» NOTRE IDENTITÉ ? LES MINES, LE FOOTBALL ET UN MUSÉE «
Partons à la découverte des neuf villes françaises qui accueilleront l’EURO 2016. Un voyage qui débute à Lens, dans le nord de la France, le coeur d’une région minière en quête d’une nouvelle identité.
« Nous sommes contents d’accueillir Angleterre-Pays de Galles mais nous regrettons vivement que les Belges ne jouent pas ici. Ça aurait mis beaucoup d’ambiance et ça nous aurait donné moins de soucis d’hébergement. »
Nicolas sourit. Nous prenons un lunch à l’estaminet Le Pain de la Bouche, proche de la gare de la ville du Nord. Nous ne sommes encore que fin février mais Nicolas a déjà beaucoup de soucis. D’organisation. Il va bientôt recevoir une délégation anglaise et il croule sous les demandes les plus bizarres des chaînes de TV britanniques. » Comme d’abattre des arbres qui leur gâchaient la vue sur le stade, depuis leur appartement ! » Il soupire. Celui qui possède un bel appartement avec vue sur le stade ou la fanzone peut faire des affaires en or en l’espace d’une semaine. » Ils enchérissent pour obtenir les meilleurs endroits. »
Lens a beau être la plus petite des villes organisatrices, elle est toujours de la fête quand l’Hexagone organise un grand tournoi. C’était déjà le cas à l’EURO 84, quand la Belgique a battu la Yougoslavie et l’Allemagne de l’Ouest la Roumanie. En 1998, pour la Coupe du Monde, Lens a accueilli six matches, parmi lesquels un de l’équipe de France, victorieuse 1-0 contre le Paraguay. La ville a aussi organisé des matches aux championnats du monde de rugby en 1999 et en 2007 : Lens a une tradition sportive. Elle possède aussi des politiciens locaux puissants. C’est un bastion du PS, qui a tenu bon lors des dernières élections, malgré la proximité de Hénin-Beaumont, le port d’attache de Marine Le Pen et de son Front National.
De Courtrai, on traverse l’agglomération de Lille. On quitte la A1 en direction de Paris à Dourges et après quelques kilomètres, on est dans l’agglomération Lens-Liévin, un ensemble de bourgades à quelque 200 kilomètres au nord de Paris. Nous sommes dans le bassin minier du Nord Pas-de-Calais : une multitude de villages, tous construits autour d’une fosse, l’entrée des anciennes mines de charbon. Il y a seize villages, fusionnés dans une agglomération dont Lens (36.000 habitants) est le centre. Des airs, on peut suivre les veines de charbon. Comparé à Paris, Marseille, Lyon ou Bordeaux, Lens est vraiment le petit poucet de l’EURO. Ce n’est pas toujours un inconvénient : on peut se rendre à pied au stade depuis le centre, c’est une promenade de dix minutes.
Jusqu’au 19e siècle, c’était une terre de marais. Il fallait assécher le sol pour le cultiver, explique Marlène, qui travaille pour l’Office du Tourisme. En 1850, Lens ne comptait que 2.000 âmes. La ville s’est étendue à partir de 1853. La nouvelle association minière a commencé à chercher du charbon. Une communauté s’est formée autour de chaque fosse : une église, une école, des maisons, des parcs. On n’a pas tenu compte des limites géographiques : les concessions dépassaient les frontières des communes. C’est pour ça qu’aujourd’hui, la région se dit agglomération plutôt que ville.
En deux cents ans, la région a déjà dû se redéfinir à plusieurs reprises. Au boom de la fin du 19e siècle a succédé le drame de la Première Guerre mondiale. En octobre 1914, l’Allemagne est rapidement arrivée aux portes de la ville, intéressée par l’énergie retirée du sol. A la fin, les mines atteignaient une profondeur de 900 mètres. Quatre ans plus tard, défaite, l’Allemagne s’est repliée et a tout détruit sur son passage. Il y a eu une première petite crise dans les années 30 mais la région a relevé la tête après la Seconde Guerre, durant la reconstruction de la France : l’économie avait besoin de matières premières. Un moment donné, on a retiré jusqu’à 7.000 tonnes de charbon par jour. Ensuite, l’industrie minière a ralenti avant de fermer ses portes. La dernière mine a été fermée en 1986. Marlène : » La région a beaucoup souffert à ce moment. Le taux de chômage était élevé et c’était la pauvreté. Nous continuons à trinquer mais on remarque quand même la naissance d’une nouvelle dynamique économique. La Française mécanique, qui fabrique des moteurs pour Renault et Peugeot, est installée ici, de même qu’une imprimerie nationale. Les statistiques sont porteuses d’espoir : cette année, le chômage a diminué de 1,4 % mais il reste quand même à 16 % alors que la moyenne française oscille entre 10 et 12 %. »
Les mines font désormais partie du patrimoine industriel de l’Unesco. Deux grands terrils de 86 mètres de haut sont protégés et dominent la région. On peut les escalader et par beau temps, on peut distinguer Lille, Arras et Béthune à l’horizon. De mai à octobre, le service de tourisme organise des visites guidées mais il n’est pas possible de descendre dans une mine comme de notre côté de la frontière, à Blégny. Marlène : » La loi l’interdit, en France. » Des artistes travaillent dans les anciens bâtiments. Ils y ont un atelier ou des salles de répétition. Plusieurs musées ont été aménagés aux environs. Lens mise désormais sur l’homo turisticus.
PAR PETER T’KINT, À LENS – PHOTOS BELGAIMAGE
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