Pourquoi la décision de Nafi Thiam d’arrêter sa collaboration avec Roger Lespagnard est une décision courageuse
La semaine dernière, Nafi Thiam annonçait sur Instagram la fin de sa collaboration avec son entraîneur Roger Lespagnard après, quatorze années. La championne olympique, du monde et d’Europe cherche « un nouvel environnement d’entraînement ». Voici trois raisons qui ont motivé ce choix.
Une décision surprenante ?
« Pour les suiveurs de l’athlétisme belge, cela a été un coup de tonnerre », estime notre journaliste spécialiste Jonas Creteur. « Comme pour Roger Lespagnard, qui a été « abasourdi » lorsque Thiam lui a annoncé la nouvelle cette semaine, les larmes aux yeux. »
« Après tout, Thiam n’a jamais laissé entendre auparavant qu’elle pourrait chercher un nouvel encadrement, apparemment pas même à son entraîneur de toujours. De plus, elle sort d’un été au cours duquel elle est devenue championne du monde et d’Europe. Un été au cours duquel, surtout, elle semblait avoir retrouvé la joie. Elle était rayonnante pendant et après la compétition. »
Contrairement à l’été 2021, au cours duquel Thiam semblait accablé par la pression et le stress des Jeux olympiques, les blessures, le coronavirus et les préoccupations privées. Même après avoir remporté son deuxième titre olympique, le soulagement semblait plus grand que la joie de sa médaille d’or. Un changement d’entraîneur après cette période aurait semblé moins surprenant qu’il ne l’est aujourd’hui », pense Jonas Creteur.
« Quoi qu’il en soit, il est frappant que l’on puisse dire au revoir à un entraîneur après 14 ans de bons et loyaux service. Un entraîneur avec lequel Thiam, 14 ans, s’est retrouvée lorsque le FC Hannut ne voulait pas investir dans son développement et ne voulait pas intervenir dans ses frais de déplacement. La mère de la championne, Danièle, a alors rencontré Lespagnard, âgé de 62 ans à l’époque, pour qu’il prenne en main la destinée de Nafi. Son futur mentor était un ancien athlète, quadruple champion de Belgique de décathlon et qui avait participé à trois olympiades (1968/72/76).é
éUn gros inconvénient cependant : Thiam devait, à chaque fois, se rendre à Liège depuis Rhisnes, près de Namur. D’abord avec la nouvelle petite voiture de sa maman et à partir des cinquième et sixième année en train. Souvent jusque tard dans la nuit. Aujourd’hui encore, Roger Lespagnard, qui emmenait toujours Thiam à la gare de Liège, admire surtout sa prodige pour ces sacrifices consentis depuis son plus jeune âge.
éL’entraîneur expérimenté a aussi complètement changé les techniques de course et de saut de Nafi Thiam. Un long processus de transformation, car la star de l’heptathlon avait grandi soudainement de dix centimètres à l’âge de 15/16 ans », détaille Jonas Creteur.
« L’entraîneur et l’athlète ont également dû apprendre à se connaître petit à petit, compte tenu de la différence d’âge de 48 ans les séparant. Après tout, Nafi, connue pour son entêtement autant que pour sa détermination, ne se laissait pas abattre facilement. Une fois, lorsqu’elle a voulu lancer son javelot à l’envers lors d’un championnat, et que Lespagnard lui a crié dessus, Thiam lui a même répondu avec véhémence. « Pourquoi tu me cries dessus comme ça ! », raconte Jonas Creteur.
« Depuis lors, le coach a baissé le volume de sa voix et la durée de leurs conversations. « Nous avons besoin de peu de mots pour nous comprendre, à l’entraînement et en compétition », disait souvent Roger Lespagnard. Ce dernier a également souligné qu’il était avant tout un entraîneur, et non un grand-père/second père avec qui Thiam devait mettre son âme à nu, en tant qu’être humain », explique Jonas Creteur.
« Lespagnard était pourtant un entraîneur qui ne se montrait jamais facilement satisfait, tout comme Thiam. Dans cette volonté de perfection, ils se sont toujours retrouvés. Avec un grand et invisible succès. Y mettre un terme ne va donc pas de soi. Le respect de Thiam pour Lespagnard en tant que personne et en tant qu’entraîneur reste néanmoins énorme. Même si la déception de son désormais ex-mentor a sûrement été très grande ».
Que penser de sa décision ?
« Thiam a ses raisons, qu’elle pourra ou non garder pour elle. Mais elle est intelligente et n’a sûrement pas pris sa décision sur un coup de tête. Il ne s’agit certainement pas d’un caprice émotionnel », estime Jonas Creteur.
« C’est avant tout un choix très courageux que de dire au revoir à un entraîneur après 14 ans de collaboration. Le terme « rupture » n’est peut-être pas le bon mot à cet égard. On parle d’un entraîneur aujourd’hui âgé de 75 ans, avec lequel elle a remporté tous les titres majeurs de l’heptathlon depuis 2016, hormis les championnats du monde 2019. Aucune autre heptathlète n’a connu un règne aussi long », détaille Jonas Creteur.
« C’est un choix clair de la part de Nafi Thiam avant d’entrer dans la dernière partie de sa carrière, probablement jusqu’aux Jeux de Paris 2024 inclus, avec un regard nouveau, des techniques d’entraînement nouvelles et peut-être plus modernes ainsi qu’un nouvel élan sur le plan mental. Et surtout, pour continuer à s’améliorer. Car plus que tout autre titre, c’est ce qui a toujours motivé Thiam : la satisfaction de repousser ses limites et d’aller au bout d’elle-même », pense notre journaliste.
« Ces dernières années, elle n’a pas toujours été en mesure d’atteindre ce maximum, notamment en raison de nombreuses blessures. Néanmoins, elle remporte le titre à chaque fois car c’est une féroce compétitrice. »
« Cependant, son record personnel, 7013 points à Götzis, date de 2017. Depuis, Thiam n’a approché ce score total qu’à une seule reprise : lors des derniers Championnats du monde à Eugene où elle a obtenu 6947 points et décroché deux nouveaux records personnels sur le 100 mètres haies et le 800 mètres. Cependant, la barre des 7 000 points est là encore restée trop haute pour elle. »
« Thiam n’a jamais oublié que le record européen de la Suédoise Carolina Klüft (7032 points) reste toujours son ambition inassouvie. Il est possible que cela ait joué un rôle dans sa décision de se séparer de son mentor de toujours », pense Jonas Creteur.
« Elle sait aussi que les adversaires ne restent pas inactifs et continuent de travailler dur pour progresser. Malgré ses 6947 points d’Eugene, la Belge n’avait devancé la Néerlandaise Anouk Vetter que de 80 petites unités. Les 6867 points de cette dernière sont plus que le total réalisé par Thiam lors de son deuxième sacre olympique, à Tokyo (6791 points). On ne sait pas non plus si une jeune heptathlète au talent exceptionnel émergera dans deux ans, aux Jeux de Paris », explique notre journaliste.
Qui sera le nouvel entraîneur de Thiam ?
« On est pour l’instant dans la supposition, même si certains noms ont déjà évoqué. Thiam n’a encore rien révélé d’officiel à ce sujet, selon Lespagnard. Va-t-elle opter pour un entraîneur étranger de renom ? Ou cherche-t-elle quelqu’un de son pays, peut-être Fernando Oliva, l’entraîneur de la championne universitaire Noor Vidts ? Thiam entretient de bonnes relations avec les deux. De plus, Vidts excelle dans les disciplines de course dans lesquelles Thiam n’est pas aussi performante. Les deux athlètes pourraient apprendre beaucoup l’une de l’autre, selon Oliva. Mais alors, la Wallonne pourrait être amenée à rejoindre l’Atletiek Vlaanderen, ce qui serait un sujet sensible dans notre pays où le communautaire est souvent trop présent.
Outre Oliva, le nom de Michael Van der Plaetsen a également été mentionné. C’est l’entraîneur de son frère Thomas, lui aussi décathlonien. Mais c’est aussi le frère d’Helena, l’une des managers de Thiam à l’agence we are many.
Le fait est que Thiam fait appel à la GRITSportsClinic de Louvain pour son suivi médical, où le physiothérapeute Maarten Thysen joue un rôle important. Ce dernier est une référence absolue dans son domaine. Il a aussi toujours accompagné Thiam lors des grandes compétitions d’athlétisme de ces dernières années et a été crucial pour la Liégeoise en traitant ses nombreuses blessures. Il est peu probable qu’elle le quitte aussi, ainsi que toute l’équipe médicale de GRIT. A moins que Thiam ne change totalement de cap et ne parte à l’étranger.
Une chose est sûre : Thiam, qui est naturellement introvertie, trouvera, ou a peut-être déjà trouvé, quelqu’un à la hauteur de son dynamisme et de son perfectionnisme. Une personne à laquelle elle peut faire confiance et qui peut en même temps l’enthousiasmer par de nouvelles idées.
Peut-être que de cette façon, à 28 ans, elle pourra encore progresser et atteindre d’autres objectifs. Devenir championne olympique pour la troisième fois à Paris 2024 et améliorer aussi le record d’Europe. Ce serait la cerise sur le gâteau d’une carrière déjà phénoménale. Dans laquelle, il ne faudra pas l’oublier, Roger Lespagnard a joué un rôle crucial », conclut Jonas Creteur.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici