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 » L’Ajax montre à nouveau l’exemple « 

L’Ajax n’a rien pu faire face à Manchester United en finale de l’Europa League mais sa campagne européenne a rappelé les bons moments du passé. Peut-il encore rivaliser avec le top européen ?

« Nous avons fait avancer les choses « , disait modestement Matthijs de Ligt (17 ans) après la défaite de l’Ajax en finale de l’Europa League, à Stockholm. Le défenseur, meilleur joueur de son équipe sur le terrain ce soir-là (pour d’aucuns, c’était carrément l’homme du match) était le plus jeune joueur à avoir disputé une finale de Coupe d’Europe. Ce soir-là, l’Ajax alignait quatre adolescents et la moyenne d’âge de l’équipe était de 22 ans et 282 jours. Jamais une équipe aussi jeune n’avait pris part à une finale européenne. Depuis 1982, cela fait 1650 matches consécutifs que l’Ajax aligne au moins un joueur formé par ses soins. Avant la saison dernière, outre De Ligt, André Onana, Davinson Sanchez, Hakim Ziyech, Kasper Dolberg, Justin Kluivert, Frenkie de Jong et David Neres n’avaient jamais entendu parler de la Coupe d’Europe qu’à la télévision.

Huit joueurs alignés en finale ont donc soudain été appelés à effectuer un parcours triomphal de pays en pays. Naguère, ils étaient également au coup d’envoi du premier match européen de la saison, à Nice. Malheureusement, la reprise a été marquée par le drame d’Abdelhak Nouri (20 ans), un autre jeune qui avait disputé son premier match complet en équipe première lors de la dernière journée de la saison 2016-2017 et qui, lors d’une rencontre amicale contre le Werder Brême, s’est écroulé sur le terrain, victime d’un problème cardiaque ayant causé des lésions cérébrales irréversibles. Il ne pourra plus jamais vivre normalement.

Cet incident dramatique a jeté un voile sur la fantastique campagne européenne de l’Ajax. Pourtant, tout avait mal commencé puisque, après avoir éliminé Anderlecht de la Ligue des Champions, les Russes de Rostov s’étaient aussi offert le scalp du club hollandais. Celui-ci avait alors rapidement déboursé 10 millions pour acquérir Hakim Ziyech (FC Twente) au nez et à la barbe du Sporting mauve, qui avait dès lors jeté son dévolu sur Nicolae Stanciu. Alors que le Roumain connaissait des problèmes d’adaptation, le Marocain s’avérait être un coup dans le mille. L’Ajax, repêché en Europa League, saisissait cette nouvelle chance des deux mains.

On a surtout apprécié l’approche de Peter Bosz (aujourd’hui à Dortmund), un entraîneur qui ne joue pas la sécurité avant tout. Lors de la dernière journée du championnat des Pays-Bas, il a établi un nouveau record en alignant une équipe dont la moyenne d’âge était de 20 ans et 139 jours.  » C’est phénoménal « , lançait Mark Lawrenson, ex-défenseur de Liverpool devenu consultant, avant la finale de l’Europa League.  » L’Ajax fait appel à des monuments comme Dennis Bergkamp, Marc Overmars et Edwin van der Sar pour polir des diamants bruts qu’il vend pour 30 millions d’euros. Puis il recommence. C’est une façon très intelligente de gérer un club. « 

Ruud Krol, ex-légende de l’Ajax et ancien entraîneur du FC Malines, pense que le retour de l’Ajax au premier plan européen est dû, avant tout, au fait que l’entraîneur avait la main sur le groupe.  » L’Ajax a montré son vrai visage. Je suis souvent à l’étranger et on me parle régulièrement du football développé par l’Ajax. J’ai suivi les cours d’entraîneur avec Peter Bosz. À l’époque, en discutant avec lui, j’ai vite compris quelle serait sa vision du football. Frank de Boer était plus réservé. Bosz mettait sans cesse l’accent sur le fait que les joueurs devaient prendre des initiatives et presser. C’est ça, l’Ajax. Comme ils sont jeunes, les joueurs ne dosent pas toujours bien leurs efforts alors que d’autres équipes, plus expérimentées, gaspillent moins d’énergie en Coupe d’Europe. Mais l’enthousiasme est aussi une arme létale. On l’a vu en Europa League : ces gamins n’avaient peur de rien.  »

Un vent de fraîcheur

Sören Lerby, star de l’Ajax dans les années 70 et 80, a également pris beaucoup de plaisir à voir jouer son ancien club.  » Je ne m’attendais plus à ce que l’Ajax brille encore en Coupe « , dit-il.  » Le fossé avec les tout grands clubs n’a fait que se creuser au cours des dernières années. Si l’Ajax est parvenu à le combler, c’est grâce à son style de jeu. De nombreux clubs européens n’ont pas trouvé la solution face au jeu offensif que Peter Bosz a inculqué à l’équipe car, dans leurs championnats respectifs, ils ne sont pas habitués à cela. Mais le plus important, c’est que l’Ajax soit redevenu un club qui n’a peur de rien.  »

John van ‘t Schip, ailier talentueux des années 90, estime que le caractère imprévisible des jeunes joueurs constituait une arme intéressante.  » Les joueurs du cru n’étaient pas les seuls à afficher une confiance énorme en leurs capacités : les transferts ont suivi le mouvement. Lorsque l’équipe montait sur le terrain, les joueurs avaient le torse bombé et le menton en avant. Cette audace se retrouvait dans leur jeu. C’était comme au bon vieux temps, l’Ajax que j’ai toujours connu. Le revers de la médaille, c’est que les jeunes ne savent pas toujours quels sont les moments importants d’un match. L’Ajax qui a remporté la Ligue des Champions et la Coupe UEFA dans les années 90 gérait mieux les fins de match quand c’était nécessaire.  »

Pour Danny Blind, ancien joueur de l’Ajax et ex-sélectionneur national, le succès de l’Ajax doit servir de leçon à tout le football hollandais.  » Nous ne devons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis. L’Ajax a démontré sur la scène européenne que rien n’était impossible. J’espère que d’autres clubs hollandais suivront cet exemple. Cela fait des années qu’on discute pour savoir quel virage notre football doit prendre. Nous ne devons pas soudain tout miser sur le physique et aligner des décathloniens mais nous ne devons pas non plus penser qu’on ne peut gagner qu’en jouant à la hollandaise. Il faut trouver l’équilibre. Structurellement, je ne crois pas que nous rattraperons notre retard sur les grands clubs. Mais nous pouvons faire mal de temps en temps.  »

Rafael van der Vaart, autre joyau de l’école de l’Ajax qui termine sa carrière au FC Midtjylland, au Danemark, a suivi la campagne européenne de son ancien club avec ferveur.  » Je prendrais bien un abonnement rien que pour voir jouer Ziyech. Les jeunes qui ont percé me font penser à mon époque à l’Ajax. Le petit Kluivert, j’en suis fan depuis le premier jour. Il a directement tenté des trucs, on sent dans ses interviews qu’il n’a peur de rien. Wesley Sneijder, Nigel de Jong et moi étions pareils.  »

Pour Van der Vaart, la campagne européenne de l’Ajax a fait souffler un vent de fraîcheur sur le jeu.  » Le club a rendu service au football. À une époque où on ne fait plus que courir, se rentrer dedans et imposer sa puissance physique, l’Ajax a démontré qu’on pouvait aller très loin en produisant un beau football. Dans un rapport de la fédération hollandaise, on nous dit que nous devons suivre l’exemple de l’Allemagne. Quand je vois comment l’Ajax a balayé Schalke 04 à l’Arena, je n’aime autant pas. C’est ça, le football. L’Ajax jouait en déplacement comme s’il évoluait à domicile, même s’il avait remporté le match aller. C’est pourquoi j’ai apprécié la remontada de Barcelone face au PSG : les Français ont changé leur style de jeu parce qu’ils avaient gagné chez eux. Il ne faut jamais faire cela. L’Ajax a montré l’exemple à toute l’Europe, comme par le passé.  »

Un champ de recrutement plus large

Marc Overmars (44 ans), directeur du département joueurs de l’Ajax, forme un triumvirat avec Edwin van der Saret Dennis Bergkamp à la tête du club. Il est à la fois fier et surpris.  » Personne ne croyait que c’était possible. Au cours des semaines qui ont précédé la finale, nous avons constaté un mélange de respect et de surprise à notre égard. Les gens se demandaient comment une équipe dont le budget était de 21 millions d’euros pouvait rivaliser avec les grandes puissances européennes. Peu de gens pensaient que c’était encore possible. Les Pays-Bas ne représentent plus grand-chose au niveau européen. À un certain moment, tout semblait aller très mal à l’Ajax et soudain, paf. On se fait une autre idée de nous, on reparle à nouveau des Pays-Bas à l’étranger. Je le remarque à la façon dont les agents nous approchent. Ils savent que c’est chez nous qu’ils doivent placer leurs jeunes joueurs. Et les joueurs eux-mêmes sont demandeurs. Peu après la finale, j’ai lu que Frenkie de Jong disait : Je conseille à tous les jeunes talentueux de venir jouer à l’Ajax. Et ça, c’est beau.  »

Le succès des dernières années – l’Ajax a été champion quatre fois d’affilée et a terminé deuxième des trois derniers championnats, battu sur le fil seulement – n’est pas uniquement dû aux jeunes joueurs du cru. Le champ de recrutement du club est plus large que par le passé. Pour Overmars, c’est une nécessité.  » Un club comme Manchester United a quatre scouts full time aux Pays-Bas tandis que nous en avons cinq pour le monde entier. Nous souhaitons élargir notre champ d’action car des joueurs comme Davinson Sanchez et André Onana ont prouvé qu’un bon scouting pouvait rapporter énormément. Pour le reste, nous travaillons beaucoup sur base de conseils. Au fil des années, nous avons développé un bon réseau. Je ne crois pas aux conseils des agents, plutôt à ceux d’un groupe de connaisseurs qui n’ont pas d’intérêts. Ces gens font partie de notre réseau et nous prenons dès lors directement leurs conseils très au sérieux.  »

Pour acquérir Hakim Ziyech et David Neres, l’Ajax a déboursé des sommes qui, jusque-là, étaient prohibitives. Il a également transféré deux très bons Colombiens, Davinson Sanchez et Mateo Cassierra. Mais Overmars insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle politique.  » Nous pouvons acheter de temps en temps un joueur qui coûte dix ou onze millions d’euros mais ce n’est pas notre objectif. Les montants des transferts ne cessent d’augmenter et, lorsque nous vendons un joueur, nous gagnons plus qu’avant mais nous ne pouvons plus non plus acheter un Danois pour une bouchée de pain comme par le passé car là aussi, les sommes augmentent.  »

La base doit donc rester l’intégration de jeunes talents à l’équipe première. Le directeur constate que les jeunes manquent parfois un peu de patience, qu’ils veulent aller trop vite. C’est inhérent à un club dont l’ADN est la formation, l’intégration et les résultats.  » Tous les jeunes doués veulent jouer. Ils ont l’impression d’être prêts et d’avoir besoin de temps de jeu mais ils doivent être patients. C’est propre à l’Ajax et aux Pays-Bas : on considère qu’un joueur doit jouer parce qu’il a déjà 19 ans. À l’étranger, ce n’est pas du tout le cas. Il y a quelques années, nous avions demandé à Barcelone s’il ne voulait pas nous céder Sergi Roberto parce qu’il avait déjà 23 ans et ne jouait pas mais nous nous étions heurtés à un refus. Le Barça le considérait comme un joueur talentueux qui allait finir par percer. Chez nous, un joueur de 23 ans veut déjà compter 40 sélections en équipe nationale.  »

La règle des 3 secondes

Wim Jonk a travaillé à l’Ajax jusqu’en novembre 2015. Il faisait partie des gens placés par Johan Cruijff dans la nouvelle structure, en 2008. Il a d’abord été entraîneur individuel puis responsable du centre de formation. Bien qu’il soit parti suite à un désaccord, il est heureux que le projet porte ses fruits.  » Il faut cinq ans pour qu’une formule lancée chez les jeunes produise ses effets en équipe première. Je suis très content d’avoir vu les jeunes faire preuve d’autant d’audace, quels que soient les adversaires ou les circonstances. Peter Bosz a ramené un football offensif au club, dans l’esprit de Johan Cruijff. Johan et moi avons toujours cru que l’Ajax pouvait accrocher le bon wagon au niveau européen en produisant le football qui lui sied.

Nos points de vue étaient clairs : un suivi individualisé en équipes d’âges, pas de transferts de joueurs qui ne servent qu’à élargir le noyau, des accords de collaboration avec des clubs étrangers et un pressing sur toute la longueur du terrain. J’ai vu de plus en plus souvent en équipe première des choses que nous avions inculquées. Bosz avait sa règle des cinq secondes en perte de balle ? Chez nous, elle était de trois secondes. Nous insistions sur l’importance de jouer en profondeur plutôt que de faire circuler le ballon sur toute la largeur du terrain, sur le fait de créer des situations de un contre un et de trouver l’homme libre. Quand on apprend à maîtriser ces éléments dès le plus jeune âge, on a des points de repère et cela met en confiance. Il ne reste plus qu’à transformer cela en football attractif et payant.  »

Winston Bogarde, autre ex-joueur de la grande période ajacide des années 90, entraînait les défenseurs du club jusqu’à la saison dernière. Aujourd’hui, il est l’adjoint de Michael Reiziger en équipe espoirs. Lui aussi a vu se concrétiser un projet auquel il a travaillé avec beaucoup d’enthousiasme.  » Au centre de formation, cela faisait quelques années que nous produisions un football offensif basé sur la vitesse de récupération du ballon. C’est un jeu à risques mais cela correspond à la culture du club, qui a toujours été d’obtenir des résultats en produisant le plus beau jeu possible. Je retrouve dans cette équipe la rage de vaincre et l’envie d’apprendre qui étaient les nôtres dans les années 90. Cette équipe n’est qu’au début de son histoire. Les bons résultats européens augmentent les chances de voir les joueurs rester plus longtemps. En 1995, après la victoire en Ligue des Champions, personne ne voulait partir car nous étions la meilleure équipe d’Europe. Cette formation n’en est pas encore là mais ce qu’elle a montré en Europa League est prometteur, surtout quand on connaît la marge de progression de chacun.  »

La question qui se posait la saison dernière, c’était : ces résultats européens sont-ils accidentels ou structurels ? Overmars, qui a connu les belles années 90, réfléchit et dit :  » Les deux ! Songez aux grands succès de l’Ajax : 1973, 1995 et 2017. Avec, entre ces périodes, quelques bons moments. Il y a une certaine structure derrière tout cela mais on ne peut tout de même pas parler de présence structurelle au sein du top européen. Je suis suffisamment réaliste pour m’en rendre compte. Je pense qu’avec les rapports de force actuels, les choses bougent moins vite. Par contre, nous n’abandonnons pas l’idée de nous accrocher.  »

L’exemple de Leicester City

Un club comme l’Ajax doit-il dès lors conserver ses joueurs, comme cela semble être le cas cette année malgré le départ du capitaine Davy Klaassen (Everton) et de deux autres titulaires de Stockholm (Jairo Riedewald à Crystal Palace, et Bertrand Traoré, prêté par Chelsea, à Lyon) ?  » Mais comment faire ? « , demande Overmars.  » Prenez l’exemple de Leicester City. Après le titre, il aurait aussi voulu garder ses joueurs. Certains d’entre eux se sont vu proposer trois fois plus, le club a reçu l’argent de la Ligue des Champions et, s’il avait gardé tout le monde, il aurait sans doute comblé le fossé avec les grands clubs anglais mais ça n’a pas marché et il a failli descendre. Donc, il n’a pas eu le succès sportif escompté et il a raté une belle occasion de vendre des joueurs pour plus de cent millions d’euros. Il n’est pas évident de se dire qu’on garde tout le monde et qu’on continue.  »

Overmars constate pourtant que la mentalité des joueurs a changé.  » Vous savez ce que j’apprécie le plus ? C’est que, la saison dernière, les joueurs ne parlaient pas de transfert. C’est plutôt exceptionnel à notre époque. Vous savez ce qu’André Onana m’a dit ? Attention, nous pouvons tout gagner, même la Ligue des Champions. Bien sûr, il était en confiance mais je suis très heureux de constater que les joueurs pensent comme ça.  »

par simon zwartkruis et freek jansen – photos belgaimage

 » À une époque où on ne fait plus que courir, se rentrer dedans et imposer sa puissance physique, l’Ajax a démontré qu’on pouvait aller très loin en produisant un beau football.  » Rafael van der Vaart

 » L’idée qu’on se fait de nous a changé. On parle de nouveau des Pays-Bas à l’étranger.  » Marc Overmars

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