qui vous fait croire que le RSCA sera plus performant ?

L’année passée, à cette époque-ci de la saison, il était surtout question de départs. On se doutait que Vincent Kompany et Christian Wilhelmsson ne feraient pas de vieux os chez nous et Hannu Tihinen avait annoncé depuis longtemps, aussi, son désir de partir. Cette fois, en revanche, c’est le calme plat. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de mouvements en matière de sorties. Mais, jusqu’à présent, tous ceux qui ont été approchés ont toujours soutenu qu’ils étaient bien au Sporting et nullement pressés d’aller voir ailleurs. Je songe à Frutos notamment, voire à Biglia. Si nous parvenons effectivement à conserver toutes nos forces vives en ajoutant l’un ou l’autre élément aux postes où nous ne sommes pas suffisamment armés en profondeur, j’ai le très net sentiment que nous serons plus forts.

En 2000-01, Anderlecht avait accédé au deuxième stade des poules de la Ligue des Champions, synonyme des huitièmes de finale aujourd’hui. Le Sporting actuel vaut-il celui-là, articulé autour des Alin Stoica, Jan Koller et Tomasz Radzinski ?

La génération 2000 est la plus aboutie que j’ai connue jusqu’à présent. Mais, potentiellement, celle d’aujourd’hui peut espérer l’égaler voire même la supplanter un jour. Il ne faut quand même pas perdre de vue que beaucoup de ses joueurs sont jeunes et qu’ils n’en sont qu’à leur tout premier titre de champion. Tous manquent encore de planches mais s’ils sont toujours là dans un an ou deux, c’est sûr que nous pourrons nous éveiller à d’autres ambitions. D’autant plus que nous allons faire l’impossible pour renforcer déjà l’équipe cet été. Le Brésilien Triguinho est une solution de rechange pour Bart Goor et nous sommes en quête d’un profil similaire pour le poste occupé par Marcin Wasilewski. Si l’un ou l’autre de nos attaquants devait nous quitter, il s’agira également de le remplacer. C’est la raison pour laquelle un François Sterchele est suivi d’un £il attentif, même s’il est faux que nous avons déjà pris langue avec le Germinal Beerschot à son propos. Nous sommes en quête également d’un joueur box to box. Quoique je ne sois pas convaincu, personnellement, de cette utilité.

 » Je ne condamne pas Walter Baseggio  »

Pourquoi ?

Parmi les joueurs qui répondent à ce profil, il y a lieu de citer Steven Gerrard, Frank Lampard, Michael Ballack ou, dans une moindre mesure, Paul Scholes. Ceux-là sont hors de portée de notre bourse. En Belgique, il y a Karel Geraerts qui épouse un peu ce profil mais reste à savoir s’il peut être aussi performant au plus haut niveau. Avec les Diables Rouges, il ne s’est encore jamais signalé en ce sens et, ces dernières semaines, il a même dû se contenter d’une place sur le banc à Sclessin. C’est assez significatif. Michel Preud’homme estime qu’avec un trio composé de Marouane Fellaini, Axel Witsel et Steven Defour, il est paré. Je peux le comprendre. Moi aussi, je suis d’avis qu’un Hassan, en position la plus avancée, soutenu par deux joueurs opérant à peu de choses près au même niveau, comme Jelle Van Damme et Biglia ces dernières semaines, ont permis au Sporting de réaliser ses plus belles prestations. Est-il besoin de changer ? Biglia ne sera jamais un marqueur, pas plus qu’un Van Damme ou un De Man sans doute. Mais dès l’instant où notre Egyptien fait parler régulièrement la poudre, faut-il vraiment un réalisateur supplémentaire dans la ligne médiane. Avec quatre pions offensifs devant et six derrière le ballon, Anderlecht peut voir venir.

Que vous inspirent les mésaventures de Walter Baseggio et Anthony Vanden Borre ?

Certains ont d’ores et déjà condamné Walt. A sa décharge, il convient de préciser qu’il a été longtemps blessé. Je pense qu’il est toujours capable de rebondir. Pour ce qui est de l’autre, nous avons tout fait pour que ce garçon, pétri de talent, ait le rendement escompté. Nous avons même détaché un homme de confiance auprès de lui, Yvon Verhoeven. Par rapport à mes débuts au Sporting, nous avons fait un immense pas en avant en matière d’accompagnement. Et cette initiative a incontestablement porté ses fruits avec nos Argentins, secondés par José Garcia, ou avec Hassan, qui a toujours pu compter sur un guide en la personne d’Abdel Tantush. S’il a décidé de nous jurer fidélité la saison prochaine, c’est d’ailleurs en grande partie pour ça. Avec Anthony, nous n’avons pas eu de retour et c’est dommage. Peut-être ce garçon aurait-il eu une tout autre attitude sans tous les remous qui l’ont secoué ces derniers mois : son transfert à la Fiorentina et les problèmes de santé de sa maman, qui ont finalement conduit à un clash avec Vercauteren.

 » Je veux non pas jouer mais me battre avec les grands  »

Anderlecht va fêter son centenaire l’année prochaine. C’est un cap. Comment voyez-vous la suite ?

Le Sporting a conquis son premier titre en 1946-47. 60 ans plus tard, il en est à sa 29e couronne, ce qui signifie un sacre tous les deux ans à peu près. Il s’agit de poursuivre sur cette lancée et de conserver cette moyenne. A l’échelon européen, c’est une tout autre paire de manches. Herman Van Holsbeeck me demande parfois si un jour nous arriverons encore en quarts de finale de la Ligue des Champions. Je l’espère mais beaucoup dépendra de la manière dont évolue le football en Belgique. Et cette machine est très lourde. Au même titre que d’autres, j’ai déjà suggéré des réformes, mais elles ont toujours été balayées d’un revers de la main. Quand j’ai proposé ma candidature à l’Union Belge, certains sont montés aux créneaux, prétextant que j’avais surtout à c£ur de prêcher pour ma chapelle. Idem en ce qui concerne mes idées d’une refonte de notre compétition avec des playoffs. Que les choses soient claires : si rien ne change, le RSCA ne s’en portera pas plus mal. Nous pouvons même ambitionner un sacre sur trois, car le fossé se creuse de plus en plus entre le sommet et la base. Quelques-uns, au sein de mon propre club, me disent de laisser tomber tous ces beaux projets, arguant que c’est tout profit pour nous si rien ne change. Ils ont raison. Aujourd’hui, je suis champion, et plus personne ne m’enlèvera ce titre. Mais avec un système de playoffs, je remettrais tout en jeu. Dans ma position, il faut être fou pour plaider en faveur d’un changement.

Mais ce qui m’intéresse avant tout c’est de jouer dans la cour des grands, pour m’y battre et vendre très chèrement ma peau.

Pour l’heure, vous êtes loin du compte : avec 30 millions d’euros de budget et un stade pouvant abriter 22.000 personnes à peine, vous faites figure de parent pauvre.

La situation que nous vivons, c’est un peu le monde à l’envers : là où d’autres se cassent la tête pour réunir des fonds, nous avons la chance que le financement ne pose pas de problèmes. Le hic, c’est que nous n’avons toujours pas d’emplacement pour la construction de ce stade. Un agrandissement du Parc Astrid est exclu, Neerpede doit rester une zone verte. Reste le zoning industriel à Anderlecht, c’est tout. Mais pas mal d’eau coulera encore sous les ponts de la Senne avant de trouver un consensus. Du coup, il faut bien que je prête une oreille attentive à ceux qui proposent un déménagement au Heysel voire l’édification d’un nouveau stade à Schaerbeek-formation.

Vous avez bien une préférence ?

Oui, mais si je dis que le Heysel me semble l’endroit le plus approprié, je vais m’attirer les foudres de la commune où nous sommes implantés aujourd’hui. Et si je plaide en faveur d’un endroit à Anderlecht, les politiciens bruxellois soutiendront que je n’ai pas la fibre pour eux. Dans ces conditions, on n’est pas près de sortir de l’auberge. Pourtant, chaque année qui passe est une année de perdue…

par bruno govers

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