Le sport dénaturé par la réalité virtuelle ?
La réalité virtuelle connaît son heure de gloire aux Etats-Unis. Se laisser immerger dans un monde factice créé numériquement semble être un phénomène émergent. Les investissements entrepreneuriaux dans le domaine sont toujours plus courants. Après les jeux vidéo, le sport, qui attire les foules, en est son prochain cobaye… au point d’en sortir changé ?
Assis dans le fauteuil, casque fixé sur la tête, écouteurs dans les oreilles et manette en main. Tel est l’équipement qui sera nécessaire pour jouer aux jeux vidéo – mais pas que – dans un futur proche. Exit le téléviseur, place à la réalité virtuelle. C’est ce vers quoi les grands distributeurs et producteurs se dirigent.
Une technologie émergente
L’Oculus Rift, casque de réalité virtuelle propriété de Facebook, s’érige en tant que véritable représentant des expériences immersives depuis 3 ans. Aujourd’hui, il semble être arrivé à maturité et est commercialisé. La concurrence s’active en coulisses. Ainsi, HTC se lance également dans la VR (Virtual Reality) avec son HTC Vive. Lié à Valve, grand fournisseur de jeux vidéo, ses débuts pourraient s’avérer prometteurs. Un énorme marché qui reste donc à conquérir. Hors de question pour Sony de ne pas s’y immiscer. Ainsi, PlayStation devrait proposer aux particuliers sa technologie VR sous peu.
Si un bilan chiffré des ventes des appareils en 2016 ne pourra être effectué qu’en fin d’année, il apparaitrait déjà qu’une liste d’attente soit à regretter dans la commande de l’Oculus Rift. En cause, le nombre élevé de volontaires à l’achat du « sésame ».
Et d’après l’institut d’analyse chinois Trendforce, ce ne sont pas moins de 14 millions de casques de réalité virtuelle qui pourraient être vendus au cours d’année. Selon l’institut de recherche et d’analyse Tractica, les revenus de la nouvelle technologie pourraient se chiffrer à 21,8 milliards de dollars (19 milliards d’euros) en 2020. Trendforce évalue à 18 millions le nombre de pièces qui seront vendues en 2017. Vingt-deux millions l’année suivante et 38 millions en 2020.
C’est dire l’ampleur prévisionnelle de la VR, dominée par le secteur du jeu vidéo pour les quatre prochaines années d’après Trendforce. D’ici là, une diversification des contenus devrait voir le jour.
Cela, si la première expérimentation de commercialisation de la technologie connaît véritablement l’essor et la réussite prévus permettant aux investisseurs, producteurs, créateurs de se convaincre d’une viabilité du phénomène, mais aussi de rentrer dans leurs frais, tant bien de recherche et développement que de production.
Le sport en ligne de mire
L’inconnu du triomphe ou non de la technologie dans le secteur du jeu vidéo, le marché le plus fructueux, n’en freine cependant pas certains à placer leurs pions dans la production de contenus en VR. « La réalité virtuelle doit aller au-delà du jeu » expliquait d’ailleurs, l’année dernière, Jeff Gattis, directeur marketing à HTC.
Ce qu’a bien compris Honey VR, qui selon realite-virtuelle.com, compte développer une application permettant de revivre certains moments de l’histoire.
C’est également le cas de The Virtual Reality Company (TVRC) comme l’explique sportetstyle.fr . Derrière cette entreprise se cache un certain Robert Stromberg, spécialiste américain des effets spéciaux et du design dans le cinéma. Il a notamment remporté deux Oscars des meilleurs décors pour Avatar de James Cameron en 2010 et l’année suivante pour Alice au pays des merveilles de Tim Burton. « Notre job est simple : raconter des histoires incroyables grâce à la réalité virtuelle », indique Guy Primus, patron de l’entreprise. L’objectif : « devenir le HBO de la réalité virtuelle ». Et pour cela, TVRC propose des documentaires de quelques minutes sur des personnages célèbres, dont des sportifs. Interview et images récentes tournées à 360 degrés, il est possible pour l’utilisateur de se projeter au sein de la vie de la personne concernée, comme l’explique Guy Primus : « Imaginez, vous lancez un documentaire sur Magic Johnson, vous mettez vos lunettes et vous vous retrouvez projeté dans son salon. Il est là, face à vous, vous regarde dans les yeux et vous demande de quoi vous voulez parler. Vous êtes plutôt intéressé par ses titres chez les Lakers, alors vous l’interrogez là-dessus. Aussitôt, tout un axe sur les Lakers démarre. Si vous voulez passer une journée avec lui, on peut aussi le faire en vous embarquant dans sa voiture décapotable pendant qu’il fait le tour de la ville, quand les gens le saluent, etc. Il vous raconte sa vie pendant qu’il conduit. Nous travaillons aussi sur un système qui reconnaîtrait les mimiques du visage. Ainsi, s’il sort une blague ou quelque chose qui vous fait sourire, l’ordinateur le sait et il vous répond par exemple : tu aimes cette histoire ? ».
NextVR, dont Brad Allen est le président exécutif, a développé un concept permettant une retransmission en live et à 360° d’un évènement quel qu’il soit. Il est donc possible de se téléporter au bord d’un terrain de jeu, voir les actions se dérouler, observer les téléspectateurs présents… et tout cela en direct tout en restant chez soi. À l’instar d’une vidéo qu’avait proposée le club de Liverpool en janvier dernier.
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Mais Brad Allen voit plus loin. « Dans cinq ans, on pourra vous faire faire ce que vous voulez pendant un temps mort » explique-t-il. Lancers francs, marcher sur le terrain…
Livelike, une compagnie française, propose, elle, selon Sport&style, de suivre un match quel qu’il soit en loge avec ses amis. Livelike crée la technologie et la propose aux détenteurs des droits des évènements sportifs. En quoi consiste leur contenu ? En réalité (ou justement pas), l’utilisateur se retrouve plongé en tribunes et plus précisément dans une loge présidentielle, avec vue sur le terrain. Celle-ci est créée numériquement. Néanmoins, les joueurs sont réels, l’ambiance aussi. Tout cela en direct. Là encore, il est possible d’effectuer des rotations à 360° permettant à l’utilisateur de se retourner, observer un tableau de statistiques dans son dos. Il est même possible de se retrouver projeté à un mètre du goal lors d’une occasion de but, en sélectionnant la caméra qui s’y trouve avec le viseur intégré au casque.
Altspace est également une entreprise permettant de regarder du contenu sportif en live. Via cette technologie, l’utilisateur se voit offrir la possibilité de sélectionner la rencontre qu’il souhaite suivre. Il est alors téléporté dans une immense salle où se trouvent les avatars personnalisables des gens qui souhaitent regarder la même rencontre. Des discussions entre les membres sont alors possibles. Il s’agit là d’un véritable réseau social. Certains regrettent une qualité d’image médiocre, mais les casques de réalité virtuelle ne sont, semble-t-il, pas encore assez sophistiqués.
Quelles conséquences ?
L’émergence prévisionnelle d’une telle technologie, de tels contenus, pourrait avoir de fâcheuses conséquences. Alors certes, certains sont certainement « excités » à l’idée de pouvoir s’immerger un monde dans lequel tout est beau, tout est rose… mais au point d’en oublier que tout est faux. Qu’en sera-t-il des relations sociales dans la vie réelle tandis qu’une addiction pourrait croître aussi vite que le nombre de contenus proposés ? Regarder la télévision, jouer à des jeux vidéo sont déjà des pratiques qui mettent à mal les relations sociales. Mais il est encore possible de parler à quelqu’un tout en jouant ou en regardant la télé. Avec le casque, les choses seraient bien différentes. Tous les sens seront concentrés dans la perception du monde factice, au point d’en oublier qu’il s’agit d’un monde parallèle.
Mais si certaines questions sociales peuvent se poser, l’inquiétude est aussi importante concernant la viabilité des sports avec cette technologie. Si vous pouvez avoir l’ambiance, le ressenti d’un stade, vous retrouver « gratuitement » aux meilleures places d’une enceinte sportive, bénéficier d’une vue imprenable sur certaines actions, qu’est-ce qui pourra encore pousser les gens à se rendre au stade, payer leur place, et continuer à faire du sport ce qu’il est ?
Alors certes, les droits télévisuels et le sponsoring sont ce qu’ils sont dans le sport mais il est certain que certains clubs vivent de leurs recettes liées aux entrées ou aux consommations. Que se passera-t-il lorsqu’il n’y en aura plus?
Bientôt, les supporters seront-ils eux aussi créés numériquement tandis que plus personne, hormis les plus fervents, ne se déplacera au stade ?
Tant de questions qui peuvent se poser tandis que l’accès à ces technologies pourrait très rapidement se démocratiser et devenir une norme, voire une « obligation » pour accéder à des contenus quels qu’ils soient.
Quentin Droussin
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