» JE SAIS QU’UN JOUR TOUT SERA ROSE « 

Dans la mémoire collective, il reste comme celui qui a raté son examen d’entrée contre l’Italie le 13 novembre dernier pour sa première titularisation avec les Diables. Il en faudrait toutefois un peu plus pour abattre un homme qui en a vu d’autres en dix ans de carrière passés loin des siens. Parce que Luis Pedro Cavanda est avant tout un loup solitaire.

La mer Noire, mais dans le vent, sans le soleil et le plus souvent sous la pluie. Trabzon ne répond peut-être pas aux exigences primaires des cartes postales, mais cache sous son brouillard épais un club ambitieux. C’est bien simple, dans le paysage du football turc, Trabzonspor est un club qui pèse. Bien connu chez nous pour avoir abrité la fin de carrière de Jean-Marie Pfaff (1989-1990), les locaux se souviennent pourtant plus facilement des boucles rousses d’Hans Somers (2001-2004), moins du passage de Karel D’Haene (2003-2005). Étonnant. Tout comme le choix de carrière de Luis Pedro Cavanda. Ce  » faux bad boy  » – selon les dires de son préparateur physique perso, Grégoire Litt – venu chercher du temps de jeu dans l’est turc afin de maximiser ses chances de sélection en vue de l’EURO. L’ancien Laziali ne s’en cache pas :  » Les belles plages, les vacances, ce sera pour plus tard.  » C’est que les championnats d’Europe, Luis Pedro Cavanda est du genre à y penser chaque matin en se rasant. Réputé nonchalant, l’ancien Romain serait donc en fait terriblement carriériste. Un mélange complexe et ce désir presque maladif de réussite que l’homme assume depuis dix ans avec la même gouaille :  » Tu crois qu’ils seraient beaucoup à avoir accepté de tout claquer pour se retrouver seuls, à 14 ans, dans une ville et un pays inconnu ?  »

Luis, après la Lazio Rome où tu es resté dix ans, te voilà à Trabzonspor en Turquie. Ce grand écart géographique avait pour but d’enfin te permettre de réaliser une saison complète en tant que titulaire, mission accomplie ?

LUIS PEDRO CAVANDA : C’est un peu ça vu que je joue tous les matchs. Ce n’est pas tout le monde qui serait venu à Trabzon. J’ai fait beaucoup de sacrifices, mais je suis content de voir qu’aujourd’hui ça paye. Évidemment, j’ai parfois douté parce que ça fait dix ans que je vis seul, mais je sais pourquoi je suis là. Je sais qu’un jour tout sera rose. Je suis quelqu’un de très ambitieux et je l’assume.

Si Trabzon est le choix de l’ambition, ce n’est pas franchement celui de l’épanouissement personnel. Qu’est-ce que tu à l’occasion de faire ici en dehors du foot ?

CAVANDA : Je ne suis pas là pour faire autre chose que du foot. En quelle langue, je vais aller au ciné ici ? Il n’y a pas de sous-titres anglais et puis de toute façon, je préfère les films en VF. La vie à Trabzon, c’est penser au foot H24. Je me lève, j’appelle mon chauffeur – parce que je ne voulais pas devoir conduire ici – je vais à l’entraînement, je rentre chez moi et parfois je vais manger des sushis avec des coéquipiers. Mais, j’ai toujours été tout seul donc ça ne me dérange pas. Moi, j’ai mon ordi, le satellite, les chaînes belges, italiennes, j’ai tout. À Rome, les tentations étaient nombreuses et permanentes. Ici, il pleut peut-être beaucoup par exemple, mais je m’en fous. Je ne suis pas là pour ça, ça ne m’intéresse pas. Qu’il pleuve ou qu’il neige, on va quand même jouer au foot. Et de toute façon, les meilleures pelouses, c’est celles qui sont mouillées. Et puis dans l’ensemble, je suis assez débrouillard. J’ai par exemple rencontré un agent immobilier qui parlait français à Trabzon et il m’a trouvé la maison où je vis actuellement. Moi, je suis le genre de mec, tu me laisses n’importe où sans rien, sans argent, je reviens chez moi sans souci et peut-être même avec de l’argent (rire). Je ne sais pas si je suis plus adulte que certains footballeurs de mon âge, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai eu des expériences différentes.

Cette expérience accumulée au cours de ces dix dernières années, cela t’aide à faire valoir ton point de vue dans un vestiaire ?

CAVANDA : Je parle avec tout le monde et avec personne en même temps. Ce que je veux dire, c’est que j’ai un truc en moi de leader. Parce que quand je veux faire une connerie, tout le monde veut la faire avec moi. Et que quand je lève la voix pour dire :  » Oh, les gars, aujourd’hui, c’est un match important « , les gens m’écoutent aussi. Après, je ne suis pas forcément le leader charismatique du vestiaire, mais je pense avoir mon propre rôle.

La réputation d’assisté qui colle aux basques des footballeurs comme un boulet, c’est quelque chose qui t’ennuie ?

CAVANDA : Il y a des assistés dans le milieu, mais tout le monde fait des erreurs. C’est facile de critiquer des joueurs comme dans le cas de Serge Aurier, mais il faudrait parfois aussi se mettre un peu plus à notre place. Vivre ici, à Trabzon, aller sur le terrain tous les jours, avoir la pression, se faire crier dessus par des coaches énervés, ils sont combien à pouvoir supporter tout ça ? De se mettre en communauté avec des gens qui ne parlent pas ta langue ? La vie de footballeur, c’est un ensemble de beaucoup de choses. Un ensemble parfois compliqué, c’est vrai.

Tu as quitté la Belgique à tout juste 14 ans pour t’envoler pour la Lazio. Et il y a quelques mois alors que ton nom était cité un peu partout et même à Arsenal, tu décides quand même d’opter pour Trabzon. Tu comprends que ton parcours puisse surprendre ?

CAVANDA : En tout cas, je ne regrette rien. D’ailleurs, si c’était à refaire, je ferais exactement les mêmes choix. La preuve, c’est que j’ai été appelé en sélection. Quand on m’a parlé de Trabzon, je n’ai pas réfléchi, j’ai foncé. Je ne suis même pas venu visiter les installations. Je savais qu’il y avait de bons joueurs ici, je n’avais pas de soucis à me faire. Quand tu as des gars comme José Bosingwa, Kevin Constant, Stéphane Mbia et Oscar Cardozo, ou même Marko Marin qui est arrivé après moi, tu sais que tu ne débarques pas n’importe où. J’aurais pu aller à Nice aussi, mais je ne suis pas trop attiré par le championnat français. Pour moi la Ligue 1, c’est avant tout pour les grands et les costauds, ça ne joue pas nécessairement au ballon. En Italie, le dernier peut battre le premier, la Turquie, c’est déjà un peu plus ça aussi. Après, la France et Nice, ça aurait été la belle vie, mais non, je voulais autre chose, un vrai défi.

Tu n’as quand même pas opté pour le club de Turquie le plus stable. En moins d’un an, tu as déjà connu deux présidents et le premier, Ibrahim Haciosmanoglu, s’était fait remarquer en séquestrant un arbitre en début de saison. Tu te vois rester longtemps dans un club comme celui-là ?

CAVANDA : Ce n’est pas mon problème tout ce qui gravite autour du club. Moi, je fais mes matchs, mais c’est clair qu’au début, je me suis directement dit que mon président c’était quelqu’un et qu’il ne fallait pas rigoler avec lui. Bien sûr qu’il n’aurait jamais dû réagir comme ça, il faut savoir que l’arbitre est quand même resté enfermé jusqu’à 4 h du matin à Trabzon. Et notre président a été clair, le prochain qui fait ça, il ne sort plus de Trabzon. Bon, en même temps, lui n’est plus là maintenant.

Ce fameux match contre le Galatasaray que Trabzon termine à 7 contre 11 et finit par perdre (2-1), c’était la goutte d’eau d’une saison bien agitée. Heureusement que ce n’était déjà plus le même président qu’en début de saison…

CAVANDA : L’arbitre n’a pas fait son job comme il devait. On a clairement été pénalisé alors qu’on dominait clairement le Galatasaray. Chez eux en plus ! Après, mon carton rouge était justifié, mais pas le penalty sifflé contre moi. Le premier exclu, c’était notre numéro 10 : double carton jaune, inexistant les deux fois, mais on ne dit rien. Le deuxième pour notre défenseur central : même chose. Forcément, quand il siffle penalty à 1-1 dans les dernières minutes, on s’énerve. Tu sais que le mec (Salih Dursun, NDLR) qui a donné le carton rouge à l’arbitre, il a une rue à son nom maintenant dans Trabzon ? C’est devenu un peu comme une icône ici. C’est bien pour lui, c’est un bon gars, mais je ne pense pas que perso ça aurait été une bonne chose pour ma carrière.

Avec toi peut-être plus qu’avec un autre joueur, on a l’impression qu’une carrière se joue parfois sur des détails. À l’époque, tu avais très mal vécu le fait qu’on te rende responsable de ce fameux but encaissé par la Lazio dans les arrêts de jeu d’un match contre le Juventus à tes débuts lors de la saison 2010-2011 ?

CAVANDA : Ce match, c’était mon troisième match avec la Lazio, je n’avais plus joué depuis trois mois. Soit le coach (Edy Reja, NDLR) voulait me casser les jambes, soit je ne comprends pas. Il me laissait toujours sur le banc pour les matchs simples, mais je me retrouvais titulaire contre le Milan de Ronaldinho ou la Juve de Krasic. Alors, oui, j’étais content de jouer contre des gens comme ça, mais contre la Juve, c’était normalement Stephan Lichtsteiner (alors encore à la Lazio avant de passer à la Juve la saison suivante, ndlr) qui devait jouer à gauche, mais il ne voulait pas, du coup il a été à droite. Moi j’étais jeune, je n’avais pas mon mot à dire et à la dernière seconde du match, je me fais surprendre côté extérieur, il coupe dans mon dos et ça fait but. C’est frustrant parce que je le tiens bien pendant 94 minutes. Suite à cela, je n’ai plus vu la Serie A pendant un an (il sera prêté au Torino puis à Bari en Série B, ndlr), mais quand je suis revenu, j’ai joué 26 matchs sur une saison. Mais depuis cet épisode avec la Lazio, je pense avoir muri. Je devais être prêt, je n’étais pas prêt. Il y a un truc qui a flanché, j’essaye de redresser. Les qualités, je sais que je les ai.

Tu as quitté le cocon familial très jeune, tu es Belgo-Angolo-Congolais (père angolais-mère congolaise), qu’est-ce que ça veut encore dire pour toi d’être Belge, de défendre les couleurs des Diables rouges ?

CAVANDA : Déjà, je suis Belge. Je suis né en Afrique et j’ai grandi en Belgique.La meilleure preuve, c’est quand je vais au Congo, on m’appelle l’Européen. Bon, c’est vrai qu’en Belgique, on m’appelle l’Africain du coup (rires). La vérité, c’est que je suis chez moi en Belgique comme je suis chez moi au Congo ou en Angola. Mais petit, j’ai grandi avec les performances des Diables Rouges. Je me souviens bien de la Belgique en 2002, du but refusé de Wilmots, des frères Mpenza, de Gert Verheyen même si ce n’était pas mon préféré. C’est quelque chose qui fait partie de moi. Et ces dernières années, c’est pareil.J’ai regardé tous les matchs des Diables. Je regarde ça comme supporter, celui qui fête une belle victoire, mais pas celui qui critique dès que quelque chose ne va pas. Je ne suis pas ce genre de supporter là. Tout le monde peut rater un contrôle…

C’est quoi pour toi la force de cette équipe nationale ?

CAVANDA : L’équipe nationale belge est à l’image de la Belgique. En Belgique, il y a énormément de joueurs d’origines étrangères, en équipe nationale aussi. C’est ça qui fait notre force. En Turquie, les gens sont extrêmement positifs. Ici, la rumeur qui court, c’est qu’on va gagner l’EURO (rires). Moi, quand j’ai été en sélection, j’ai vu une bande de copains. Des mecs de la même génération qui se connaissent tous et qui forment une grande famille. La force de cette équipe, c’est clairement l’esprit de groupe.

Déjà en avril 2014, tu nous disais penser à l’EURO 2016. Ne pas être repris, ce serait la plus grosse désillusion de ta carrière ?

CAVANDA : Non, ce ne serait pas la plus grosse, mais ce serait une déception. Et si ce n’est pas l’EURO, ce sera le prochain Mondial. En club aussi j’ai des objectifs, mais ça, je préfère les garder pour moi. Je suis persuadé que moins je parle de mes objectifs, plus ils ont de chance de se produire. Moi, je veux aller toujours plus haut et j’ai un plan de carrière bien défini pour y arriver.

PAR MARTIN GRIMBERGHS À TRABZON – PHOTOS BELGAIMAGE – IBRAHIM SAHIN

 » C’est facile de tomber sur des joueurs comme Serge Aurier, mais il faudrait parfois aussi se mettre un peu plus à notre place.  »

 » Moi, je suis le genre de mec, tu me laisses n’importe où sans rien, sans argent, je reviens chez moi sans souci et peut-être même avec de l’argent (rire).  »

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