Plus besoin de Mourinho

Après deux échecs consécutifs, Chelsea repart à la conquête de la Ligue des Champions. Mais son CEO voit aussi à long terme… même sans son ex-coach portugais.

Cela faisait quelque temps qu’il y avait de l’eau dans le gaz entre la direction du club londonien et son entraîneur portugais José Mourinho. Le divorce survenu il y a une semaine au lendemain d’un triste match nul en Ligue des Champions a servi de prétexte à la séparation officielle (voir la rubrique Angleterre plus loin). Mourinho voulait d’autres joueurs que le propriétaire Roman Abramovitch lui mettait dans les mains et le Portugais était frustré. Il avait remporté deux titres anglais mais la Ligue des Champions lui échappait…

Tous les efforts provenant de l’establishment du club pour calmer les choses n’ont servi à rien. Au moment où cette interview fut réalisée (début septembre), Peter Kenyon, le CEO de Chelsea disait encore -Abramovitch et Mourinho s’entendent à nouveau comme avant. J’ai vécu tout cela de l’intérieur et je peux vous dire que l’on a gonflé l’affaire.

A Chelsea, beaucoup de spécialistes et connaisseurs du football s’occupent du management. Comment les responsabilités sont-elles définies ?

Peter Kenyon : C’est très facile. L’objectif est de faire progresser Chelsea à tous les niveaux. Le business plan et l’approche sportive sont donc basés sur le développement des joueurs du club. C’est surtout la tâche de Frank Arnesen. Mais comme nous jouons sur la scène internationale, nous avons estimé qu’au même titre que les grands clubs européens, nous avions besoin d’un directeur général de la section football. C’est le rôle rempli par Avram Grant ( NDLR : qui a repris l’équipe avec Steve Clark). Frank s’occupe donc de la formation et de la structure de celle-ci tandis qu’Avram coordonne les différents secteurs d’activité footballistique. Je suis le CEO et il est sous mes ordres mais également sous ceux du conseil de direction et de Roman Abramovitch. Et puis il y a le coach. Cette structure fonctionne très bien.

Chelsea s’est tenu relativement tranquille sur le marché des transferts. Le club a-t-il décidé de ne plus jeter l’argent par les fenêtres ?

Peter Kenyon : Nous ne faisons pas des transferts pour le plaisir. Il est possible que nous sortions encore beaucoup d’argent mais uniquement pour un joueur spécifique. Comme chaque année, nous nous sommes réunis et nous avons vu de quoi nous avions besoin pour renforcer l’équipe. Nous avons notamment tenu compte de l’impact potentiel de la Coupe d’Afrique des Nations, qui aura lieu en plein milieu de la saison. Nous devions donc veiller à avoir un noyau plus large que les autres saisons. Et les joueurs qui doivent faire la différence dans ces moments-là sont souvent davantage des équipiers modèles que des vedettes. La somme consacrée aux transferts dépend donc toujours un peu du hasard mais nous avons toujours clairement dit que nous ne dépenserions pas tout le temps autant d’argent qu’au cours des deux premières années de présidence de Roman Abramovitch . A l’époque, nous avions dû consentir de gros efforts pour rattraper notre retard sur le top européen. Mais il nous reste suffisamment d’argent pour acquérir des joueurs répondant à des besoins spécifiques.

Votre priorité consiste-t-elle à présent à remporter la Ligue des Champions ?

Nous avons toujours passé la phase des poules et, au cours des deux dernières saisons, nous avons atteint les demi-finales. Pour faire mieux, nous devons aller en finale. Et là, comme on l’a vu plusieurs fois, tout est possible. Nous sommes convaincus que notre équipe a suffisamment de talent et la mentalité adéquate pour y arriver. Je constate aussi que tout le monde veut à nouveau être champion d’Angleterre. Personne n’a oublié que nous avons dû céder le titre à Manchester United et cette motivation peut également nous être bénéfique en Ligue des Champions.

Les transferts de Michaël Ballack et d’Andrei Shevchenko étaient-ils des échecs aussi énormes que les fans et les journalistes ont bien voulu le dire ?

Non, pas du tout. D’abord parce que ces deux joueurs ont des contrats de longue durée. Leur apport ne peut donc être jugé sur un an seulement. Nous n’avons pas encore vu le vrai Shevchenko et le véritable Ballack, même s’ils ont déjà apporté leur pierre à l’édifice. Shevchenko a inscrit plusieurs buts importants et il ne faut pas sous-estimer le rôle qu’il a joué dans l’éclosion de Didier Drogba. Ballack a également été titulaire à plusieurs reprises mais il est sérieusement blessé. Enfin, tant l’Ukrainien que l’Allemand nous ont apporté pas mal de choses en dehors du terrain mais cela, les gens ne le voient pas.

Lorsque José Mourinho est arrivé, il a hérité de piliers comme John Terry et Frank Lampard. Pensez-vous pouvoir garder longtemps cet ancrage anglais ?

Nous avons décidé que l’épine dorsale de l’équipe devait rester britannique. Dans nos équipes de -17 et -21 ans, nous avons 17 internationaux anglais. Et dans notre centre de formation, 70 % des joueurs sont Anglais. Cela reflète parfaitement notre état d’esprit. Evidemment, nous ne manquerons pas l’opportunité d’attirer de jeunes étrangers mais nous voulons conserver une identité britannique. C’est important tant sur le plan culturel que sur le plan sportif. Il y a, en effet, un lien très fort entre nos supporters et les joueurs du cru. Il est aussi très important de conserver des joueurs qui étaient eux-mêmes supporters depuis leur plus tendre enfance. Car, non seulement, neuf des 21 joueurs du noyau sont Anglais mais sept d’entre eux sont de vrais Londoniens. Ce n’est pas à sous-estimer, sur le plan économique non plus.

Plus d’un titre européen dans dix ans

Où Chelsea sera-t-il dans dix ans, selon vous ?

Je pense que nous aurons atteint notre objectif qui consiste à être reconnu comme un des plus grands clubs européens. Pour cela, il nous faudra avoir remporté plus d’une Coupe d’Europe et être l’un des leaders du championnat d’Angleterre. J’espère également que, sur le plan commercial, nous générerons des bénéfices et que notre politique économique sera reconnue. Nous travaillons dur chaque jour pour y arriver.

Chelsea peut-il encore atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir d’atteindre l’équilibre financier en 2010 ?

Ce but n’a jamais été formellement exprimé, c’était plutôt une déclaration d’intention. Mais nous sommes toujours dans les temps. Nos revenus ont beaucoup augmenté et, au cours des quatre dernières saisons, nous avons été l’un des meilleurs clubs mondiaux au niveau de la croissance. Notre image est très bonne et, au cours des trois dernières saisons, nous avons obtenu de bons résultats. Le fait que nous atteignions l’équilibre financier en 2010 ou en 2011 n’est donc pas très important mais des signaux nous disent que nous sommes sur le bon chemin.

La politique de Chelsea en Asie est très différente de celle du Real Madrid ou de Manchester United. Ces équipes vont y jouer quelques matches et reviennent rapidement tandis que vous avez développé un véritable partenariat avec la confédération asiatique. Pensez-vous que les efforts des clubs européens en Asie vont finir par payer ?

L’Asie est en tout cas le continent qui peut générer de nouveaux flux financiers. Au niveau médiatique, ce continent est en avance sur l’Europe. Mais il y a d’autres opportunités. Songez au nombre de joueurs asiatiques qui débarquent dans les clubs européens, même si les raisons ne sont pas toujours claires. Si aucun d’entre eux ne joue à Chelsea, c’est parce que nous estimons qu’il n’y a pas, actuellement, de joueurs répondant aux profils que nous recherchons. Mais rien que sur base de l’évolution démographique, cela peut changer très vite. Grâce à notre accord avec la confédération asiatique, le joueur asiatique de l’année a la possibilité de venir s’entraîner à Chelsea. Les dix meilleurs joueurs des différents championnats urbains ont également l’occasion de séjourner dans notre centre de formation pendant quelque temps. Il est indéniable que les supporters asiatiques sont très importants mais un club a plusieurs possibilités de les attirer. Nous avons opté pour une approche à long terme. Cela demande plus de temps mais cela nous permet un meilleur ancrage. Pour moi, ceux qui prétendent que le marché asiatique permet de s’enrichir très vite se trompent. Mais à terme, c’est vrai qu’il y a des opportunités. Nous ne pouvons pas non plus perdre de vue les possibilités de croissance économiques de la Chine. De plus en plus de firmes de ce pays vont débarquer sur le marché mondial, ce qui va augmenter les possibilités de sponsoring.

Chelsea perd-il de l’argent actuellement ?

Non, mais il n’en gagne pas non plus. Ce ne sont pas encore les revenus du marché asiatique qui vont nous permettre d’engager une star mondiale mais notre programme est établi sur dix ans. Et comme, après cinq ans, nous sommes déjà en équilibre, nous sommes bien placés pour tirer de nombreux profits au cours des prochaines années. Et je suis convaincu que les possibilités seront là.

Roman Abramovich fut le premier grand propriétaire étranger d’un club anglais. Plus tard, d’autres se sont intéressés à d’autres clubs. Quelle explication voyez-vous à cela ?

Le plus grand attrait de la Premier League pour un investisseur étranger, c’est le potentiel business des clubs et l’attention que les médias du monde entier portent au championnat d’Angleterre. L’approche du sport aux Etats-Unis est très axée sur le business alors que les clubs restent dans un premier temps des entités sportives. Mais en général, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’un dirigeant de club est mauvais parce qu’il est étranger ou parce qu’il fait aussi des affaires. Et l’inverse est vrai aussi. Ce n’est pas parce qu’on est un bon boucher de village qu’on sait aussi diriger un club. Je sais que beaucoup de gens se posent des questions parce que le concept de propriétaire étranger est encore très récent. Evidemment, quand un investisseur étranger se manifeste, il faut vérifier si l’argent qu’il apporte n’est pas sale et ce n’est pas toujours facile pour les fédérations. D’autres organisations sont mieux armées pour le faire. En tout cas, le phénomène est très récent et il faut se garder de tirer des conclusions hâtives. A Chelsea, le propriétaire a mis de l’argent à la disposition du club et celui-ci peut l’utiliser comme il l’entend. D’autres clubs dirigés par des étrangers ne peuvent en dire autant.

Changer de stade ?

Qu’allez-vous faire du stade de Stamford Bridge ?

Nous avons un stade de 42.000 places et tous nos matches à domicile se déroulent à guichets fermés. Nous avons toujours dit que ce serait bien de porter la capacité à 55.000 places mais pas question de déménager à cent miles. Si Chelsea est ce qu’il est aujourd’hui, il le doit en bonne partie à sa situation. Nous n’avons pas encore complètement abandonné l’idée d’agrandir le stade actuel mais nous savons qu’il est très difficile d’arriver à 55.000 ou 60.000 places sur un terrain de 13 ares. Il n’est pas non plus évident de trouver un site à une place acceptable pour y construire un nouveau stade mais nous restons attentifs.

Un déménagement risquerait de faire l’effet d’une bombe.

Evidemment mais un club peut générer des revenus de son stade. Jusqu’à présent, les nôtres ont été aussi élevés que ceux de Manchester Utd lorsqu’il jouait toujours dans l’ancien Old Trafford, avec ses 67.000 places. Mais nous devons rester prudents sur le sujet. Nous ne devons pas toujours privilégier les perspectives de business au détriment des fans. Notre situation actuelle nous offre aussi des avantages. Et nous commençons seulement à connaître l’impact des 380 matches diffusés par la télévision dû au fait que le coup d’envoi est de plus en plus souvent donné à un autre moment que le samedi après-midi à 15 heures. Nous ne devons donc pas nous précipiter. Et si nous devions prendre aujourd’hui la décision de déménager, il nous faudrait de toute façon cinq à sept ans avant que ce ne soit effectif. Mais stratégiquement, la décision est importante et il faudra bien la prendre à un moment ou l’autre.

Les revenus sont aussi liés aux prix des tickets d’entrée et, sur ce plan, Chelsea n’a pas toujours eu bonne presse.

Nos prix n’ont pas changé depuis deux ans tandis que les clubs qui donnent l’impression d’être moins chers ne cessent d’augmenter leurs tarifs. Notre politique de prix est bonne. N’oubliez pas que nous avons offert aux fans la possibilité d’assister aux matches de Cup et de Coupe de la Ligue à des prix plancher. Et cela a marché puisque le stade affichait complet à chaque match.

En février, il y aura quatre ans que vous êtes passé de Manchester United à Chelsea. Certaines choses vous ont-elles surpris ?

En tout, cela fait 11 ans que je suis CEO de grands clubs. Je pense pouvoir dire que j’ai fait mon chemin. Une des grandes différences entre Manchester et Londres, ce sont les médias. Là, j’ai été surpris. A Londres, tout est amplifié et c’est logique. Le club appartient à un propriétaire étranger et nous avons rapidement connu le succès. Le football est un secteur très dynamique. Voyez l’évolution au sein de l’UEFA avec la création du conseil stratégique. Il n’y a pas si longtemps, il était pratiquement impossible pour un club d’être représenté au sein de l’organe qui régit le football européen. Nous avons donc fait du chemin.

par esm

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