Joue – la comme Becker

Depuis sa plus tendre enfance, le Suisse n’a qu’un rêve : devenir le meilleur tennisman du monde.

A sa manière très helvétique, discrète et renfermée, la ville de Bâle est fière de son enfant prodige. A l’aéroport, Roger Federer sourit sur un poster géant, une pub pour le tournoi Swiss Indoors. Dans le bus qui nous mène au centre-ville, un écran montre les derniers triomphes du Suisse, numéro un au classement mondial de l’ATP.

Le reste de la ville a visiblement d’autres chats à fouetter. Bâle est une cité relativement petite, mais connaît une croissance sans précédent due à sa position stratégique entre la Suisse, l’Allemagne et la France. Même le club de tennis de Ciba rend un hommage plutôt discret à Federer : un poster et une petite photo encadrée, montrant Roger et quelques Juniors.  » C’est dans ce club que Roger a pris en main sa première raquette « , raconte Lynette Federer, la mère de Roger.  » Nous avons passé en famille des week-ends entiers ici. Lorsque les enfants étaient encore petits, nous habitions un appartement au 17e étage. Ici, ils pouvaient s’en donner à c£ur joie, courir et jouer. Outre le tennis, Roger pratiquait aussi le foot, le basket, le tennis de table, le squash, le vélo, la marche, et j’en passe. Il est, tout comme mon mari Robert, toujours membre de ce club « .

Il était écrit quelque part que Roger deviendrait un sportif talentueux.  » Nous avons remarqué dès son plus jeune âge qu’il avait une coordination incroyable « , nous explique Lynette.  » A 18 mois, il pouvait shooter dans un ballon vers nous. Enfant, il excellait dans tous les sports et il a aussi joué au foot à un bon niveau. Son entraîneur demandait qu’il vienne s’entraîner plus souvent mais ce n’était pas tenable avec le tennis. A 12 ans, il a dû faire un choix et ce fut la petite balle jaune. La raison de sa décision ? Il était convaincu qu’il pourrait aller plus loin avec le tennis « .

Günther Hollenreiner s’occupe du club de tennis de Ciba et confirme :  » Je jouais au foot ici lorsque Roger était plus jeune. Il voulait toujours participer aux matches avec les adultes. Il jouait très bien. Un petit vainqueur. Il était toujours en attaque, il voulait inscrire des buts « .

 » C’était un bon perdant parce qu’il ne perdait pas souvent  »

Mais le talent seul ne fait pas encore un gagneur. Le petit Roger jouait tout le temps et partout au tennis se rappelle sa mère :  » Lorsque nous habitions à Münchenstein, il tendait un filet en travers de la rue et y tapait la balle jaune pendant quatre ou cinq heures avec ses camarades, après l’école. Il n’y avait pas autant de circulation à l’époque. Ils utilisaient des balles molles pour ne pas endommager les voitures garées « .

Bruno Floris était le meilleur ami de Federer à l’école primaire.  » Nous passions beaucoup de temps ensemble, partagions le même banc à l’école, faisions nos devoirs ensemble et… faisions du sport durant tous nos temps libres. Roger était le meilleur dans chaque discipline. Pas seulement le tennis, mais aussi le ping-pong, le foot, tout ! Régulièrement, nous organisions à l’école des championnats de différentes disciplines sportives. Celui avec la meilleure moyenne dans tous les sports était le gagnant du jour. Roger était très difficile à battre. Enfant, il avait déjà une très bonne condition physique. Il n’était pas parmi les plus grands en taille, car il n’a commencé à grandir que plus tard, mais alors très rapidement. Il était bon perdant, je pense, mais… il ne perdait pas très souvent « .

Pourtant, le petit Roger n’était pas toujours facile pour son entourage.  » C’était un enfant très jouette et de bonne humeur. Il était aussi très ouvert et honnête mais aussi très espiègle, ce qui pouvait sérieusement pousser à bout les gens autour de lui « , se rappelle Lynette.  » Roger testait sans cesse les limites, pour voir jusqu’où il pouvait aller avant qu’on se fâche « .

Provocateur et lunatique

Lynette continue :  » Ces provocations ne facilitaient pas le travail avec lui. Pour Roger, tout était un jeu. Mais quand cela devenait plus sérieux, il continuait allègrement la plaisanterie. Alors que l’entraîneur demandait de se concentrer sérieusement sur un aspect de la frappe de balle, il continuait à essayer des shots bizarres. En ce sens, il était un Ausdauer, comme on dit en allemand. Il voulait amener les choses le plus loin possible. Même comme enfant, il testait ses limites, ce qui l’a peut-être rendu énervant mais cette mentalité est devenue plus tard sa plus grande force. Comme enfant, il n’arrivait pas à se concentrer très longtemps. Avec les années, il s’est amélioré et il a su acquérir cette endurance. Les succès aidant, il a gagné en confiance. Plus jeune, il pouvait remporter le premier set d’une manière époustouflante et perdre ensuite patience, commettre erreur sur erreur et finalement perdre le match. Il a dû apprendre à faire durer l’effort pour gagner, même quand il ne développait pas son meilleur jeu. Ne jamais renoncer, mordre dans la balle, c’est ça la mentalité de gagneur. Regardez Justine Henin, elle est comme ça aussi. Se concentrer sur chaque point et toujours se donner une chance de gagner. Roger a dû attendre d’avoir 21 ou 22 ans pour en arriver là.

Il était aussi assez lunatique. Un vrai lion, son signe astrologique. Il était très bon dans les choses qu’il aimait faire. Mais c’était une catastrophe lorsqu’un sujet ne l’intéressait pas. A l’école il n’en allait pas autrement. Il avait un goût pour les langues, donc il y excellait. Les maths par contre, ce n’était pas son truc, un véritable cauchemar. En outre, il aimait bien concentrer l’attention autour de lui. Et il faisait donc tout pour attirer l’attention.

Il fallait vraiment savoir comment s’y prendre avec Roger. Quand je devais rencontrer un entraîneur ou un professeur, je remarquais souvent que le problème aurait pu être aisément résolu. Il fallait gagner la confiance de Roger et ensuite il faisait tout pour vous. Il devait se sentir apprécié. Aujourd’hui, Roger rend tant de choses à son entourage. Je pense que s’il est si généreux, c’est parce qu’il se rend compte à quel point il a été difficile dans sa jeunesse « .

 » Heureusement, ses cheveux sont plus courts  »

Bruno Floris se remémore aussi avec joie leurs espiègleries.  » On n’écoutait pas. Il ne se passait pas une semaine sans qu’on nous sorte de la classe. Pas pour des actes graves mais nous parlions et riions tout le temps. Cela ne nous dérangeait pas, nous sortions et jouions au basket. Hélas, nous devions alors compenser en passant nos mercredi après-midi en retenue. Nous faisions tout le temps des bêtises sans conséquence. Je me souviens avoir amené un tas de matelas dans la chambre de Roger, sous le toit, pour y disputer des concours de catch « .

Il insiste :  » Roger aimait provoquer les gens, mais de façon gentille. Il était très comique et ne se prenait pas au sérieux, il a toujours eu de l’autodérision. Roger ne se souciait pas non plus de son image. Mais, une fois, il s’est laissé pousser les cheveux. Heureusement, il les porte un peu plus courts maintenant (il rit) « .

Avant tout, Roger Federer a toujours été un ami loyal.  » A présent que nous nous voyons à peine, il m’envoie chaque année des billets gratuits pour les Swiss Indoors ici à Bâle « , raconte Bruno Floris.  » On lit partout quand on interroge l’entourage des vedettes que celles-ci sont restées elles-mêmes. Mais la plupart du temps ce n’est pas vrai. Pour Roger, c’est crucial, il est toujours le même gars qu’avant. Il a gardé les pieds sur terre. Enfant, j’adorais aller chez Roger, qui a grandi dans une famille soudée et chaleureuse. C’était un ménage sans beaucoup de disputes. Il a toujours eu de bonnes relations avec ses parents et sa s£ur Diana. Sa maman contrôlait que tout aille bien à l’école, son père le poussant davantage vers le tennis. Quand ma mère est décédée très jeune et que mon père devait travailler, les Federer m’ont accueilli comme un enfant de la famille et m’ont soutenu très fort pendant cette période difficile. Cela fait un peu bizarre de le voir à la TV à présent, en tant que star mondiale. Dernièrement, nous avons eu une réunion d’anciens élèves. Roger ne pouvait pas être là parce qu’il disputait un tournoi. Lorsque nous avons reçu le café, la photo de Roger était imprimée sur les emballages du lait. Nous avons bien ri : on est en train de boire le lait de Roger !  »

 » Nous avons cru qu’il ne percerait pas  »

Dans ses relations amoureuses aussi, Roger Federer est fidèle. Cela fait sept ans qu’il partage la vie de Mirka Vavrinec, une ex-joueuse pro. A l’école primaire aussi, il était un amoureux loyal.  » Roger et moi avions tous deux une copine « , raconte Bruno Floris en riant.  » Nous sommes restés avec elles pendant toutes nos primaires. Bien sûr, c’était enfantin. Nous nous promenions main dans la main, échangions des bisous et racontions comment nous allions nous marier. Après l’école primaire, nous les avons perdues de vue « .

Un fil rouge parcourt toute la jeunesse de Roger : le tennis.  » Roger était non seulement un tennisman passionné mais aussi un fervent téléspectateur « , poursuit Lynette.  » Il regardait tous les matches de Boris Becker et des autres stars. Lorsqu’il remportait le moindre petit match, il se laissait tomber sur le terrain comme Becker. Le rêve était alors déjà en lui « .

 » Il savait qu’il deviendrait un excellent joueur « , assure Bruno Floris.  » Il avait dans sa chambre des posters de Becker, Pete Sampras et d’autres grands joueurs. Chaque jour il répétait : -Je veux devenir comme eux. Nous en parlions beaucoup. Le tennis était rien moins qu’une passion. Roger ne l’a jamais fait pour l’argent. Cela ne l’intéressait pas tellement et j’ai l’impression qu’il en est resté assez détaché. Plus jeune, il ne rêvait jamais d’une grande maison ou de voitures. Son c£ur est à la bonne place. Il ne parlait que de tennis et d’être le meilleur. Toute son enfance, Roger a travaillé dur pour devenir le meilleur tennisman du monde. Il a tout sacrifié, décidant à 14 ans de quitter le nid pour suivre une formation tennistique à Ecublanc. Et oui, aujourd’hui c’est le meilleur « .

Lynette se souvient de ce moment :  » Ce centre se trouve en Suisse francophone et Roger ne parlait pas un mot de français. Les premiers mois il s’est senti très seul. Il pleurait souvent, j’avais de la peine à le voir. Surtout vu sa nature éveillée et joyeuse. Il semblait que les coaches lui mettaient trop de pression. – Je pensais être venu ici parce que je sais jouer au tennis mais ils ne trouvent rien de bien à ce que je fais, racontait-il. Roger devait se sentir accepté pour être performant « .

Malgré tout son talent et sa passion, Roger Federer a éclos tardivement. Il a gagné son premier tournoi ATP en 2001, à 20 ans.  » Nous avons longtemps cru qu’il ne percerait pas « , confie sa mère.  » Mais il a juste eu besoin de temps pour trouver ses marques « .

Tempérament colérique

 » En plus, il est longtemps resté enfant « , poursuit-elle.  » Il était si vite distrait. Chez les Juniors, il a encore perdu quatre ou cinq fois contre votre Olivier Rochus, un très bon joueur qui était au top chez les Juniors. Un jour, Roger est rentré à la maison après une nouvelle défaite contre Rochus et son entraîneur lui a dit : -C’est la dernière fois que tu perds contre ce joueur. Et en effet, il ne s’est plus incliné contre Olivier dans tous les duels qui ont suivi « .

Chez les jeunes, Roger avait un tout autre tempérament qu’aujourd’hui.  » Nous filmions tous ses matches « , avoue sa maman.  » Quand nous le revoyons à l’£uvre à 17 ans, quelle différence ! Il râlait à chaque faute directe, jetait sa raquette au sol ou lançait de colère une balle qui était dans sa poche. Il ne dirigeait jamais ce tempérament contre son adversaire, uniquement contre lui-même « .

Qu’est-ce qui l’a fait changer alors ?  » Il a constaté que cette colère ne l’aidait en rien dans ses performances. Au contraire, cela lui coûtait de l’énergie. De plus, l’adversaire pouvait trop facilement lire dans ses pensées. Je lui ai souvent répété : -Comment penses-tu gagner de la sorte ?‘ Il a alors eu pendant quelques mois un entraîneur qui l’a aidé à trouver un meilleur équilibre mental. Les premiers temps, il a exagéré dans l’autre sens, étant presque amorphe sur le terrain. Cela ne marchait pas beaucoup mieux. Finalement, il a trouvé le bon mix, déclarant dans la presse : – J’ai enfin trouvé mon jeu. Nous connaissons tous la suite « .

par ilka de bisschop – photos: reporters

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