Et rougir de plaisir
L’attaquant brabançon collait très bien au Standard. Puncheur, dynamiteur, courageux, il a offert au club son seul trophée en 25 ans.
« Les gens vont croire que j’ai signé un nouveau contrat « , lâche Marc Wilmots lors de la séance photo. Même le manager local, Herman Van Holsbeeck, qui visitait son stade, trouve l’épisode incongru. » Mais que fait-il ici ? « , demande Van Holsbeeck…
Nous sommes au Parc Astrid, l’antre d’Anderlecht, rival ancestral du Standard. C’est ici, lors des rénovations du stade Roi Baudouin, que la Coupe de Belgique avait trouvé refuge en 1993. Ironie de l’histoire, c’est en territoire » ennemi » que le Standard, un beau jour de juin, a conquis son seul trophée en 24 ans. » Cela commence à remonter loin « , conclut cyniquement le manager anderlechtois.
Loin, mais c’est la rareté des beaux moments qui les rend encore plus précieux. C’est ce que doivent se dire les supporters du Standard qui aiment se souvenir de cette époque bénie. L’équipe était entraînée par Arie Haan et semblait promise à des lendemains enchanteurs. Pourtant, 14 ans plus tard, le Standard n’a pas enrichi sa vitrine de trophées. » Je vous préviens tout de suite : cette finale restera gravée dans ma mémoire car le club n’avait plus rien gagné depuis longtemps mais j’ai vécu des moments plus forts dans ma carrière. J’ai remporté la Supercoupe d’Europe avec Malines en 1989, j’ai gagné la Coupe de l’UEFA avec Schalke en 1997 et puis, il y a également cette Coupe d’Allemagne en 2002 lorsque nous avons atomisé Leverkusen 4-1 devant 80.000 spectateurs « , affirme d’emblée celui que l’on surnommait à l’époque le taureau de Dongelberg.
Pourtant, le Standard a non seulement constitué la rampe de lancement d’une carrière longue et fructueuse mais ce club a toujours été chevillé au corps de Wilmots : » J’ai construit ma carrière suivant un plan bien précis. Lorsque j’ai décroché le titre de meilleur buteur avec Saint-Trond en D2, de nombreux clubs voulaient s’attacher mes services. Cependant, j’ai décidé de rester fidèle aux Trudonnaires une saison de plus et de découvrir la D1 avec eux. Le Standard s’était déjà présenté aux nouvelles. Je savais que je passerais un jour ou l’autre par Sclessin. J’avais l’avantage d’être parfaitement libre de mes choix puisque mon père avait racheté mon contrat. Cependant, à 19 ans, il me semblait prématuré de rallier le Standard. La pression était trop importante. Il me fallait d’abord connaître un palier intermédiaire. C’est pour cette raison que j’ai choisi Malines. Non seulement, je partais pour un club qui disputait les premiers rôles mais en termes de pression médiatique, cela n’avait pas encore la dimension du Standard. Je suis resté trois saisons au Kavé et puis j’ai rejoint le club liégeois. Les dirigeants malinois ont essayé de me garder mais il n’y avait rien à faire. Dans la région de Jodoigne, tout le monde respire au rythme du Standard. Je voulais aller dans ce club. C’était en quelque sorte un rêve d’enfant qui se réalisait « . Et qui allait durer cinq ans…
» Léonard ne voulait pas blesser Suray. Il était tout sauf méchant. A l’entraînement, il fallait insister pour qu’il mette le pied »
Avec l’apothéose du mois de juin 1993 : » J’avais pris une part prépondérante dans la qualification pour la finale. J’avais inscrit un but décisif contre Lommel et un autre à Waregem, en demi-finale. Cette année-là, j’avais aussi terminé meilleur buteur du club avec 22 réalisations. En finale, on rencontrait Charleroi. On savait que la tâche ne serait pas simple. Robert Waseige avait façonné une équipe redoutable avec Cedomir Janevski derrière, Par Zetterberg au centre ainsi que Dante Brogno et Nebosja Malbasa en attaque. Notre mission était de cadenasser Malbasa. Je me rappelle de la chaleur qu’il faisait ce jour-là. Je revois les pompiers en train d’asperger le kop de Charleroi et celui du Standard. Moi, je n’aimais pas évoluer sous la canicule mais nous n’avions pas le choix. Pour gagner, il fallait retrousser nos manches et aller au feu, c’était le cas de le dire. On a beaucoup parlé de cette finale par la suite. En effet, les faits de match ont tourné en notre faveur et par la suite, on a découvert que l’arbitre Alphonse Costantin travaillait pour le Villages N°1 de Jean Wauters. Mais sur le terrain, on n’a jamais semblé avantagé. Certains ont reproché à l’arbitre de ne pas avoir sorti le carton rouge après la faute de Philippe Léonard sur Olivier Suray qui avait dû être évacué sur civière. Je me trouvais à six mètres de l’action et je peux vous assurer qu’il n’y avait aucune mauvaise intention de la part de Léonard. Je comprends la frustration carolo d’autant plus que Janevski quitta la pelouse quelques minutes plus tard à cause d’une luxation de l’épaule mais une rencontre se joue sur des faits de match et ce jour-là, les événements ont tourné en notre faveur. Ceux qui ont voulu faire le procès de l’arbitre ou de Léonard se sont trompés. Léonard marche sur le talon de Suray mais il ne voulait pas le blesser. Il était tout sauf méchant. Au contraire. A l’entraînement, il fallait même insister pour qu’il mette le pied « .
Déjà privé d’ Istvan Gulyas qui s’était blessé la veille de la rencontre, Charleroi se voyait amputé de deux autres pions importants et n’arriva plus à perturber son adversaire. » Pourtant, ils nous ont embêté. Brogno s’est retrouvé une fois seul face à Gilbert Bodart qui avait dû sortir en catastrophe « . Finalement, un but de Henk Vos et un autre de Léonard scellèrent le sort des Zèbres. » Une fois le coup de sifflet final, je revois les visages radieux de Guy Hellers et de Bodart. Ils attendaient cela depuis tellement longtemps. Ils étaient restés fidèles au Standard et fêtaient leur premier trophée avec le club. Ils venaient de perdre trois finales et il s’agissait d’une sorte de consécration. On ne savait plus s’ils riaient ou pleuraient. Moi, j’avais déjà connu l’ivresse de la victoire en remportant la Supercoupe. Cependant, je restais aussi sur une déception puisque Malines s’était incliné en finale face à Bruges deux ans auparavant. Mais cette défaite m’a servi, par la suite, de leçon puisque je ne me suis plus incliné en finale d’une compétition ! « .
» Chaque occasion était bonne pour ouvrir une bouteille de champagne »
Cette génération avait réussi à redonner le sourire à toute une région. Elle débordait de talent et trustait les places d’honneur. Sous la conduite d’Arie Haan, les Rouches avaient bouclé la saison 1991-1992 sur le podium avant d’améliorer leur performance une saison plus tard en grimpant à la deuxième place. » Un titre de vice-champion, c’était pas mal mais on en attendait plus. C’est pour cela et pour rentrer dans l’histoire du Standard que l’on désirait cette Coupe. On s’était préparé à cette finale dans le plus pur style d’Haan : la décontraction. Sous sa conduite, chaque occasion était bonne pour ouvrir une bouteille de champagne. Il y avait une bonne ambiance dans le vestiaire et on s’amusait aux entraînements. Cette bonne humeur et cette envie se reflétaient en match. On allait vers l’avant. Le niveau du jeu et la qualité apportée étaient excellents. Nous étions des conquérants. Arie Haan avait aussi l’art de poser chaque pion à sa meilleure position « .
Les choses allaient se gâter au début de la troisième saison du Néerlandais. » Haan s’était arrangé avec le manager de l’époque, Roger Henrotay pour conserver l’entièreté du noyau. Il faisait de Vos une priorité. Il est parti en vacances et quand il est revenu, Vos avait été vendu à Feyenoord. Pour le remplacer, Henrotay avait transféré Yves Soudan qui n’était nullement souhaité par Haan. Il y a eu une cassure à partir de ce moment-là. Une guerre interne eut lieu entre Henrotay et Haan et cela a commencé à se ressentir dans le vestiaire. Des clans se sont formés et Haan a dû partir subitement. Les résultats ne suivaient plus. On était retombé à la 12e place et on avait été battu 3-0 à Arsenal « .
Des rumeurs circulaient et le meneur de jeu, Frans van Rooy ainsi que les autres Néerlandais du noyau étaient considérés comme trop proches d’Arie Haan. De plus, ce qui semblait de la décontraction lorsque les résultats suivaient tourna, dans la presse, en indiscipline. » Le problème est clairement venu de la vente de Vos. Point à la ligne. Ce fut l’élément déclencheur et après tout est parti en vrille. Van Rooy, il fallait le prendre comme il était. On connaissait son caractère. Il l’avait déjà quand il évoluait à l’Antwerp. Il n’avait pas la volonté de faire carrière mais il faut laisser à chacun ses choix. Pourtant, en qualité pure, il est un des deux plus talentueux avec lequel j’ai évolué. L’autre, c’était Elie Ohana. Ils avaient le même style et aucun des deux n’a réalisé la carrière qu’on leur promettait. On a beaucoup parlé d’indiscipline dans le noyau mais on avait forgé des résultats dans les mêmes conditions ! Le climat s’était simplement dégradé et on avait aussi connu quelques problèmes : Momo Lashaf s’était fracturé la jambe et il n’est plus jamais revenu à son niveau « .
» Je ne suis pas parti à Tottenham car mes chiens ne pouvaient pas rentrer en Angleterre »
Il s’agissait d’un premier coup d’arrêt pour cette génération mais celle-ci allait renaître avec l’arrivée de Robert Waseige en juin 1994. » Waseige produisait également un football généreux. Comme Haan. Entre les deux, on a connu la parenthèse René Vandereycken. Lui, il avait opté pour cinq défenseurs. Ce n’était pas trop mon style de football mais il a remis le bateau à flot. Notre équipe pouvait compter sur une solide assise. Nous avions une défense en béton avec Léonard et Régis Genaux sur les ailes. Avec André Cruz et Hellers. Mais l’attaque n’était pas mal non plus. Deux pointes : Aurelio Vidmar et Michaël Goossens avec moi en soutien. Lors de la première saison de Waseige, le danger venait de partout. Cette année-là, j’avais offert le titre de meilleur buteur à Vidmar qui avait planté 22 buts. Moi, j’en avais inscrit 14 et Mika 12 « .
C’est au Standard que Wilmots a construit son image de buteur. » En cinq saisons, j’ai trouvé le chemin des filets à 67 reprises. Soit une moyenne de près de 15 buts par saison. Les chiffres sont là et parlent davantage que les mots. A Malines, Aad De Mos m’avait dit que je n’étais pas assez fort techniquement. A Saint-Trond, on m’avait appris uniquement à marquer. Cela a ensuite toujours été mon ambition et mon envie. C’est là que tu… marques les gens. Ils se souviennent de tes buts. Je prenais du plaisir à voir les filets trembler. Quand on est gamin, ne veut-on pas devenir soit gardien, soit buteur ? Moi, j’en ai deux. L’un est gardien, l’autre attaquant, vous voyez ! A Malines, j’ai appris à affiner ma technique : jouer dos au but, dribbler. Piet Den Boer affirmait d’ailleurs – A 31 ans, j’apprends tous les jours. J’ai suivi son conseil. Fi Van Hoof devenait fou car après les entraînements, Philippe Albert, Michel Preud’Homme et moi restions des heures à tenter des frappes. A Sclessin, combien de centres Léon Semmeling ne m’a-t-il pas adressé ? Il en avait mal à la hanche ( il rit). Kevin Vandenbergh joue beaucoup sur son registre de buteur mais il a tort de ne pas essayer d’élargir sa palette. Moi, j’ai appris lorsque j’ai dû dépanner au poste de médian défensif. Par la suite, cette expérience m’a aidé lorsque j’ai reculé dans le jeu. Je savais comment fonctionner avec le jeu devant moi. Mon style a suscité beaucoup le débat : étais-je davantage performant comme médian ou comme attaquant ? A 27 ans, je savais quelle était ma meilleure position : soutien d’attaque. Je prenais exemple sur Jan Ceulemans qui, lors de ses cinq dernières saisons, rentrait trois fois dans le rectangle par match mais marquait à chaque fois. J’avais reculé mais j’étais toujours autant obsédé par le but. J’étais simplement devenu un relayeur : je voulais lire le jeu et avoir un plus grand champ d’action « .
Ses cinq saisons au Standard défilèrent finalement très vite. » On avait le potentiel pour décrocher au moins un titre. J’en retire un goût de trop peu. J’ai bien ma petite idée si vous me demandez pourquoi on n’est jamais devenu champion mais je préfère ne pas la dire. Il y a des secrets qu’il ne faut pas dévoiler « .
En 1996, Wilmots prit congé des fans rouches. » Le public m’avait adopté et aimé. Pourquoi ? Car je possédais le style maison, car j’étais wallon et je me donnais sans compter. Quand je suis revenu en match amical avec Schalke, tout le stade s’est levé. En 1996, il était temps que je parte. J’ai construit ma carrière par échelon et lors de la dernière année, il y avait du sabotage dans l’air vis-à-vis de Waseige. J’ai dit à la direction – S’il part, je pars aussi. C’était un moyen de leur mettre la pression. C’était Robert et moi ou les autres. Ce fut les autres ( il rigole). Finalement, mon stratagème n’a pas marché et on est parti. Trois ans plus tôt, Dortmund était déjà venu aux nouvelles mais ma femme n’avait pas fini ses études de droit et je me sentais bien au Standard. Une carrière est jalonnée de choix personnels. En restant en Belgique, j’ai accumulé l’expérience et cela me fut bénéfique pour la suite. Moi, je ne suis pas un adepte des placements risqués. Je suis un joueur prudent. En 1996, le moment était bien choisi pour partir. J’avais reçu des offres de Benfica, où Preud’homme me désirait, de Schalke, de Monaco et de Tottenham. La proposition anglaise fut vite écartée car… mes chiens ne pouvaient pas rentrer en Angleterre. Mon choix s’est donc porté vers Schalke et je n’ai jamais eu à le regretter « .
par stéphane vande velde – photos : reporters/gouverneur
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