GRANDEUR NATURE

La Personnalité numéro 1 du football belge a été façonnée par son éducation et les décors de son enfance où il n’y a jamais eu de place pour les cigales.

La Hesbaye est le grenier à blé de la Belgique : on ne peut pas cerner la personnalité et le caractère de Marc Wilmots sans connaître ces paysages découverts et régulièrement survolés par un héron cendré ou une buse.  » Je ne suis pas un poète « , dit-il quand on lui rappelle que Julos Beaucarne vit à Tourinnes-la-Grosse, pas loin de son village natal, Dongelberg.

Gamin, à l’heure des semailles, il a pourtant observé des gangs de corbeaux freux et des files de pigeons ramiers patienter pendant que des cultivateurs trituraient, engraissaient et retournaient le limon. Là-bas, près de Jodoigne, les enfants font encore la différence entre la caille et le perdreau. Dongelberg appartient totalement à cet univers campagnard du Brabant wallon mais compte aussi d’anciennes carrières.  » Il y a d’autres magnifiques villages par ici, comme Saint-Remy-Geest ou Melin et ses maisons en pierres blanches de Gobertange. « , aime-t-il rappeler. Ces blocs beiges, oeuvres de la nature qui les patine au rythme des siècles qui s’égrènent, extrêmement résistants, ont été utilisés en abondance pour ériger l’Hôtel de Ville de Bruxelles.

Marc a été façonné comme les pierres et les champs de Hesbaye. Enfant, il grandit en plein air, comme son frère Georges et sa soeur, Claire, mais ses parents, Léon et Jeanine, savent que la jeunesse est frêle comme les roseaux bordant l’Orbais, le ruisseau qui traverse Dongelberg. A l’amorce de l’adolescence, Marc est mêlé à un incident banal qui dit tout sur les valeurs qui sont cultivées par la famille Wilmots. Il a confié cette anecdote à son biographe (Christian Carette, voir encadré) :  » L’enfance, c’est formidable. On fait tout par instinct. C’est fragile aussi. Surtout quand l’adolescence pointe. A 13, 14 ans, il ne faut parfois pas grand-chose pour tourner mal. Une école trop permissive, des copains qui vous entraînent. J’ai volé… un paquet de chewing-gum un jour dans une grande surface. Et je me suis fait prendre. C’était rien. D’ailleurs, j’avais l’argent pour l’acheter. Anecdotique ? Je ne le crois pas. Je commençais, j’étais dans une mauvaise bande. Heureusement, une fois mes parents au courant, je n’avais plus aucune chance de devenir un garnement. Ma mère m’a changé d’école, mon père m’a fait travailler à la ferme. Sur le droit chemin, mon gars…  »

Le football est alors déjà entré dans sa vie. A l’école, un religieux, le Père Marc,remarque son talent, l’encourage, l’entraîne, l’incite à persévérer sans cesse dans les rangs du RSC Jodoignois où sa puissance de feu fait merveille. Son père est surpris quand on lui apprend qu’un gamin doué est appelé à connaître un bel avenir. Et son front se strie d’étonnement en notant le nom de cette perle rare :  » Mais c’est de Marc Wilmots dont on parle, ton fils… « .

 » Cela pourrait être un cancer  »

Pour une fois, Léon, qui sait deviner quand le vent d’est va apporter la pluie, n’a rien vu venir. Le football l’occupe moins que ses 200 bêtes et ses 80 hectares. Et il se soucie d’abord du bien-être de son cadet car les nouvelles ne sont pas si bonnes. Un médecin a évoqué un mal incurable.  » J’ai subi ma première opération à 13 ans. « , raconte Marc dans un de ses livres.  » J’avais une exostose, une boule sur l’os, au-dessus du genou. La plus grosse de mes cicatrices, comme si j’avais été opéré des ligaments croisés. Le praticien avait fait peur à ma mère : – Cela pourrait être un cancer. Je n’avais la frousse de rien, même pas du noir, sauf de… passer sur le billard. J’ai bien dû m’y faire. J’ai effectivement subi onze autres opérations en cours de carrière, parfois de simples arthroscopies. Je récapitule : quatre à la cheville droite, quatre au genou gauche, une au genou droit, une à l’aine, et évidemment la fameuse épaule démantibulée. Le bonheur, c’est la santé…  »

Au fil des interventions chirurgicales, il se liera d’amitié avec un grand chirurgien, Geert Declercq, successeur du célèbre professeur MarcMartens, et un kiné de renom, Lieven Maesschalck. Declercq a été impressionné par la force de caractère dont Wilmots a fait preuve avant et après chaque intervention.  » Psychologiquement, il m’a aidé à comprendre la vie professionnelle d’un footballeur. « , explique-t-il à Carette. Wilmots, Maesschalck et Declercq sont devenus des amis. Marc les a souvent invités à passer quelques jours de congé dans la maison qu’il possède à Bordeaux, près des Landes où on trouve les plus beaux plateaux de fruits de mer. Arcachon n’est pas loin et la carte des vins offre tant de merveilles. Wilmots adore d’ailleurs déboucher une bonne bouteille. Au menu aussi : pétanque et golf.  » Je m’étais habitué à ses visites annuelles. Je ne connais personne qui soit aussi souvent passé sur le billard. Et encore, j’ignorais tout de la première intervention. Il a tout de même joué durant dix-sept saisons. On ne boucle pas un parcours aussi long et engagé physiquement sans pépin. Marc fut certainement mon plus fidèle patient, quelqu’un de rare. Travailler avec lui est une expérience. C’est vrai qu’il a fini par connaître son corps presque comme un médecin. Quand il m’a appelé de Londres, où il devait jouer avec Schalke en Ligue des Champions contre Arsenal, il m’a fait lui-même son diagnostic au téléphone.  »

Mais entre la première et la dernière opération, il y a tant d’autres événements qui définissent la personnalité, aux caractéristiques parfois inconnues, de Wilmots. A la sortie de l’enfance, il est repéré par Anderlecht et passe même un test à Neerpede. Ses parents sont déçus par la froideur de l’accueil : ils n’ont même pas un abri pour éviter les attaques de rideaux de pluie. Marc y pense-t-il encore quand les Diables Rouges s’entraînent sous sa direction à Neerpede ? Tant d’années après s’être refusé à lui, Bruxelles est à ses pieds. Roger Vanden Stock a été très étonné en apprenant que Wilmots leur est passé un jour sous le nez.

De toute façon, Léon Wilmots a alors un autre plan en tête. Lui, il mise sur son bon sens paysan. Il ne faut pas se presser, chaque chose en son temps et son fils n’est pas encore prêt pour tenter sa chance loin de chez lui, à Anderlecht. Ce n’est pas l’heure de la récolte mais Léon devine que Marc, qui participe à tous les travaux aux champs, ne reprendra pas la ferme familiale. La preuve : il achètera la liberté de son gamin. A court de liquidités et criblé de dettes fédérales, Jodoigne lui propose d’acquérir Marc pour 25.000 euros. Mais on ne la fait pas à un marchand de bestiaux qui jouit d’une bonne réputation. La parole donnée a valeur de contrat : Marc sera comme son père, une promesse est toujours tenue. Léon ne fait pas la moue en écoutant la proposition de Jodoigne mais préfère attendre. Un peu plus tard, Léon ne débourse que 7.500 euros pour obtenir la liberté de son fils et effacer les ardoises du club..

 » Si Dieu devait redescendre sur terre…  »

Le Standard vient aux nouvelles mais Marc préfère prendre la direction de Saint-Trond, en D2. Toujours ce souci de ne pas brûler les étapes. Il a besoin de son tissu familial, de ses parents, de ses grands-parents où il trouve le calme avant chaque match. Cette époque, il la raconte magnifiquement et en toute simplicité dans un de ses deux livres autobiographiques :  » J’ai mon jardin secret. Chez mes grands-parents où je loge chaque veille de match. Une petite chambre m’est réservée. On dirait celle d’un monastère. Il y a peu de meubles. Lorsqu’on ferme les volets, il fait noir et calme. On s’entendrait presque réfléchir. Le matin, les oeufs et le café fumant m’attendent sur la table. Ils adorent ça, mes grands-parents. A 71 ans tous les deux, ils n’ont plus grand-chose d’autre dans la vie. Mais ils ont vécu. Et bien. Ils m’apportent beaucoup. Quand je serai arrivé à cet âge-là, je serai heureux de voir mes petits-enfants le plus souvent possible. Je ne supporte pas les jeunes qui envoient leurs  » vieux  » à l’hospice. Moi, au contraire, je croise les doigts pour profiter de leur présence le plus longtemps possible.  »

Plus tard, ce roc sera ébranlé par un autre accident qui endeuilla un de ses équipiers au Standard :  » Je n’oublierai jamais l’enterrement de la maman de Benoît Thans. Les parents de Benoît sont tombés en panne de voiture sur l’autoroute. En 30 kilomètres, il n’y avait que leur auto naufragée sur la bande des pneus crevés. Il a fallu qu’un automobiliste hollandais s’endorme, perde le contrôle de son véhicule juste à cet endroit-là et vienne faucher la maman de Benoît. Dieu, la douleur ! Je suis croyant, pas pratiquant, sauf à Noël.  »

A Saint-Trond, il découvre le haut niveau, apprend le métier sous la direction d’un ancien attaquant des Canaris : Karl-HeinzWissman. Ils ne se comprennent pas, ne parlent pas la même langue mais, curieusement, sans le mesurer, Marc exprime déjà les qualités qui conviennent à un championnat que Wissman connaît bien : la Bundesliga. Wilmots regarde souvent les grands clubs allemands à la télévision. Wissman met le premier le doigt sur les atouts et les défauts à travailler. Il estime que Wilmots n’est pas un attaquant de pointe qui attend froidement sa chance face au gardien de but adverse Pour exister, et se rendre utile à son équipe, il doit prendre beaucoup de foin sur sa fourche, travailler comme dans les champs où les ballots de paille ne lui ont jamais posé de problèmes ; même à la veille d’un grand match.

Avec lui, pas besoin de power training. La ferme a été sa salle de musculation privée. C’est la force tranquille, grandeur nature. Wissman a vu juste avant tout le monde, que ce soit Aad de Mos ou Arie Haan plus tard. Wilmots décroche, aide la ligne médiane, bouscule, frappe à distance et surgit en zone de vérité. L’entraîneur qui l’a lancé en D2, Eric Van Lessen, soude un duo du tonnerre de Dieu, Wilmots-Stef Agten. A 17 ans, c’est le grand moment : ses débuts en équipe première. Sur le banc des réservistes, un peu surpris, il ne s’attend pas à la décision de Van Lessen, cache sous une manche de son maillot la montre qu’il ne parvient pas à enlever : l’émotion. L’arbitre remarque le manège et un soigneur utilise une pince pour couper le bracelet récalcitrant. Le stade rigole aux larmes, Marc s’attend à recevoir un savon de son coach au terme de la rencontre : ce manque de professionnalisme va lui coûter cher. Heureusement pour lui, il marque le seul but du match : Saint-Trond gagne, et oublie le gag de la montre car l’heure est d’abord à la montée.

Les fruitiers réintègrent l’élite en 1987. Un problème pour le… Standard qui désirait recruter Wilmots. Il adore l’Enfer de Sclessin mais décide de découvrir la D1 avec les Canaris. Les Rouches remettent le couvert un an plus tard. Léon négocie pour son fils, est proche d’un accord mais remet le projet à plus tard : le stade du Standard le séduit et l’effraye à la fois. Des supporters brûlent leurs abonnements : il est encore un peu tendre pour cette aventure. Toujours cette sagesse des gens de la terre. Alors gardien de but de Malines, Michel Preud’homme le renseigne à de Mos et un contact est établi : le clan Wilmots ne tarde pas à rencontrer John Cordier, l’homme fort et propriétaire du club, ainsi que le manager du club, PaulCourant. A Saint-Trond, cette nouvelle fait grand bruit et le président des Limbourgeois, Guy Lambeets, décide de suspendre Wilmots sur-le-champ. Le bougre ignore que Marc est son futur beau-fils. Katrien est tombée dans les bras du joueur. Cette romance reste secrète. Katrien suit des études de droit à Namur et son père découvre le pot aux roses en lui rendant visite dans la capitale wallonne.

Wilmots met 250.000 euros de sa poche pour aller à Schalke

La suite s’enchaîne : Malines, le Standard, l’équipe nationale, Schalke, les succès européens, Bordeaux, la présence dans une sélection mondiale après la World Cup 2002, la politique, le sénat, le métier de coach, T1 de l’équipe nationale et surtout une belle famille de trois enfants qu’il préserve désormais de la curiosité médiatique. Au fil des années, la Bundesliga a été son grand révélateur. Pour découvrir ce football, il repousse les offres de Benfica et de Monaco. Le Standard exige un million d’euros, Schalke offre 750.000 euros et Wilmots investit 250.000 euros de sa poche. Schalke et Wilmots ne le regretteront jamais. Rien n’ébranle Wilmots qui n’oublie jamais ceux qui lui ont donné un coup de pouce, comme Rudy Assauer, le manager de Schalke qui l’autorisa à rentrer tous les jours en Belgique quand un de ses fils est malade. Quand un joueur l’appelle, il n’hésite pas à rendre service. C’est arrivé à Milan Jovanovic qui tenait à faire sa connaissance. Plus tard, avant le Mondial sud-africain, Jova a même rapidement obtenu un rendez-vous chez le Docteur Declercq grâce à Wilmots.

Wilmots (43 ans) et les siens vivent désormais à Jeuk, toujours en Hesbaye côté limbourgeois. Mais il passe souvent à la ferme. Sa maman a toujours une bonne tarte à la cuisine et, comme je l’ai vécu et entendu, une  » demi-livre de bon beurre pour vous et votre famille.  » Son père, dont une partie de la famille vient de Goor-op-Leeuw, reste discret au regard du magnifique destin de son fils. C’est là, dans cet univers familial vrai, qu’est né le Tracteur de Dongelberg.

PAR PIERRE BILIC

 » J’ai volé un paquet de chewing-gum : je n’avais aucune chance de devenir un garnement. Mon père m’a fait travailler à la ferme.  »

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