» J’ai eu un tel parcours que je n’ai pas peur de la chute « 

Un capitanat, des buts à la pelle, une première sélection chez les Diables, d’un côté. Des changements d’entraîneurs, un ratio de points famélique avec son club, des rumeurs de transfert et un clash très médiatisé avec ses supporters de l’autre. Pelé Mboyo a connu des dernières semaines mouvementées. Une bonne occasion de mettre les choses au point…

De l’extérieur, le personnage peut sembler complexe. Décrit par une partie de la presse comme un élément de caractère (voir plus loin les explications sur son accrochage avec Frank Boeckx), Pelé Mboyo est par contre tenu en très haute estime par ses différents entraîneurs, équipiers ou la direction gantoise.  » J’ai eu l’impression à un moment que les médias se cherchaient un Balotelli belge « , nous dit-il avec une pointe d’irritation. Entretien fleuve.

Comment évalues-tu ta première partie de saison ?

J’ai raté la préparation en étant trois mois sur la touche à cause d’une fracture de stress. Lors du dernier match de la saison passée, contre le Cercle en match retour des barrages, je me fais une déchirure après avoir marqué le second but. On peut alors voir que je me tiens la cuisse. Dans la foulée, je suis parti en vacances mais j’avais toujours des douleurs. Et je suis donc revenu en Belgique pour me faire soigner chez Lieven Maesschalk…

En ce début de saison, j’étais frustré. J’avais terminé meilleur buteur de Gand la saison dernière, j’avais de gros objectifs et cette blessure me freinait. D’un point de vue collectif, il y a eu l’élimination européenne sans gloire face aux Hongrois de Videoton, le départ de nombreux joueurs d’expérience, ce qui n’a rien arrangé….

Tu as très vite compris que la saison allait être compliquée ?

Au début, j’avais confiance. La direction avait décidé de miser sur la jeunesse avec des joueurs comme Conté ou Van der Bruggen. Je pensais que faire quelque chose en Coupe et terminer près du podium en championnat était faisable. Mais trop de joueurs-clefs, comme Bernd Thijs et moi, se sont blessés. Vous ajoutez les nombreux départs et c’est une quasi une nouvelle équipe qui fallait mettre sur pied. Avec des jeunes pour la tirer. J’ai compris que le talent n’était pas tout dans le foot.

Quand te rends-tu compte que les objectifs ne sont pas réalisables ?

Le problème vient du fait qu’on réalise une préparation sans faille, quasi parfaite. Les victoires face à Leverkusen ou Rayo Vallecano en amical ont masqué les manquements. Et ce, même si on aurait dû l’emporter 6-0 au match aller, c’est face à Videoton en éliminatoires de l’Europa League que l’on s’est rendu compte des problèmes. Pour le club il était trop tard de réagir. Je l’ai dit à Michel Louwagie, je trouvais que la direction était trop exigeante avec un tel noyau. La presse également. Quand le Standard perd Witsel, Defour, Carcela, la direction parle de saison de transition. A Gand, on n’a pas été suffisamment réaliste, on n’a pas su évaluer combien les joueurs partis étaient importants.

Sollied et la non-communication

Comment Sollied vivait-il la situation ?

Il demandait des renforts via la presse, il était parfaitement conscient des manquements. Après son licenciement, en compagnie de quatre joueurs on a été manger ensemble avec lui et on a parlé de tout dont ce qui n’allait pas.

Que retiens-tu de l’entraîneur norvégien ?

Humainement c’est quelqu’un que j’estime. C’est pas un grand communicateur, c’est sûr. Mais avec lui, c’est le même traitement pour tout le monde. Aujourd’hui, dans le foot, certains coaches veulent faire  » ami  » avec leurs joueurs et finissent par perdre leur crédibilité quand ça va mal et qu’ils sont obligés de les mettre sur le côté. J’aime les gens sincères, je n’ai pas besoin d’être ami avec un entraîneur pour m’épanouir. Je veux être titularisé pour mes qualités et rien d’autre. Et c’est pour ça que j’aimais bien Sollied : c’était le même traitement pour tous. Sur la saison et demie où je l’ai connu il m’a parlé seulement deux fois. Je me rappelle par exemple lui avoir demandé :- Coach, quelle est selon vous ma meilleure position ? Il m’a répondu :-Le plus important, c’est que tu sois dans le 11.

Cette absence de communication ne finit-elle pas par être un problème pour le groupe ?

Pas pour moi mais il est possible que certains aient besoin de davantage d’explications. Mais tactiquement, c’est un super coach. Son système offensif était réglé comme du papier à musique. Tu fermais les yeux et tu savais où tes équipiers se trouvaient sur un terrain. C’est un foot dominateur, conquérant, qui ne base pas son jeu sur celui de l’adversaire.

Tu as été surpris de son éviction ?

Oui car on était encore très près du top 6. Après, c’est la décision du club et je la respecte. Faut pas non plus se voiler la face : je suis joueur pro, je suis employé d’un club, j’ai ma carrière professionnelle, il a la sienne. Je travaille aujourd’hui pour Gand et je n’ai pas le temps pour les sentiments.

C’est Manu Ferrera qui te nomme alors capitaine lors de son court intérim….

Oui. Il vient me voir en me disant qu’il veut que je sois le capitaine de Gand, que dans le groupe je suis un leader et que le brassard me revient.

Pas un fake

Tu es quelqu’un qui s’exprime dans un vestiaire ?

Oui et même si c’est peut-être pas l’image que je dégage. Tout comme Sollied, je ne suis pas un fake. Je ne vais me mettre à crier sur le terrain, je préfère qu’on s’explique dans le vestiaire et calmement, entre quat’z’yeux. Je ne suis pas non plus du genre à aller haranguer les supporters après un tir qui est passé 30 mètres au-dessus du goal. Pour moi, ce type de joueurs, et il y en a, ils trichent et manquent, en quelque sorte, de respect à leurs supporters. Les vrais joueurs comme Messi ou Cristiano Ronaldo, on ne les voit jamais faire ça.

Mais c’est vrai que dans le vestiaire, je n’hésite pas à dire le fond de ma pensée. Et d’après la direction et le coach, ce que je dis est sensé et positif.

Tu es parfois dur dans tes propos ?

Je suis quelqu’un d’impulsif et je peux exploser à la mi-temps d’un match. Il est arrivé de m’énerver, de jeter ma chaussure dans le vestiaire, mais ça ne va jamais plus loin. Et je m’excuse à chaque fois. Je n’ai aucun problème à admettre avoir fauté quand c’est le cas. J’ai beaucoup de défauts mais pas celui-là. Et jamais, je ne crierai sur un jeune du groupe. J’ai joué à Charleroi avec des joueurs très vicieux qui sabotaient les jeunes. On me disait clairement avant un match qu’on n’allait pas me faire de passes. C’est pourquoi, les jeunes je veux les protéger. C’était le cas pour Benito Raman (ndrl, prêté au Beerschot) ou aujourd’hui pour Hannes Van der Bruggen. Si dans quelques années Hannes se retrouve dans un bon club étranger, j’aimerais qu’il se dise que j’ai compté pour lui. Je suis beaucoup plus sévère avec un joueur d’expérience qu’avec un nouveau. Et par conséquent, on a le droit d’attendre davantage de moi que d’un jeune.

C’est quand même rare un joueur de 25 ans, au club depuis seulement deux ans, francophone, d’origine étrangère et capitaine d’un club flamand important. Comment l’expliques-tu ?

Je prends ça en tout cas comme une marque de reconnaissance. Et c’est notamment pour ça que je ne suis pas parti cet hiver de Gand. Car si je l’avais réellement voulu, je serais parti. L’offre était là et bien là.

Les problèmes que tu as connus avec les supporters auraient-ils pu changer la donne ?

A ce sujet, les médias ont gonflé la chose. A l’intérieur du club, ce n’était pas vécu comme la grande affaire qu’une certaine presse a décrite. J’ai reçu beaucoup de messages sur facebook de supporters et si certains étaient haineux, bien plus me soutenaient.

Cet épisode ne t’a pas déstabilisé ?

Pas du tout. Si ça avait été le cas, je n’aurais pas su répondre présent sur le terrain. Quand je rencontre de vrais problèmes dans la vie, ça a des répercussions sur le terrain. Ici, ce n’était pas le cas.

J’ai reconnu que j’avais fauté. Mais un footballeur reste un humain. Pourquoi Zidane pète-t-il un câble en finale de Coupe du Monde alors que c’est le dernier match de sa carrière ? J’ai réagi parce que on avait touché mon égo, mon orgueil. Et quand je suis rentré dans le vestiaire, je me suis dit : Pelé, t’as déconné. C’est pour ça que j’ai voulu aller voir les supporters directement après le match. Je suis quelqu’un qui assume, et j’ai donc été au contact des supporters. Ces gens nous soutiennent, font beaucoup pour le club, viennent souvent de milieux populaires, comme celui dans lequel j’ai grandi, je les respecte donc et je les écoute. J’aurais pu mettre un casque sur les oreilles et rentrer directement chez moi mais j’estimais que je devais aller à leur rencontre. J’avais fait une erreur, je voulais m’expliquer avec eux. D’autant qu’il y avait eu ce péno foireux.

Après coup, comment expliques-tu ce malheureux coup de réparation ?

Avant de le botter, Brüls me dit de faire attention car le terrain est glissant. On peut d’ailleurs voir que je retire alors la boue de mes chaussures. Mais jamais je n’ai glissé, le problème c’est mon pied d’appui qui est resté bloqué dans la boue. J’ai même hésité à arrêter ma course et à le retirer mais je n’étais pas sûr que le règlement le permettait. J’étais fâché d’avoir raté un penalty mais jamais je n’ai voulu faire preuve d’arrogance en faisant une Panenka ou en inventant un nouveau geste. J’ai voulu le tirer comme je les tire à chaque fois, comme face au Beerschot récemment, en attendant que le gardien choisisse un côté et en mettant un plat du pied. Ce penalty raté n’a pas cassé mon match, mais bien les coups de sifflets qui ont suivi.

L’affaire Boeckx

Quelques jours plus tard, tu as une nouvelle fois fait la une de la presse pour une histoire de coup de boule porté à Frank Boeckx à l’entraînement…

Je sortais de quatre jours de soins suite à un gros coup que j’avais pris. Lors d’un petit  » toro « , je sentais Boeckx énervé, c’était une période où il ne jouait pas. A un moment, il met un premier tackle à un petit jeune lors de l’exercice, le rate, et puis remet un second tackle où il touche ma cheville. Je m’énerve, je lui demande pourquoi il fait ça ? Lui s’approche de moi et on fait un tête contre tête comme on en voit lors de chaque match de championnat. Rien de plus. Ça a duré cinq secondes et puis il est reparti. Il n’y a jamais eu de coup de boule. On a dit qu’il avait été à l’hôpital suite à l’incident. C’est faux. C’est en rentrant de rage dans le vestiaire et en shootant dans une poubelle qu’il s’est cassé le petit orteil. Jamais, je n’ai eu de problème avec Frank. Au contraire, on s’est toujours très bien entendu et je l’ai toujours soutenu.

Et pourtant la version retranscrite dans les médias était tout autre.

J’ai beau m’être fait des amis dans le foot, il y aura toujours des vicieux. Certains ne sont pas contents de ma réussite. Mais je n’attends rien de ces gens. On apprend de ces erreurs, voilà tout. Désormais, je serai moins naïf. J’ai juré à ma mère que je n’aurai plus d’écart dans le foot. Elle a appris l’histoire avec Boeckx en se rendant chez son médecin traitant. Je ne veux plus qu’elle connaisse ce genre de situation.

Et même si tu es provoqué ?

Sur un terrain, je ne réponds jamais aux provocations. On ne me verra jamais parler ou donner un coup. Je n’ai reçu qu’un seul carton rouge dans ma carrière, c’était à Eupen après une roulette où j’avais écrasé le pied d’un adversaire et où j’ai finalement été acquitté. A la commission des arbitres, on s’était étonné que je ne m’étais pas rebellé après avoir reçu la rouge. Mais qui a déjà vu un arbitre revenir sur sa décision ? Ça n’existe pas. Je le répète : je suis pas quelqu’un de faux sur un terrain ou en dehors. Je ne sais pas simuler une faute ou tomber délibérément. On peut me mettre des coups, si je peux rester debout, je vais rester debout. Peut-être qu’à l’avenir, je dois apprendre à être plus fourbe…

Victor Fernandez, la classe

L’arrivée conjointe de Victor Fernandez et de nouveaux joueurs à la trêve semble avoir remis le club en selle. Quel regard portes-tu sur l’entraîneur espagnol ?

Fernandez, c’est la classe. Les entraînements sont variés, à chaque fois il y a un thème différent qui est parfaitement expliqué aux joueurs. Il sait parfaitement ce qu’il fait et dans quel but. Avec lui, on ne va pas faire des passes pour faire des passes. Il est charismatique et très appliqué. Il avait visionné des vidéos de trois heures de chaque joueur avant de prendre contact avec le groupe. Il nous connaissait par coeur, mieux même qu’un entraîneur rompu à notre championnat. Malgré son palmarès, sa carrière, il a mis son honneur en jeu et on voit qu’il veut réussir. Si la direction de Gand a la possibilité de continuer avec un entraîneur comme lui, à sa place je n’hésiterais pas une seconde.

Un avenir qui ne devrait plus te concerner puisqu’on a évoqué un deal entre toi et la direction de Gand concernant la saison prochaine…

On a trouvé un arrangement avec les dirigeants et en fin de saison tout le monde devrait y trouver son compte. Mais il n’y a jamais de certitudes dans le foot. Mon avenir dépendra de moi uniquement.

On a aussi évoqué le fait que tu aurais profité de ta situation difficile en fin d’année pour forcer un transfert…

J’ai toujours dit que je ne partirai pas de Gand par la petite porte. Je ne suis pas un faible, je n’ai pas besoin d’utiliser une situation pour partir. Je ne fonctionne pas comme ça. Et ce, même s’il y pas mal de gens mal intentionnés, des dirigeants d’autres clubs, des gens du milieu du foot, qui m’ont dit que je pouvais utiliser la situation pour partir. Oui il y avait de l’intérêt mais le club m’avait bien fait comprendre qu’il n’allait pas me laisser partir. Le président De Witte et Louwagie ont réussi à me convaincre. Monsieur De Witte est quelqu’un d’humainement merveilleux. Il m’a soutenu quand j’ai eu des problèmes. La veille du match de Coupe face à Anderlecht, il m’a reçu chez lui dans son bureau jusqu’à 23 h 30 afin de trouver une solution. Il aurait pu me mettre de côté, faire en sorte que je ne joue pas ce match. Au contraire, il m’a aidé. Et je suis reconnaissant envers lui et envers ce club qui m’a permis d’être capitaine, d’être chez les Diables. L’argent, ce n’est pas tout dans la vie. Et puis, si je continue à progresser, je recevrai une nouvelle chance. Mon but, ce n’est pas de partir à l’étranger pour six mois et revenir la queue entre les jambes comme certains joueurs belges qu’on présentait ici comme des stars.

Tu as une grande confiance en tes capacités ?

Je suis constamment en défi avec moi-même, à me demander continuellement : où sont mes limites ? J’ai eu un tel parcours de vie que je n’ai pas peur de la chute. S’il y a quatre ans, on m’avait prédit une telle trajectoire, je ne l’aurais jamais cru.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS CHRISTOPHE KETELS / IMAGEGLOBE

 » Je ne vais pas me mettre à crier sur le terrain, je préfère qu’on s’explique dans le vestiaire et calmement entre quat’z’yeux.  »

 » J’ai joué à Charleroi avec des joueurs très vicieux qui sabotaient les jeunes.  »

 » Si la direction de Gand a la possibilité de continuer avec un entraîneur comme Fernandez, je n’hésiterais pas une seconde.  »

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