« Je veux marcher sur les traces de ZLATAN »
Pour remplacer à terme Dieumerci Mbokani, Anderlecht a enrôlé un jeune buteur suédois d’origine cubaine qui a transité par les Pays-Bas. Comme son modèle…
Il parle couramment le néerlandais, sans accent, alors qu’il n’a quitté la Suède, son pays natal, qu’il y a cinq ans. » J’apprends vite. En quatre mois, je comprenais déjà bien la langue, rien qu’en écoutant les autres dans le vestiaire. Puis je me suis lancé. Je parle sept langues : l’espagnol, le portugais, le suédois, le norvégien, le danois, l’anglais et le néerlandais. » Ses dons linguistiques lui viennent de ses origines. Son nom est déjà tout un poème.
Kristiano Samuel Armenteros Nuñez Mendoza Jansson est un mélange de noms suédois, le côté maternel, et cubains, le côté paternel. Pendant des années, sa mère a arpenté l’Amérique du Sud et entrale. Elle donnait cours d’anglais et de salsa. Un amour de vacances au pays de Fidel Castro a abouti au mariage et à la naissance de Samuel le 27 mai 1990 à Göteborg. Le nouvel avant mauve a grandi dans un appartement de cette ville. Son histoire ressemble un peu à celle de Zlatan Ibrahimovic.
» Nous n’avions pas de jardin mais je jouais au ballon à l’intérieur. Je l’emmenais même aux toilettes. J’ai rendu mes parents dingues à force de démolir la maison. J’ai abîmé les portes, les meubles, cassé des vitres. Mais jouer dans un espace restreint a affûté mon contrôle de balle. »
Le jeune Armenteros était doué pour le sport. Il a été repris dans l’équipe de la ville en football, en handball et en basketball. » Je débordais d’énergie et j’excellais dans tous les sports de balle. J’ai toujours été grand pour mon âge. A dix ans, je pouvais jouer avec des garçons cinq ou six ans plus âgés. Je marquais à peu près dix buts par match pour mon club de foot et quand mon équipe de handball s’imposait 22-21, j’avais généralement inscrit 20 buts. Si je n’étais pas devenu footballeur, je serais maintenant basketteur professionnel. J’ai été repris dans les équipes d’âge de la Suède. »
Il raffole toujours de la NBA, dont il suit les affiches sur internet. » C’est un sport plus intense que le football, où on peut attendre longtemps avant qu’il ne se passe quelque chose. » Pour son anniversaire, Armenteros préfère donc un billet pour un match de NBA à un billet pour la Ligue des Champions. » Sauf si Barcelone joue. Je ne rate aucun de ses matches alors que je me contente des résultats des autres. Le Barça est aussi spectaculaire que le basketball. » Lionel Messi est son héros, José Mourinho l’antéchrist de son univers. » Je déteste le Real. Il casse le jeu, c’est horrible. De plus en plus d’équipes jouent comme ça, ce que je déplore. Le football est plus tactique que technique, de nos jours. Heureusement qu’il y a Barcelone : c’est comme une pizza après trois jours de diète. »
En D3 suédoise à 14 ans
À l’avenir, il se voit bien briller au Camp Nou. » C’est une ambition plus qu’un rêve. » Armenteros ne fait pas mystère de ses objectifs. L’espoir suédois en veut : » Je vise aussi l’équipe nationale A. »
A treize ans, il a décidé de se consacrer au football. Suite au divorce de ses parents, il a suivi sa mère à 140 kilomètres de Göteborg, à Jönköping, et s’est affiliée au Husqvarna FF. Incroyable mais vrai : Armenteros a effectué ses débuts en D3 à 14 ans. » Deux semaines avant mes quinze ans, ce qui est un record. Avant le derby contre Jönköpings Södra, l’entraîneur m’a dit de prendre place sur le banc et il m’a fait entrer à dix minutes de la fin. J’ai réalisé trois actions : une pirouette à la Zidane, une panna et un but. Nous avons gagné par un but d’écart. Le lendemain, tous les journaux parlaient de moi. »
Armenteros, convoité de toutes parts, a jeté son dévolu sur le SC Heerenveen à seize ans. Il a commencé en juniors B1 mais six mois plus tard, pendant la préparation, Gertjan Verbeek l’a repris dans le noyau A. Ses perspectives ont changé lors du départ de l’entraîneur pour Feyenoord. » On ne faisait plus attention à moi. Je me sentais prêt à jouer mais le club a multiplié les transferts. Un moment donné, douze attaquants me précédaient. Je n’éprouvais plus le moindre plaisir. » On l’a jugé difficile. » Je n’arrivais plus à me motiver et j’ai commis des erreurs. Rien de bien terrible : j’arrivais en retard, par exemple.
Les dirigeants ne m’ont pas aidé, ils n’ont fait que me punir. Les derniers mois, je ne pouvais même plus jouer avec les espoirs ni avec les A1. J’étais obligé de m’entraîner à part et de faire des tours de terrain. Je me sentais incompris et je suis devenu arrogant. Je suis heureux d’avoir reçu cette chance de venir aux Pays-Bas mais le club ne supporte pas les joueurs qui dévient un peu. Heerenveen est très fier de sa propre culture et il classe un peu trop vite ceux qui ont un autre vécu. »
En 2009, le club frison n’a pas reconduit le contrat d’Armenteros. Soulagé, celui-ci est retourné en Suède pour se préparer à la saison suivante. Il a effectué un stage au Sparta Rotterdam, sans succès, et il allait signer à Elfsborg, un grand club suédois, quand Gertjan Verbeek, qui venait de reprendre Heracles Almelo, l’a invité à un test. Cette fois, il a été couronné de succès. Le Suédois s’est épanoui à Almelo, dont il est titulaire depuis deux ans et demi. » D’emblée, je me suis senti à mon aise. J’ai reçu un accueil chaleureux et j’ai retrouvé le plaisir de jouer. »
Un Latin du Nord
En le voyant swinguer des hanches sur le terrain, on reconnaît la trace de son père, qui donne des cours de salsa et joue de la conga dans un orchestre en Suède. » Les Cubains ont le sens du rythme, c’est inné. J’ai acheté un piano. Je ne sais pas lire les notes mais j’en retire de chouettes airs à l’instinct.
Je suis un footballeur cubain. Je suis un Latin, je crée la surprise alors que les Suédois sont plutôt des robots qui courent et travaillent. » Il joue au rythme de la rumba. Comme un musicien à crampons. » C’est peut-être la meilleure description. Ma mère était danseuse professionnelle, mon père a toujours été un artiste aussi. Je dansais déjà bien à trois ans. Sur un terrain de football, je me fie à mon intuition. Plus jeune, je voulais toujours soigner mon jeu puis j’ai appris à être efficace mais je reste créatif et j’essaie de faire plaisir aux spectateurs. Je pense que ce mélange de cultures en moi est idéal. Ce n’est pas un hasard si les meilleurs Suédois, ces dernières années, avaient du sang étranger, comme Zlatan Ibrahimovic et Henrik Larsson. Ils sont deux modèles pour moi. Ils ont également posé les jalons de leur carrière aux Pays-Bas. J’y ai pensé en signant pour Heerenveen car je veux marcher dans leurs pas. »
Samuel Armenteros se lève et effectue quelques pas. Cinq. » Regardez : c’est la longueur de la maison de ma grand-mère à Cuba. » Quatre pas dans l’autre sens. » La largeur. Impossible de se déplacer. La cuisine fait aussi office de salon, il y a une chambre avec un lit et une armoire. C’est tout. » Armenteros n’a qu’un terme pour décrire Marianao, la banlieue de la Havane où vit sa grand-mère : un ghetto. Pourtant, il aime y retourner, y trouvant la chaleur qui lui fait parfois défaut en Europe. » Il y a quelques années, huit personnes ont dormi dans cette cabane : ma grand-mère, ma mère, des neveux et des nièces, ma copine et moi. L’un contre l’autre, sur le banc, à terre. Tous les matins, à 80 ans passés, ma grand-mère marche deux kilomètres pour acheter de l’eau et du pain. Le bus coûte trop cher. Quand je suis à Cuba, je l’accompagne et nous achetons du poulet pour le soir – c’est la viande la moins chère. Nous cueillons des ananas et des mangues.
Je suis né en Suède et c’est ma patrie mais mon coeur est à Cuba. Chacun est le bienvenu, les portes sont ouvertes, il y a de la musique partout alors qu’en Suède, les rideaux sont toujours tirés. » Mais la vie dans ce pays communiste est dure. » Mon grand-père a travaillé jusqu’à sa mort, à 74 ans car il n’y a pas de pension à Cuba. Les gens doivent trimer pour gagner vingt euros par mois. J’envoie de l’argent tous les mois à ma famille. Mon père a eu de la chance : il a pu s’enfuir en épousant ma mère.
Combats de pitbulls
Depuis la mort de mon grand-père, je me sens responsable de mes proches, même s’ils ne m’ont jamais rien demandé. Les Cubains sont fiers. Ils n’ont rien mais ils sont heureux. Moi, j’aime partager. L’année dernière, j’ai apporté deux valises de vêtements, pour ma famille et les voisins. J’espère avoir un jour une position qui me permette de réaliser quelque chose de structurel : fonder une école de football ou quelque chose comme ça.
Marianao est vraiment misérable. Beaucoup de gens vivent en rue. Ils prennent ce qu’ils trouvent : une vieille portière peut servir de mur. Puis il faut une couverture pour la nuit. Le soir, on voit des gens à tous les coins de rue. Ils se livrent à des tas de trucs pour gagner quelques sous. Des combats de pitbulls, par exemple. Ils n’ont pas le choix : là, il faut survivre.
Pourtant, tout le monde rit. En Europe, nous avons peu de raisons de nous plaindre et pourtant, nous n’arrêtons pas. Nous avons beaucoup mais nous n’en sommes pas conscients. Moi bien. Je suis heureux de tout ce que j’ai. Et reconnaissant. »
Il vit sans crainte, selon le dicton de la bible qu’il a fait tatouer sur sa poitrine : » Even though I walk through the valley of the shadow of death, I will fear no evil, for He is with me. « Il prend la vie comme elle vient, confiant en une issue positive.
Armenteros s’est produit pour les équipes d’âge suédoises et vise l’équipe fanion mais il lui arrive aussi de fantasmer sur le maillot cubain qui couvre ses épaules. » Le football n’est pas très populaire à Cuba. Il passe après le volley. Le niveau est faible et je ne connais pas de footballeurs professionnels d’origine cubaine. Je veux me produire pour la Suède mais une sélection de Cuba pourrait tout changer. «
PAR GEERT-JAN JAKOBS – photos: imageglobe
» Barcelone, c’est comme une pizza après 3 jours de diète. «
» La Suède est ma patrie mais mon coeur est à Cuba. «
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