Les foules, quelles qu’elles soient…
Je me souviens avoir lu, voici quatre ans, un bouquin fort énervant intitulé » Idées reçues sur le sport « , dont l’auteur s’appelait Michel Caillat (*) : je suis le premier à reconnaître que le sport n’a pas toutes les qualités, mais je ne l’accuserai jamais de tous les maux comme l’osait ce gars ! Pareille accusation passait trop par le dédain : et, outre que je fais partie intégrante des amateurs de sport, faut toujours faire gaffe à dégorger du dédain, ce n’est jamais bon pour le c£ur… Or, curieusement, via le Web, je viens de retomber sur cet amateur de tir à boulets, rouges autant que fats et soixante-huitards. C’est une interview de 2004 où Caillat prétend ceci qui m’a fait tiquer : » Quand on est dans une foule sportive, on est dans une foule à l’état brut. Ce n’est pas le peuple, c’est la foule. L’émotion domine, cela ne va pas plus loin. Dans les foules sportives, qui sont descendues dans la rue en 1998, il n’y a pas de projet de changement de société. Ça se limite aux buts marqués et encaissés, à supporter de manière souvent hystérique. Ca me paraît proche de l’illettrisme… »
C’était le lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, j’ai ricané dans ma barbe virtuelle. Tant pour Sarko à Bercy que pour Ségolène Royal au stade Charléty, nous venions de voir des foules immenses prétendument rassemblées pour autre chose que du sport : précisément pour un projet, un changement de société ! Tu parles Charles, mon £il en parachute… de gauche à droite, c’était pile poil kif que les foules sportives tant décriées : hurlements, fanatisme, banderoles, émotion, supportarisme, gigantisme, hystérie, starification ! A mon avis c’était même pire, rapport à la nature du spectacle proposé. Parce que quand tu raffoles de foot et que tu t’amènes à un match, indépendamment de l’ambiance dans laquelle tu aimeras baigner, tu y viens aussi pour dévorer des yeux la prestation des acteurs : leurs trouvailles, leurs gestes, leur habileté corporelle, une esthétique ! Alors qu’ici, ne me dites pas qu’il y a spectacle par la simple prestation d’un petit bonhomme ou d’une petite bonne femme qui cause là-bas très loin derrière un petit micro ! Hein ? Quand ils déclament leur programme, c’est de l’ art oratoire ? ! Admettons. Mais c’est quand même fort en deçà d’un one-man-show de Fabrice Lucchini ou de Gad Elmaleh. Surtout du point de vue du texte.
Une fois connue l’issue du match Sego-Sarko, la foule politique gagnante a continué de faire comme la foule footeuse : elle s’est radinée en masse aux Champs- Elysées et à la Concorde, elle a gueulé On-a-gagné-on-a-gagné-on-a-gagné, elle a arrosé ça, elle s’est embrassée, et tutti quanti tout pareil… A la télé, se sont multipliées les explications pour nous faire comprendre pourquoi l’un avait évidemment gagné et l’autre évidemment perdu, parlant même de victoire écrasante quand le score était de 52,7 % pour l’un et 47,3 % pour l’autre : pour moi, un score comme ça, c’est pareil qu’un moitié/moitié à une quéquette près, pareil qu’une victoire par un tout petit but d’écart voire même par tirs au but… Au foot aussi, d’ailleurs, si vous écoutez attentivement les flopées d’analyses a posteriori, toutes s’attacheront à vous faire comprendre en profondeur le verdict final, même s’il s’est joué sur un coup de dés. En politique comme en foot, on nous fait prendre les vessies du hasard pour les lanternes de la logique…
Y’a pire. En politique aussi, il y a la foule perdante et qui ne supporte pas d’avoir perdu : comme si le fait d’avoir échoué d’un fifrelin incluait forcément une erreur d’arbitrage ou une tricherie en face… Alors, colère. Alors, hooliganisme politique : défaite de Ségolène, alors bagnoles incendiées, dégâts inciviques, arrestations, flics ripostants et blessés, tout ça le jour de ce qui est l’expression même de la démocratie… Tout ça pour dire au Caillat du début qu’il peut se désoler de ce que l’homme parmi la foule soit souvent plus con que l’homme seul, mais que la foule sportive n’est qu’une foule parmi d’autres : pas pire, pas plus bête, parfois même heureuse.
(*)… mais peut-être en raffolerez-vous : c’était donc en 2002 aux Editions Le cavalier bleu !
par bernard jeunejean
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